Quand je pense à la résistance
30 pages
Français

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Quand je pense à la résistance , livre ebook

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Description

Si elle n'avait pas eu M. Manoir en histoire-géo, Marianne n'aurait sans doute jamais commencé à tricher.
Mais face à ce professeur tonitruant, qui fait des moulinets furieux avec une grande règle en bois, qui fustige les élèves à tout propos et exige qu'on trace la carte de l'Amérique du Nord de mémoire et sans lever le crayon, tricher est devenu, dès le premier jour, un réflexe d'autodéfense.
C'est un peu comme pour ce grand concours régional sur le thème « Enfance et Résistance ». En tant que première de la classe, Marianne est obligée de rendre une copie géniale, voire de gagner.
Au début, le sujet lui plaisait, elle trouvait que les deux mots allaient bien ensemble. Elle avait plein d'idées très personnelles, et plutôt hilarantes. Mais les conseils de M. Manoir ont été aussi clairs que des menaces : il n'est pas question de parler de soi, et le sujet est grave.
Alors Marianne fait ce qu'on lui demande. De la résistance, justement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 décembre 2015
Nombre de lectures 14
EAN13 9782211226905
Langue Français

Extrait

Le livre
Si elle n’avait pas eu M. Manoir en histoire-géo, Mariannen’aurait sans doute jamais commencé à tricher.
Mais face à ce professeur tornitruant, qui fait des moulinets furieux avec une grande règle en bois, qui fustige lesélèves à tout propos et exige qu’on trace la carte del’Amérique du Nord de mémoire et sans lever le crayon,tricher est devenu, dès le premier jour, un réflexe d’autodéfense.
C’est un peu comme pour ce grand concours régionalsur le thème « Enfance et Résistance ». En tant que première de la classe, Marianne est obligée de rendre unecopie géniale, voire de gagner.
Au début, le sujet lui plaisait, elle trouvait que les deuxmots allaient bien ensemble. Elle avait plein d’idées trèspersonnelles, et plutôt hilarantes. Mais les conseils deM. Manoir ont été aussi clairs que des menaces : il n’estpas question de parler de soi, et le sujet est grave.
Alors Marianne fait ce qu’on lui demande. De la résistance, justement.
 

L’auteure
Après avoir voulu être juge, Sophie Chérer est devenuejournaliste et écrivain. Elle écrit des romans, des articles,des nouvelles, rédige des quatrièmes de couverture, élèvesa fille et cultive son jardin. Elle est douée d’une énergieconsidérable et d’un humour à toute épreuve.
 

Sophie Chérer
 
 

Quand je pense
à la Résistance
 
 

Médium
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
 

A ma mère Noëlle
I
 
Quand monsieur Manoir était arrivé au collègecomme professeur d’histoire-géographie au débutde l’année scolaire, on ne, sait pas pourquoi maisil était précédé d’une réputation épouvantable.On disait qu’il était d’une sévérité exceptionnelle,on murmurait qu’il ne mettait jamais une seulenote au-dessus de onze sur vingt, on racontaitqu’il entrait dans des colères terribles, allantjusqu’à fracasser la large règle de tapissier en boisqui ne quittait jamais sa main gauche sur la tête oule dos du premier venu. On avait soupiré en apprenant qu’on l’avait. A cause de son nom peut-être, ou parce qu’on savait qu’il venait du Midi,on l’imaginait sombre et râblé. Quand une espècede géant roux avait franchi à l’heure dite le seuil de la classe en faisant claquer sa règle plate sur letableau pour que tout le monde se mette au garde-à-vous, on avait cru à une erreur. C’était le seulprofesseur qui n’avait pas souri en passant lesélèves en revue.
– Je m’appelle monsieur Manoir, avait-il ditd’une voix forte, en prononçant Manouarrr.Comme un manoir. Vous savez ce que c’est qu’unmanoir, au moins ?
– Un château, m’sieur ! avait répondu PatrickSchwarzkopf en levant le doigt.
– Un petit château ! Campagnard ! Du verbelatin manere  ! Qui signifie demeurer !
Le géant martelait ses mots, il avait posé sonregard successivement sur quatre élèves, correspondant à ses quatre accentuations. Petit étaittombé sur Maxime, qui était le plus petit garçonde la classe, campagnard sur Joëlle, dont les parentsétaient agriculteurs, manere sur Agnès, qui faisaitdes chichis tout le temps et avait rougi comme unetomate en croyant qu’il la traitait de maniérée, et demeurée était tombé sur Marianne, qui s’était un peu agitée sur sa chaise sans oser quêter le regardde Mady à côté d’elle. D’habitude, c’était plutôtPetit Génie qu’on l’appelait.
Ensuite il avait demandé de prendre un rectangle de papier format 21 centimètres par 14, 85et d’y inscrire les noms, prénoms, adresses, datesde naissance, professions des parents, âges desfrères et sœurs, titres des derniers livres lus, périodes préférées de l’Histoire, endroits où l’onavait déjà voyagé, et d’indiquer si, à la maison, onavait une pièce où l’on pouvait s’isoler pour travailler.
– Moi, c’est les chiottes, avait dit tout haut Joseph Camarda. Il veut savoir aussi la couleur dupapier qu’on a dedans ?
Monsieur Manoir l’avait sûrement entendumais il était occupé à traiter d’andouilles et debougres d’abrutis ceux qui n’avaient pas comprisqu’un rectangle de papier 21 × 14, 85, c’est ni plusni moins la moitié d’une feuille standard et quicommençaient à se lancer dans des calculs compliqués et à mesurer leurs petits carreaux avec des règles graduées. La sienne, de règle, s’était agitéedans l’air comme un tremplin après triple saut périlleux mais cette fois, elle n’avait encore touchépersonne.
Marianne était tellement impressionnée qu’elleavait écrit n’importe quoi sur sa feuille sans parvenir à se concentrer une seconde : que ces derniers temps elle avait lu les Mémoires de Saint-Simon et Belle du Seigneur d’Albert Cohen, qu’elleétait passionnée par la période gallo-romaine etqu’elle avait déjà visité le Mexique, le Danemark,la Norvège, le Sénégal et le Guatemala. Les Mémoires de Saint-Simon étaient la lecture de sonpère depuis six mois, Belle du Seigneur le livre devacances de sa mère qui avait bassiné son entourage tout au long du mois d’août en se faisant riretoute seule avec des imitations de la belle-mère del’héroïne qui disait tout le temps « cas que » et« c’est jeuli », wouaaaaaaah ha ha ha ha, pendantque Marianne retrouvait avec une émotion inavouable sa collection complète de Oui-Oui. La période gallo-romaine était, à son sens, la plus mor telle de toutes avec ses alignements de pièces demonnaie bouffées aux mites, ses plans de maisonsouvertes à tous les vents avec des noms de piècesà coucher dehors et ses amphores en mille morceaux, mais voilà, le principal musée de la grandeville la plus proche était un Musée gallo-romain,alors c’était la première période qui lui était venueà l’esprit. Quant aux voyages, ses parents louaientdepuis dix ans la même maison en Italie mais Marianne avait comme lampe de chevet une mappemonde lumineuse, cadeau de sa marraine pour sescinq ans, sur laquelle, inscrits en noir sur fondrouge, jaune, vert et violet, certains nomsbrillaient plus que d’autres.
Elle en voulait à ce type roux. Elle n’aimait pasqu’on soit fidèle à sa réputation. Elle lui en voulait d’être le premier professeur à lui faire peur, ellelui en voulait de l’avoir obligée à mentir, et maintenant elle se demandait quel mode de suicide ellechoisirait quand il demanderait à la cantonade si lademeurée pouvait venir au tableau nous parler deses lectures et de ses expéditions.
Et voilà que, par-dessus le marché, il se mettait à sortir un paquet de Gitanes maïs puantes età en allumer une.
– S’il y en a que la fumée dérange, ils n’ontqu’à sortir.
– Je croyais que la loi interdisait de fumer dansles lieux publics, monsieur, avait dit PatrickSchwarzkopf.
– C’est exact, petit crétin. Et cette loi, jel’emmerde et je l’enfreins, comme toi. La différence entre nous, c’est que toi tu enfreindras laloi en allant fumer en cachette dans les toilettespubliques de l’école publique, et que moi je l’enfreins en fumant en public. Il faut que tu sachesque cette année nous aurons à parler de laDeuxième Guerre mondiale. Elle n’est pas auprogramme, mais il n’y a pas que le programmedans la vie. C’est une période où, en France etdans une bonne partie de l’Europe, ceux qui appliquaient les lois à la lettre étaient des salauds, descrapules et des assassins, et les gens à peu prèshonnêtes étaient ceux qui refusaient de se sou mettre aux lois. La loi française de l’époque prescrivait de dénoncer ses voisins quand ils étaientjuifs. La loi française envoyait des enfants privésde leur mère mourir de faim dans les camps. Elleétait belle, hein, la loi française, bande de petitsFrançais ?! Eh bien aujourd’hui, tout a changé. Laloi française protège les petits enfants en interdisant aux vilains professeurs de leur filer le canceravec leurs exhalations de nicotine et de goudron !Mais le cancer, vous l’attraperez de toute façon,le cancer des préjugés, le cancer du conformisme,le cancer de la santé !
A ce moment-là, Philippe Gordini s’était misà pleurer parce qu’il venait justement

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