Ça se passe le deuxième jour de l’année scolaire.
L’idée n’est pas mauvaise. La prof de français dit :
– Demain, vous apporterez un objet auquel vous tenez beaucoup. Vous viendrez au tableau en parler devant vos petits camarades.
Alors moi, je viens avec mon arc. En fait, ce n’est pas vraiment mon arc, c’est celui de mon père, le mien, il est plus petit, ça le ferait moins devant les copains !
On est donc tous dans la classe, chacun a son « objet » posé sur son bureau, et ça papote et ça papote… La prof est en retard. Notez bien que si elle avait été à l’heure rien ne se serait passé comme ça.
Romain est venu avec une pomme… Et que c’est mon père qui les fait pousser, et que les pommes c’est bon pour la santé, et que les pommes par-ci, et que les pommes par-là.
Alors je ne peux pas m’empêcher…
– Hé, Romain, tu connais Guillaume Tell ?
– Heu non.
– La flèche, la pomme, la Suisse… Tu ne connais pas Guillaume Tell ?
– Heu, non.
Je commence à raconter l’histoire du seul Suisse qui n’a jamais travaillé dans une banque, une usine de montres ou une chocolaterie. Ce brave Guillaume qui aurait été obligé de tirer une flèche dans une pomme posée sur la tête de son fils et qui serait ainsi devenu le héros des Suisses et tout ça, et tout ça…
– Hé Romain, donne-moi ta pomme !
– Heu, non, j’veux pas, tu vas me la manger !
Faut dire que Romain, les pommes, il doit les engouffrer par cageots, et si jamais il te marche sur le pied, tu n’as plus jamais besoin de palmes pour battre des records au crawl ! Romain fait le double de mon poids et ne doit pas manger que des pommes.
– Donne ta pomme, je lui dis, c’est juste pour te montrer comment il a fait le Suisse, après je te la rends !
Je prends la pomme, je la perce de la flèche, et là, tel un archer majestueux de quelque roi moyenâgeux, je vise droit devant moi et plante la flèche dans le tableau.
– Romain, va te mettre dessous ! Tu mets ta tête juste sous la pomme !
Dans la classe l’ambiance commence à monter.
– Romain ! Romain ! Romain ! crient tous les élèves.
En fait pas vraiment tous, parce que dans toutes les classes il y en a forcément un qui n’est pas drôle, un qui est né vieux et qui voudrait nous faire croire qu’on n’est pas là pour s’amuser. Celui qui croit que l’école a été inventée pour apprendre, juste pour apprendre et rien d’autre : Benoît.