Ma vie en 17 pieds
48 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Quand la mono du centre aéré a demandé ce qu’on avait comme Passion pour animer son propre Atelier Création et Découverte d’Activités Ludiques, Sportives et Artistiques, Gaspard a répondu « Haïku ».
Ça commençait très mal. Les haïkus, les autres ne savaient même pas ce que c’était et une grosse brute l’a surnommé « Aïe-mon-Kiki » et traité de tapette.
Tant mieux, après tout. Parce que en vérité, cette Passion, Gaspard ne souhaite la partager avec personne. Il souhaite rester seul avec elle. Avec elle et son chagrin. Avec elle et Léo. Personne ne le fera changer d’avis. Même pas cette fille en survêtement violet qui propose « Charlotte au chocolat ».

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 janvier 2019
Nombre de lectures 9
EAN13 9782211301817
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
Être ado, c’est pas toujours facile. Surtout lorsqu’ons’appelle Gaspard, qu’on a les cheveux roux, et qu’on estpassionné de poésie.
Quand la mono du centre aéré a demandé ce qu’onavait comme passion pour animer son propre AtelierDécouverte, Gaspard a répondu « Haïku ». Ça commençaittrès mal.
Les haïkus, les autres ne savaient même pas ce quec’était.
Tant mieux, après tout.
Parce qu’en vérité, cette passion, Gaspard ne lapartagerait pour rien au monde. Personne ne le ferachanger d’avis. Pas même cette fille en survêtement violetqui refuse obstinément de sourire…
L’autrice
Dominique Mainard a beaucoup fréquenté les centresaérés dans son enfance et, comme son héros Gaspard, ellea détesté : « J’avais énormément de mal à trouver ma placeau milieu de cette foule d’enfants de mon âge. »
Aujourd’hui, Dominique Mainard vit et écrit à Paris.
Elle est l’autrice de plusieurs recueils de nouvelles et deromans, dont Leur histoire , couronné en 2002 par le Prixdu Roman FNAC et le prix Alain-Fournier. Le réalisateurAlain Corneau en a fait un film, Les mots bleus . Avec Mavie en dix-sept pieds , Dominique Mainard signe son premierroman jeunesse.
 

Dominique Mainard
 
 


 

Illustrations de Jeanne Boyer
 
 


 
 

l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

Pour Victor, dans quelques années…
Pour Baptiste et Juliette.
Et, enfin, pour le plus fantaisiste
et obstiné des Bruce Lee.
 
Haïku : court poème d’origine japonaise composéde 17 pieds répartis en 3 lignes de 5, 7 et 5 pieds.
1
 
Trois jours de retard
La main triste de maman
Et mes cheveux roux
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, lecentre aéré, c’est comme la maternelle, l’école etle collège : le plus important est de passer inaperçu, surtout le premier jour. Moi, bien sûr, j’aipas réussi, ni à la maternelle ni à l’école ni aucollège, et encore moins au centre aéré.
D’abord, je ne suis pas arrivé le premier jourcomme tous les autres mais le jeudi, car maman,qui est à l’ouest depuis des mois, avait oubliéquel jour commençait le stage et perdu le papierqui disait qu’il fallait attendre le car du centre aéré en face de la boulangerie à 9 heures lelundi 5 juillet. C’est seulement le mercredi soir,quand elle a levé les yeux de l’écran de l’ordinateur et qu’elle m’a vu passer et repasser dansl’appartement avec l’air de quelqu’un qui s’ennuie, qu’elle a sursauté tout à coup en portantla main à sa bouche comme quand elle a oubliéd’acheter le pain. Elle a ouvert le tiroir de sonbureau et elle a fouillé frénétiquement à l’intérieur, et, comme je la regardais en me maudissantde n’avoir pas su faire semblant de m’amuser,j’ai vu apparaître entre ses mains le papier vertpomme qui promettait Des Activités LudiquesSportives et Artistiques.
– Oh mon Dieu, Gaspard, a-t-elle gémi,c’était lundi, c’était avant-hier !
Elle a levé les yeux et m’a regardé avec unetelle expression d’angoisse et de remords que j’aicru qu’elle allait se lever d’un bond, enlever sonsurvêtement troué et enfiler un pantalon et untee-shirt pour me conduire pied au plancher aucentre aéré dans sa vieille deux-chevaux rouge.
– Il est 9 heures du soir, maman, j’ai dit très vite. C’est pas la peine d’y aller maintenant. Lecentre aéré ferme à 6 heures.
Je le savais parce que j’avais lu et relu la brochure pour découvrir à quelle sauce j’allais êtremangé. Activités Ludiques Sportives et Artistiques, Ateliers Créations et Découvertes, Vienspartager Tes Passions et Découvrir Celles desAutres ! Le tout en majuscules, et ces majuscules,ces points d’exclamation, cette couleur vertpomme et le faux entrain qui se dégageait del’ensemble, ça ne m’avait pas inspiré confiance.Maman a fixé longuement le papier mais ellene le lisait pas, elle se contentait de le regarder comme si c’était un menu de restaurant etqu’elle avait déjà choisi ce qu’elle allait manger.Je n’arrivais pas à déchiffrer son expression, alorsj’ai tenté le tout pour le tout, j’ai dit :
– C’est pas grave, tu sais. Je n’avais pas trèsenvie d’y aller.
Elle a levé la tête et a froncé les sourcils, etcette fois j’ai très bien compris que je n’allais pascouper au centre aéré vert pomme.
– Ne te fais pas d’illusions, jeune homme, a-t-elle dit. Tu y seras demain matin, à 9 heurestapantes. Je te ferai un mot d’excuse.
Elle a posé la brochure sur le bureau, à côtédu clavier de son ordinateur, et a refermé letiroir d’un geste magistral. Elle a beaucoup degestes magistraux ces temps-ci, elle ferme lesportes, le Frigidaire et les fenêtres avec des mouvements très décidés, comme si c’étaient autantde petites victoires sur le flou qui s’est emparéde nos vies. Elle est comme ça depuis que Léoest parti.
J’ai hésité. Je n’aimais pas rester toute la journée seul dans ce petit appartement qui sentaitencore la peinture fraîche, parmi les cartonsqu’on n’avait ouverts ni elle ni moi tant on avaitpeur de tomber par hasard sur quelque chose,un jouet, un bonnet ou un gant qui n’auraientpas dû s’y trouver : il y avait trois ou quatre deces cartons un peu partout, posés comme desmines, fermés avec du gros Scotch noir, on butaitdedans cinq fois par jour et la nuit en allant auxtoilettes, mais, tant qu’ils étaient fermés, ils nerisquaient pas de nous exploser à la figure.
J’aimais encore moins que maman revienne àmidi du bureau avec le visage gris et les yeux gonflés et qu’elle me dise Je suis fatiguée, Gaspard, jesuis partie plus tôt, bon sang mais qu’est-ce queje peux être fatiguée, et qu’au lieu de me proposer d’aller faire un tour pour prendre l’air, elles’installe devant son ordinateur et commence àvisiter des sites Internet jusqu’à se flinguer lesyeux et se donner la migraine. Cette semaine-là,son obsession, c’était de trouver un canapé cinqplaces vert ; elle me l’avait décrit, elle m’avaitdécrit sa forme et sa matière et sa couleur, pasvraiment le vert-gris d’un kiwi mais plutôt celuid’une pomme Canada, enfin ce genre-là maisplus vert, tu comprends, avait-elle dit, mais ellen’avait pas réussi à m’expliquer précisément dequel vert il s’agissait et les larmes lui étaientmontées aux yeux sans raison. La semaine d’avant,c’était un piano à queue. Je n’osais pas lui direque ce n’était pas dans notre T2 de trente-cinqmètres carrés qu’elle arriverait à caser son canapécinq places ou son piano à queue. Je n’osais paslui demander si elle ne s’était pas encore rendu compte qu’on avait quitté la grande maison oùon vivait avant tous les quatre.
Mais j’avais encore moins envie d’aller aucentre aéré. Je sentais le cœur me monter dansla gorge à la pensée de Partager mes Passions etde Découvrir Celles des Autres et de répondreaux questions banales qu’on semblait me posertrois fois plus souvent depuis quelques mois oualors c’est que je ne faisais pas attention avant,Qu’est-ce qu’ils font tes parents, Où est-ce quetu habites, Est-ce que t’as des frères et des sœurs.Alors j’ai failli lui dire que j’avais besoin de cetété pour réfléchir, pour me souvenir, pour passerà autre chose, j’ai failli lui sortir la carte de Léo,la carte minée et imparable de Léo, et puis j’airegardé son visage qui semblait toujours prêt àse fissurer, et j’ai gardé le silence.
C’est comme ça que le lendemain matin jeme suis retrouvé à 9 heures à l’arrêt du car.
On était partis très tôt de la maison et elle aacheté deux croissants à la boulangerie, qu’on amangés en prenant notre temps et en se graissantles doigts debout sur le trottoir, au coin de la rue. À ce moment-là, j’ai commencé à avoir unmauvais pressentiment.
– C’est bon, tu peux y aller, j’ai dit en meforçant à sourire. Le car arrive dans cinq minutes,je peux attendre tout seul.
Mais elle a fait comme si elle n’avait pasentendu. Elle a fini son croissant, a cherché unmouchoir dans son sac pour s’essuyer les lèvreset les doigts, puis de sa main toute propre ellea pris la mienne, qui était pleine de beurre etde miettes de croissant, et elle l’a serrée trèsfort. Elle ne l’a pas lâchée. J’espérais que c’étaitjuste une façon de me dire au revoir, au lieu dem’embrasser, mais elle a continué à la tenir enregardant droit devant elle et je savais à quoi ellepensait, alors je n’ai pas eu le courage de medégager. Ce qui fait qu’on était comme ça quandle car est arrivé, ma mère et moi main dans lamain, et je n’ai pas osé lever les yeux de peur devoir tous les autres se gondoler derrière la vitre,parce que franchement j’avais passé l’âge.
– Il faut que j’y aille, maman, ai-je dit. À cesoir.
Alors elle m’a enfin lâché, elle m’a caressé lajoue et elle a murmuré À ce soir, mon grand,avec les yeux pleins de larmes. Je lui en ai vouluquand même à ce moment-là de donner à toutle monde l’impression qu’elle pleurait parce queson fils allait passer la journée au centre aéré.
Je suis monté dans le car et bien sûr tout lemonde me regardait, parce que j’arrivais troisjours après les autres, parce que ma mère metenait la main et aussi parce que je suis roux,mais alors très roux. J’ai l’habitude, ça s’est passécomme ça pour mon premier jour à la maternelle, à l’école et au collège ; il y a quelque chosechez les roux qui fascine alors que c’est juste unecouleur comme une autre, châtain ou brun oublond, ou roux, pas de quoi en faire un plat. Mescheveux sont roux et ma peau blanche, avec lestaches de rousseur qui vont avec. Mes sourcilssont plus foncés mais mes cils sont d’un roux vif,de très longs cils qui encadrent des yeux couleurd’huître et me font, je trouve, un regard bizarre.Avant, je les coupais aux ciseaux pour qu’ils sevoient moins mais un jour papa m’a surpris avec les lames tout près des yeux et il m’a dit qu’il memettrait une rouste s’il s’apercevait qu’il manquait un seul millimètre à mes cils, Et je neplaisante pas, Gaspard, a-t-il ajouté et j’ai su qu’ildisait vrai, qu’il n’hésiterait pas à sortir sa règlepour mesurer mes cils et m’en cingler les fessess’il constatait le moindre manquement. Pour meconsoler, Léo, qui avait encore ses cheveux et sescils, les uns et les autres très noirs et épais, avaitdi

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