Sans enthousiasme
42 pages
Français

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Sans enthousiasme , livre ebook

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Description

Affalé tranquille sur le canapé, Vincent sirote un thé à la menthe en fumant une cigarette. Et puis il en allume une deuxième. Il vient d'être initié sans trop savoir encore à quoi. M.Wahl n'est jamais qu'un prof qu'on lui a imposé, un prof d'allemand en plus. Pourquoi est-ce par lui qu'arrive la curiosité ? Vincent, dès qu'il le voit, veut tout savoir sur lui. Il collectionne passionnément les indices – renseignements administratifs, goûts musicaux, marque de ses biscottes sans sel – et s'épuise à lutter activement contre l'enthousiasme et ses manifestations extérieures. Et encore, s'il n'y avait qu'eux deux... Il faut faire face à une sœur potentiellement virtuose de violon parce qu'elle sent la musique, à des parents dont l'histoire ressemble à un roman-photos, et à un chien gluant de servilité. Au milieu de tout ça, le dossier de renseignements sur David Wahl s'épaissit et Vincent cultive les acquis du 10 novembre. Mais pour tout arranger, il est absent, le gros Valoche.

Informations

Publié par
Date de parution 07 novembre 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9782211218276
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le livre
Affalé tranquille sur le canapé, Vincent sirote un thé à lamenthe en fumant une cigarette. Et puis il en allume unedeuxième. Il vient d’être initié sans trop savoir encore àquoi.
M.Wahl n’est jamais qu’un prof qu’on lui a imposé, unprof d’allemand en plus. Pourquoi est-ce par lui qu’arrive lacuriosité ? Vincent, dès qu’il le voit, veut tout savoir sur lui.Il collectionne passionnément les indices – renseignementsadministratifs, goûts musicaux, marque de ses biscottes sanssel – et s’épuise à lutter activement contre l’enthousiasmeet ses manifestations extérieures.
 

L’auteure
Auteure de livres pour la jeunesse, Florence Seyvos écritaussi des ouvrages de littérature générale (elle obtient, en1995, le prix Goncourt pour son premier roman, LesApparitions ). Mais elle signe également des scénarios defilms pour le cinéma avec Noémie Lvovsky – dont Camilleredouble  – et elle traduit des livres de littérature de jeunesse.
Le thème de la solitude enfantine est récurrent dans seslivres. « C’est vrai que c’est très important pour moi, sansque je puisse expliquer pourquoi. Pendant longtemps, j’aieu l’impression que les sensations de l’enfance restaientvivaces et accessibles. J’aime écrire en puisant là-dedans ».( Tribune de Lyon , propos recueilli par Nathalie Duran)
 

Florence Seyvos
 
 

Sans enthousiasme
 
 

Médium poche
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 
Il fouilla longuement les entrailles de son cartable,et en sortit à regret un stylo et des fiches. Cen’était pas seulement de la timidité. C’était aussisimplement parce qu’il n’avait pas de plan deséduction, et que cela lui était égal, d’être aimé deses élèves ou pas.
Les élèves détestent ce genre de franchise.
Moi, j’attendais. De toute façon je ne luidemandais pas d’avoir la vocation, de nous regarder avec des yeux brillants, ou de faire preuve d’unhumour subtil et renversant. Je ne lui en voulaispas du tout, de ne pas être le prof qui apporteraitle scandale, la révolution, le feu. Celui-là, je l’avaistellement attendu en vain qu’il ne m’intéressaitplus, finalement. Il n’avait qu’à se montrer plus tôt.S’il était arrivé cet automne-là, je l’aurais trouvésuspect. Je l’aurais traité de fasciste. J’étais entré dans une période de lutte contre l’enthousiasme etses manifestations externes. C’était un combatméthodique qui occupait les trois quarts de mesjournées. Les films, les livres, les paroles deschansons, les cris de maman pour chaque nouveauprogrès de Gabrielle au violon, et cette façonvulgaire qu’avait le chien de remuer la queue dèsqu’on lui présentait une croûte de fromage, toutcela était jugé très sévèrement. Chaque excès faisait exploser mon mépris, avec modération. Selonla formule de la publicité pour l’alcool, j’avais soifde modération.
Cela me faisait donc plutôt plaisir, que le nouveau prof d’allemand n’ait pas le charisme postillonnant. C’était un peu la confirmation que j’attendais.
 
– Comme vous le savez déjà sans doute, je suisM. Wahl. J’aimerais que vous remplissiez unepetite fiche avec votre nom, votre prénom, votredate de naissance, le nom de votre ancien professeur d’allemand...
Pour nous encourager, M. Wahl ne trouva ànous offrir qu’un petit sourire plat. Ça ne m’em pêcha pas de remplir ma fiche comme on répondaux questions d’un concours. Il fallait se détacher.Après les formalités d’usage, il y avait tout demême trois questions que je pouvais m’autoriser àconsidérer comme personnelles :
– Aimez-vous l’allemand ?
– Y a-t-il un auteur, un livre allemand qui vousait particulièrement plu ?
– Qu’envisagez-vous après le bac ?
J’avais ces trois questions pour convaincre M.Wahl que j’étais quelqu’un d’intéressant, d’original,à l’esprit vif. Mon stylo resta suspendu. Le troublanc. Réfléchis, me dis-je. Calme, ça va venir.Mais ce qui venait, c’était le chef de classe quiramassait.
J’écrivis à toute allure :
– Un peu.
– Non.
– De me reposer.
Une main m’arracha ma feuille sans considération, et je mesurai l’étendue des dégâts : je venaisde dire à M. Wahl que j’étais un apathique blaséet prétentieux, un con. La première impressionétant souvent définitive dans les relations profs- élèves, je n’avais plus qu’à espérer qu’il ne liraitpas cette fiche.
Hélas, M. Wahl compensait son manque devocation par des scrupules. C’était un homme debonne volonté, un humaniste. Pour nous prouverqu’il tenterait de nous considérer comme desindividus à part entière, il fit l’appel en se servantdes fiches ramassées.
Comme tout cela est vain, c’est la phrase quime frappa à cet instant et son emphase ne me fitmême pas rire. Je me laissai couler, chaque nomprononcé par M. Wahl m’enfonçant davantage.
Briard... Chauvet... Cottin... Dapremont...Vincent Davenne. Tout de même, il fallait se battre, un peu au moins. À l’instant où nos regardsse croisèrent, j’essayai de faire passer dans le mienun message que je n’avais pas eu le temps dedéfinir, et cela donna quelque chose comme de ladésolation. M. Wahl passa à la fiche suivante.
 
À midi je le guettai pour savoir laquelle desvoitures garées devant le lycée était la sienne. Aubout de cinq minutes, ne le voyant pas, je m’enallai. Les mobylettes se croisaient dans les flaques de pluie. J’avais hâte de m’éloigner. C’était d’ailleurs une envie assez systématique depuis quelquetemps. La baignoire et mon lit étaient les seulsendroits dont je n’avais pas hâte de m’éloigner.
Au passage clouté, je vis venir une femme avecun bébé dans les bras. Je crois que je n’avais jamaisvu de bébé si petit. Il était minuscule, sa peau étaitviolacée, peut-être était-elle transparente, ellesemblait si facile à déchirer. Figé, je regardai cepetit paquet rouge et flasque entortillé de bleu, etje sentis que tant de vulnérabilité m’écœurait.
 
Le rire était l’un de mes principaux problèmes.Depuis longtemps je souhaitais laisser aux autrescette activité dégradante et son cortège obligé degloussements et d’ondulations, que les imbécilesconsidèrent comme le propre de l’homme.
Le miracle se produisit courant octobre. Jeconstatai que je n’avais plus à me mordre la langueou à imaginer la mort de Gabrielle pour maîtrisermes zygomatiques si sensibles. Le rire ne me venaitplus.
Pour célébrer cette guérison, je me fis un thé àla menthe que je sirotai sur le canapé avec unecigarette, et j’eus l’impression de connaître laSaveur de la vie. Les choses avaient soudain ungoût d’infini, je baignais dans ma propre éternitéet pendant quelques minutes, l’image de M. Wahls’estompa.
Je posai en pensée un regard plein de compréhension et d’amour sur maman et Gabrielle etadressai, toujours en pensée, un petit signe sobreà mon père. Un signe de reconnaissance, car àprésent nous étions deux à ne pas rire dans cettemaison. À la différence que moi, j’avais l’impression de tricher un peu, tandis que j’étais convaincuque le rire avait toujours été étranger à papa. Ilm’était impossible de l’imaginer en train de rire,même bébé quand on lui croquait le ventre.
Papa ne riait pas mais il s’attendrissait à laplace. Devant quelque chose de drôle il souriaitavec une sorte de soupir bienveillant. C’étaitcomme si un poids immense de vieux chagrins, defatigue et de lucidité empêchait le rire de naître.Alors sa bouche souriait tandis qu’un éclair dedouleur traversait son regard pour dire qu’il étaitdésolé de ne pouvoir faire plus, que c’était trèsdrôle mais que ça ne suffisait pas à le consoler.
 
Pour prolonger mon instant d’éternité, j’allumaiune seconde cigarette qui n’avait déjà plus le goûtde la première et eut pour résultat de faire arrivermaman. Au fond du jardin, le nez dans sa lavande, maman était capable de sentir l’odeur d’une cigarette si c’était moi qu

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