La lecture à portée de main
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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'école des loisirs |
Date de parution | 12 décembre 2015 |
Nombre de lectures | 11 |
EAN13 | 9782211226820 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Le livre
Bon-Papa est mort. Bon-Papa qui appelait SuzanneCocotte, qui faisait des blagues vraiment pas drôles avec lamousse de sa bière, qui avait une chemise à carreaux trempée de sueur, qui dégommait les taupes au fusil, et quidisait : « Voyons, on ne pleure pas pour un hamster. »
Bon-Papa à qui Suzanne tirait la langue, intérieurement, plusieurs fois par jour, parce qu’elle en avait marrede ses plaisanteries, qu’elle était contre l’assassinat detaupes, et qu’elle avait beaucoup pleuré à la mort de sonhamster.
Bon-Papa est mort dans sa chemise à carreaux, en tondant la pelouse avec Suzanne.
La maison est pleine de larmes, de coups de téléphone,d’hommes en chaussures noires, et de silences inquiétants.Dans la cour, il y avait une grande malle noire.
Suzanne se pose des questions, elle pense à Bon-Papa etelle attend l’arrivée de l’oncle Henri.
L’auteure
Après avoir voulu être juge, Sophie Chérer est devenuejournaliste et écrivain. Elle écrit des romans, des articles,des nouvelles, rédige des quatrièmes de couverture, élèvesa fille et cultive son jardin. Elle est douée d’une énergieconsidérable et d’un humour à toute épreuve.
Sophie Cherer
Une brique sur la tête
de Suzanne
Neuf en poche
l’école des loisirs
11, rue de Sèvres, Paris 6 e
À la mémoire
de Yolande et Ernest Werner
S uzanne détestait que Bon-Papa l’appelle cocotte, ou qu’il lui dise « Çachmèque ? » 1 dans son patois frontalier. Çafaisait des mois que tout ce qu’il disaitl’agaçait et que tout ce qu’il faisait l’énervait. Sa façon de faire bchrlbwirlchll enplongeant dans sa chope de bière et d’enressortir avec une moustache de mousse,comme si elle avait trois ans et qu’il fallaitl’amuser. Cette habitude qui devenaitminante de vouloir tous les jours avant ledéjeuner faire une partie de poker d’as ettous les soirs avant le dîner une partie descrabble junior. L’année prochaine, aumoins, Suzanne irait à la cantine, elle seraitdébarrassée. Cette habitude dégradante de la laisser gagner, comme si elle avait sixans et qu’il fallait lui faire une fleur. Seschemises à carreaux toutes trempées desueur quand il revenait de tondre lapelouse le dimanche matin. Sa façon dedire la plouse comme un plouc. Sa façond’appeler Mamy mon p’tit et elle qui luirépondait mon grand. Sa façon de ci, safaçon de ça. Ses façons. Si Suzanne sedemandait à quand remontait son dégoût,elle trouvait la mort de Riquiqui.
Un soir, Maman avait trouvé Riquiquimort dans sa cage, avec ses petits bouts depomme et de carotte même pas grignotésautour de lui, ses jouets tout morts aussi,les grelots silencieux, la roue aux barreauxtout rongés sans mouvement. Sa fourrureétait glacée. On l’avait mis dans une boîteà chaussures avec du coton au fond et le lendemain Suzanne et Maman étaient alléesen procession l’enterrer sous le sapin dufond où reposaient déjà Mimi et Caroline,les tortues, plus une souris, une grenouille,un corbeau, quelques hannetons et tous lesbourdons que Mamy avait supprimés auFly-Tox et que Suzanne avait pu récupérer.En le découvrant mort, Maman s’étaitprécipitée pour prendre Suzanne dans sesbras et elles avaient pleuré ensemble assezlongtemps. Suzanne encore en larmes étaitallée annoncer la nouvelle à Mamy etBon-Papa mais tout ce que Bon-Papa avaittrouvé le moyen de dire en regardantailleurs et en retenant tout doucementSuzanne qui voulait grimper sur ses genoux, c’était : « Voyons cocotte, ne pleurepas pour un hamster ! »
Déjà, quand elle y repensait, l’étéd’avant, un dimanche après-midi où elle lui signalait, pour la beauté de la chose, un nidde taupe en train de surgir au beau milieude la pelouse, au lieu de regarder avec elle,bien tranquillement accoudé à la balustradede la terrasse, il avait foncé chercher sonfusil. Il était revenu. Il avait visé. Il avaittiré. Il avait tué la taupe sur le coup.Mamy jubilait. Elle était fière de songrand. Le pire, c’est qu’après son assassinat,il avait tranquillement sorti son portefeuille, il en avait tiré une grosse pièce, ill’avait tendue à Suzanne. En paiement desa délation. C’était la première fois qu’elleavait refusé un de ses cadeaux. Elle avaitjuste fait non avec la tête. Deux heuresplus tard, en regardant un western, elleavait trouvé la réplique qui faisait mouche.C’était : « Je ne suis pas rabatteuse à gagespour les tueurs de sang-froid ». Ça sonnaitbien mais c’était trop tard. De toute façon, avec eux, il y aurait d’autres occasions dele replacer. Ils étaient insensibles à la mort.Surtout lui. Voilà ce que trouvait Suzannequand elle remontait dans ses souvenirspour savoir de quand datait son dégoût deson grand-père.
1 « C’est bon » en patois lorrain.
C ’était la dernière bouchée. Avec salangue, Suzanne passait et repassaittoutes les précédentes d’un coin de sabouche à un autre, du palais aux dents dufond, sans réussir à en avaler une seulemiette, sans marquer un seul essai.
Elle essayait de s’aider en ajoutant despommes de terre sautées mais ça ne faisaitque grossir le tas gluant qui lui lestait lamâchoire. Bon-Papa faisait un grand chlhlwhlwtl ! en enfournant une fourchettéede salade pleine de vinaigrette. Il trouvaittoujours que Mamy mettait à peine assezde vinaigrette et quand tout le mondes’était servi, sauf Suzanne qui n’en prenaitpas, il sauçait le saladier avec son pain.
Maintenant, il mâchait : crchnch crchnch ! alors Suzanne n’en put plus, elle lui tira lalangue. Pas devant tout le monde, évidemment, parce que d’abord elle aurait eudu mal à la sortir, sa langue, avec tout cequ’elle était en train de ruminer dessus, etparce qu’ensuite elle aurait récolté unesacrée paire de claques de la part deMaman qui n’hésitait pas à dire pis quependre de son ex-mari en présence de safille mais restait très sourcilleuse quant aurespect filial dès lors qu’il s’agissait de sonpère à elle. Suzanne tira pourtant la languepour de vrai quand même, en la pointantbien dans la direction de Bon-Papa, tout enla maintenant à l’intérieur de la bouche. Lalangue était obligée de se frayer un cheminentre les dents et les boules de viande àmoitié mâchées. Elle vint heurter la paroide la joue juste à l’endroit souhaité. Si elleavait transpercé la joue à cet instant, si elle s’était déroulée tout à coup comme unmirliton ou la langue d’un serpent et avaitcontinué sa trajectoire à toute vitesse, paf !elle aurait eu Bon-Papa juste entre les deuxyeux.
C’est un truc que Suzanne avait trouvé ily a trois mois déjà, pendant une partie depoker d’as. Elle en avait tellement assez degagner, tellement assez de jouer fauxqu’à un moment ç’avait été plus fortqu’elle : il fallait qu’elle tire la langue à songrand-père. Et en même temps, c’était plusfort qu’elle : il ne fallait évidemment pasqu’elle tire la langue à son grand-père.Alors elle avait trouvé ce pis-aller, cettedemi-mesure qui ne l’avait satisfaite qu’àmoitié.