Martin perché
41 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

41 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Hier, mon père est rentré de son cabinet à l'heure du dîner, a rassemblé toute la famille dans son bureau et nous a annoncé, funèbre, que Paris était à feu et à sang . Des échauffourées entre étudiants et CRS avaient lieu dans le Quartier Latin. Un après-midi, j'étais monté jusqu'à la rue Soufflot et à la rue Gay-Lussac. Où avais-je le plus de chance de tomber sur elle, sinon là, au coeur des événements...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 mai 2018
Nombre de lectures 8
EAN13 9782211238786
Langue Français

Extrait

Le livre
Martin a grimpé dans le chêne au fond du jardin, celuique son père veut abattre, il refuse d’en descendre malgréles menaces et les supplications. Perché sur sa branche, ilrêve d’elle, Angie, la fille qui a bouleversé sa vie. Elle esttellement à part ! Elle parle aux garçons comme si elle enétait un, répond aux profs, collectionne les heures de colle.
Quand elle s’est enfuie du collège, Martin l’a suivie.Angie l’a entraîné sur les barricades du Quartier Latin.Pour elle, il a crié des slogans et lancé des pavés. Avec elle,il s’est senti vivant pour la première fois.
Nous sommes en Mai 68, Martin vient de découvrir lesmanifs, la politique et l’amour… Surtout l’amour !
 
L’auteur
Christian de Montella est né en 1957 à Chamalières.Agrégé de lettres, il a exercé divers métiers (ouvrier agricole, moniteur de gymnastique, comédien, marchand ambulant, traducteur, correcteur, expert en antiquités...). Il estle père de trois fils. En 2003, un film a été réalisé à partird’un de ses romans Les corps impatients . Le livre La fugitive est inspiré de son enfance, ainsi que Reste avec moi .
 

Christian de Montella
 
 

Martin
perché
 
 

l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

À Marie-Pierre, ma Marie-Ange
 
1
 
– Qu’est-ce qui te prend, Martin ?
Les poings sur les hanches, raide comme la justice,mon père lève le menton comme s’il vérifiait letemps qu’il fait. (Pour information : il fait très beau,le mois de mai 1968 est superbe.)
Arrive Grognard, notre chien, un airedale. Il estle seul membre de la famille à pouvoir offenser ladignité de M e Édouard Lesage, notaire, sans encourirde représailles. Aussi n’hésite-t-il pas à lui bondirdessus, les pattes avant sur sa poitrine.
– Grognard, au pied !
Ce chien est aussi le seul membre de la familleà ne pas obéir aux ordres. Fou de joie que monpère lui ait adressé la parole, il agite la queue et luijappe au visage.
– Grognard, mon Grognard, enfin… Calme-toi.
Mon père lui flatte le crâne avec une affection quim’étonne toujours. Je ne me rappelle pas qu’il m’aitjamais touché la tête, sauf d’une claque.
 
– Martin, qu’est-ce que tu fabriques là-haut ?
C’est Caroline, ma petite sœur. Elle vient de traverser le jardin en courant et s’est arrêtée net, le nezen l’air.
– C’est toi qui as laissé sortir Grognard ? luidemande mon père.
– Oui, mais pourquoi Martin est là-haut ?
– Nous réglons cette affaire, lui et moi. Attrape-moi ce chien et ramène-le à la maison.
– Oui, mais pourquoi Martin est là-haut ?
– Caroline, pas de discussion !
Ce cri offusque Grognard. Il retombe sur ses quatrepattes et lève vers son maître un œil réprobateur. Masœur le saisit par le collier.
– Non, mais pourquoi Martin est là-haut ?
– Ca-ro-line.
Elle s’éloigne à regret, tirant le chien derrière elle.Il est si grand et elle si petite qu’elle pourrait le chevaucher et partir au galop.
 
Mon père frotte vigoureusement les deuxempreintes terreuses que Grognard a laissées sur son polo. Il ne parvient qu’à élargir les taches. Exaspéré,il croise les bras et relève le menton.
– Je t’ai posé une question, mon garçon.
– Mais enfin, Martin, qu’est-ce que tu fais là-haut ? demande la voix de ma mère, dans son dos.
– Allons bon, soupire-t-il, ça recommence.
– Qu’est-ce qui recommence, Édouard ?
– Les questions oiseuses sur l’altitude qu’a crudevoir prendre ton fils, par exemple.
Elle se poste à sa gauche. Dans la même attitude :bras croisés, menton en l’air.
– J’avais un chat, quand j’étais petite, dit-elled’une voix songeuse. Ficelle, on l’appelait. Il était trèsmaigre. Un jour…
– Francine, murmure mon père, la voix tendue.S’il te plaît. Pas maintenant.
– Quoi ? Tu ne veux pas savoir ce qui est arrivé àce pauvre chat ?
– Oh, il est patent que j’en meurs littéralementd’envie, Francine, répond mon père, sarcastique, lesdents serrées.
– Eh bien, figurez-vous qu’un jour il a grimpédans un arbre et après, impossible de le faire redescendre. On est restés jusqu’à la nuit à l’encourager, àle supplier. Je lui ai même lancé des cailloux – oh, destout petits, je ne voulais surtout pas lui faire de mal.
– Je reconnais bien là ton cœur sensible, Francine,ironise mon père.
– Le lendemain matin, première chose : je coursjusqu’à l’arbre. Et vous savez quoi ?
– Dis-le-nous, Francine, je ne voudrais surtoutpas mourir ignorant, la raille mon père.
Elle écarte soudain les bras, comme un plongeurqui tente le saut de l’ange.
– Plus de chat ! Disparu ! Envolé ! Volatilisé !
– Affreux – que dis-je ? –, abominable dénouement, Francine, persifle mon père.
– On ne l’a plus jamais revu.
– Jamais entendu une histoire plus tragique.
Elle recroise les bras et, l’air naïf et interrogateur,se tourne vers lui.
– Est-ce que tu crois, toi, Édouard, qu’un hiboul’a emporté ?
– Je ne saurais l’affirmer avec précision, Francine,grince mon père.
– Tu vois ? Je me disais bien… En tout cas, c’est ceque la cuisinière de maman a prétendu à l’époque. Uneméchante femme. Je ne lui ai jamais fait confiance.Elle m’obligeait à manger le gras de la viande.
– Une tortionnaire, c’est indubitable, dit mon père,goguenard.
Elle s’éloigne en se rongeant les ongles, méditant sur cette énigme. Après quelques pas, elle me lance,sans me regarder :
– Méfie-toi du hibou, Martin.
– Oh, assure mon père, ton fils n’aura l’occasionde croiser ni le hibou, ni la chouette, ni la hulotte,ni aucun membre de la famille des strigidés. Il vadescendre de cet arbre séance tenante.
– Jamais, lui dis-je.
Il se replante les poings sur les hanches, sardonique.
– Tu comptes sans doute passer le reste de ta vieperché sur cette branche ?
– S’il le faut, oui.
 
2
 
Hier, mon père est rentré de son cabinet à l’heure dudîner, a rassemblé toute la famille dans son bureau etnous a annoncé, funèbre, que Paris était « à feu et àsang ». Il a ajouté quelques remarques sans doute d’ungrand intérêt politique, mais je ne les ai pas écoutées.Auparavant, il avait déclaré :
– Nous nous replions à Clair Logis ce soir même.Par précaution, j’avais fait le plein d’essence il y aquelques jours.
Oui, il n’a pas dit « nous partons », mais « nousnous replions ». C’était la guerre. Ou octobre 1917,comme il le marmonnait en surveillant ma mère quifaisait les valises. Octobre que nous passerions en cemois de mai à Clair Logis , notre maison de campagne,à une centaine de kilomètres de Paris. Quant au carburant, toutes les pompes de France étaient vides etmon père maladivement prévoyant.
Ces diverses considérations d’intérêt inégal étaient pour moi balayées par une autre, primordiale : je ne la retrouverais jamais. Chaque jour je retournais quaides Grands-Augustins, dans l’espoir que sa mère etelle soient de retour. Ensuite, déçu, je rôdais dans lequartier Saint-Séverin, examinant les immeubles l’unaprès l’autre, sans parvenir à identifier celui de la nuitdu 10 au 11 mai. Je dévisageais les passants. Peut-êtrecroiserais-je Julius et, après m’avoir invité à boire lematé, me révèlerait-il où elle se cachait ?
Des échauffourées entre étudiants et CRS avaientlieu dans le Quartier Latin. Un après-midi, j’étaismonté jusqu’à la rue Soufflot et à la rue Gay-Lussac.Où avais-je le plus de chances de tomber sur elle,sinon là, au cœur des événements ?
Place de la Sorbonne, deux policiers c

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents