La lecture à portée de main
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Description
Informations
Publié par | Jourdan |
Date de parution | 25 avril 2018 |
Nombre de lectures | 3 |
EAN13 | 9782390093077 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0032€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
© Éditions Jourdan
Paris
http ://www.editionsjourdan.com
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ISBN : 978-2-39009-307-7 – EAN : 9782390093077
Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.
Image de couverture : Toilette en or du musée Guggenheim de New York, Maurizio Cattelan.
simone scoatarin
" Dis - moi comment tu fais "
Toilettes : histoire(s) & sociologie
« On ne parle malheureusement pas assez de tels problèmes.
On estime que ce que chacun fait aux cabinets ne regarde que lui.
Il n’en est rien. Cela concerne l’univers tout entier. »
Henry Miller 1
1 . Henry Miller, Lire aux cabinets , Gallimard, 1969.
Alors, parlons-en !
Le p’tit coin, où c’est ? Les toilettes, les W.C., les sanitaires, les lieux d’aisance, les cabinets, les chiottes, l’urinoir, les sanisettes, les gogues, les goguenots, les goguinettes (plus mignon), le caca-room, le pipi-room, les commodités, les feuillées, le petit endroit, les waters, le trône, les toilettes publiques, les latrines, les lavabos, les pissotières, les vespasiennes, les tinettes, le seau hygiénique, le pot, le pot de chambre, le vase de nuit, la chaise percée, le pistolet, le plat bassin. Ouf ! Même s’il en manque, quelle liste ! Quelle richesse !
Mais alors, qu’est-ce qui chagrine Miller ? À son grand regret, ce qui est tu, plus que les installations sanitaires elles-mêmes, c’est ce qu’on y fait. Il est vrai que le langage, incapable d’en parler de façon neutre, élude autant qu’il peut ce sujet, usant et abusant d’euphémismes. On tourne autour du pot. Se soulager passe assez bien. Infantile, on choisira faire pipi et faire caca. Conservateur et prude, on privilégiera la petite et la grande commission . Vulgaire, usant d’un style relâché, on ira pisser ou chier . Mieux éduqué, mais quand même faux jeton, on prétendra chercher les lavabos pour se laver les mains . Féru d’argot, on se rendra aux gogues pour couler un bronze , déposer le bilan, ou encore bien d’autres expressions imagées, non dénuées d’humour malgré leur grossièreté, témoignant d’une créativité notable en la matière.
Enfin, pour qui dispose d’un bagage verbal étendu, un poil pédant, un poil ridicule, un poil classieux, évoquer les fonctions excrémentielles en prenant des gants donnera aller à la selle . Une formule distanciée, aseptisée, médicalisée, méconnue cependant de bon nombre de locuteurs parmi lesquels, certains, supporters de la petite reine , ne connaissent de selle que celle du vélo. « Quand êtes-vous allé à la selle pour la dernière fois ? » Cette question les laisse cois. Encore heureux si le docteur ne les interroge pas sur leurs fèces, du ressort du proctologue, spécialiste en matières fécales.
Outre souffrir d’embarras intestinal, les malheureux patients sont en mal de mots. Ça fait longtemps que j’ai pas chié , voilà qui leur viendrait en toute franchise, mais… cela n’est-il pas trop familier, trop grossier , s’interrogent-ils par-devers eux, se retenant in extremis . Comment dire alors, quand les mots de tous les jours ne font pas l’affaire et que ceux du dimanche font défaut ? Contournant l’obstacle, ils éviteront de nommer la chose. Ça fait une paye que j’ Y suis pas allé, balbutieront-ils, gênés. Bienvenu Y , accouru à leur secours pour faire allusion aux toilettes et à ce qu’on est censé Y faire.
Concernant ces fonctions naturelles, tout se passe comme si les mots perdaient leur abstraction, le propre du langage ; comme si, pour parler de Ça, les mots étaient aussi répugnants, aussi malodorants que ce qu’ils signifient. Aussi n’en parlera-t-on qu’avec des pincettes. Ou mieux, pas du tout. On évitera ce tabou !
Parfois pourtant, telle l’envie urgente, le sujet se fait pressant, et le dilemme verbal envahissant. Muriel Barbery 2 l’illustre sur un mode très plaisant, mettant en scène le personnage de Madame Michel, concierge de son état, qui se voit conviée à dîner par un résident de son immeuble, M. Ozu, japonais. Ne voilà-t-il pas qu’au milieu du repas, prise d’une grosse envie, mais en proie à un embarras extrême, elle s’interroge en son for intérieur :
« Comment demande-t-on ceci dans le monde ? »
Et elle passe mentalement en revue Où sont les gogues, Voudriez-vous m’indiquer l’endroit, J’ai envie de faire pipi, Où sont les toilettes, Où sont les cabinets, sans qu’aucune de ces formulations ne la satisfasse, convenant à la situation présente ; toutes soulèvent des objections. Pourtant, bien obligée de formuler sa requête, elle finit par adopter, en désespoir de cause, la moins pire à ses yeux : « Où sont les commodités, je vous prie ? »
Si l’on s’intéresse à la partie haute du transit alimentaire, à savoir l’orifice buccal et sa fonction d’ingurgitation, ce qui tourne autour ne présente nul mystère. Il en est fait état abondamment et de toutes parts, si bien que ses fluctuations, selon les us et coutumes, les religions, l’hygiène et de multiples autres facteurs en jeu, nous sont bien connues. Et ce sujet primordial alimente pour l’essentiel nos conversations quotidiennes.
Par contre, concernant l’autre bout de la chaîne, digestion faite, motus et bouche cousue. Parler de cette fonction inférieure est non seulement méconsidéré, mais taxé de scatologique, et la pudeur la plus élémentaire impose de la passer sous silence. Résultat du non-dit : sans en rien savoir, mais égocentré, on suppute qu’autrui procède comme soi-même, et partout dans le monde ; on est confusément convaincu que modes, cultures, moyens techniques, morale, éducation, etc., ne sauraient influer en aucune façon sur le comment-faire-pipi-caca .
Même idée préconçue à propos des lieux dits « d’aisance » ; partant de l’idée que nous y sommes conduits par une fonction bien naturelle, commune à l’humanité tout entière, on se les figure grosso modo tous similaires ; et, forts de ce principe, nous en concluons à la hâte que les sanitaires dont nous sommes coutumiers coulent de source, qu’ils sont universels, autant dire « normaux » .
Or il n’est que de voyager Outre-Occident pour constater des usages fort variés, y compris dans ces domaines, découvertes qui conduisent à porter un regard neuf sur nos propres pratiques et à remettre en cause quelques certitudes, quelques a priori . Il va de soi que ces surprises seront plus fréquentes en cas de déplacements peu organisés, et si le gîte choisi n’affiche pas cinq étoiles, avec un confort dit « international » impliquant des toilettes conformes aux nôtres, dénuées par conséquent de toute originalité traditionnelle. Autant rester chez soi.
Honte à moi, ce que je viens d’avancer va se voir contredit illico par ce qui suit, une découverte inattendue, celle des commodités de l’aéroport de Tokyo, dont le caractère international incontestable s’accompagne néanmoins de surprises de taille. Une touriste française s’adressant par mail à un ami resté au pays en fait cette description savoureuse :
« La porte des toilettes de l’aéroport poussée, on bascule dans un autre monde... Lorsque l’on s’assoit sur le trône (je n’ose pas dire la cuvette des toilettes), on entend un bruit retentissant d’eau en cascade. D’où cela vient-il ? Mystère ! Pas de la chasse d’eau en tout cas. J’ai peu à peu deviné que cette source sonore avait pour fonction de couvrir tout bruit que nous pourrions émettre... J’ai été prise d’un fou rire incroyable, mais mes éclats de rire étaient assourdis par la cascade. Ensuite, va savoir pourquoi, c’est une furieuse envie de hurler qui m’a saisie, pour voir si mes cris seraient étouffés par la pseudo cascade. Mais là, un sursaut de dignité m’a retenue. Je me suis demandé si tous les bruits du corps étaient également inconvenants dans ce pays, s’il y avait une sonorisation des salles d’accouchement pour étouffer les hurlements des parturientes japonaises. Après cette première expérience, j’ai découvert que la sonorisation de toilettes était une constante au Japon, mais qu’il existait des variantes, par exemple un doux chant d’oiseaux accompagnant la chute d’eau, agrémentant l’épisode d’une note champêtre. Qui sait s’il ne sera