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Description
Sujets
Informations
Publié par | Le Lys Bleu Éditions |
Date de parution | 12 mars 2019 |
Nombre de lectures | 1 |
EAN13 | 9782378779535 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0020€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Gisèle Kaczmarek
Au-delà des lignes
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Gisèle Kaczmarek
ISBN : 978-2-37877-953-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.
À mes petits enfants
Laure et Justine, Manon et Axel
À mes fils Laurent et François
et à leurs épouses Sylvie et Christine
À mes frères et sœurs
« Je sais, un peu partout, tout le monde
s'entretue, c'est pas gai, mais d'autres
s'entrevivent, j'irai les retrouver ».
Jacques Prévert
La Ligne
Je tiens ces récits de Cilette, ma mère qui avait 15 ans en 1940 et habitait un hameau tout près du petit village de Jully les Buxy et de Jean et Thérèse les parents de mon premier mari, âgés à l'époque d'une trentaine d'années et vignerons à Saint Vallerin près de Montagny en Saône-et-Loire.
Le 17 juin 1940, après l'effondrement de l'armée Française, le Maréchal Pétain annonce la capitulation de la France tandis que le Général de Gaulle rejoint l'Angleterre et lance le 18 juin 1940 son appel à continuer la lutte contre l'occupation nazie. Ce même jour en Bourgogne les villes de Dijon et du Creusot sont prises par les Allemands.
Le 22 juin 1940, dans la forêt de Compiègne et en présence d'Hitler, Pétain signe l'armistice avec le IIIème Reich. Il est prévu, entre autres mesures, le découpage de la France en plusieurs zones séparées par une ligne de démarcation et principalement une zone libre et une zone occupée. Le 29 juin 1940, le gouvernement présidé par Pétain s'installe à Vichy.
Le département de Saône-et-Loire est coupé en deux d'ouest en est. La ligne de démarcation suit la Saône et passe au sud de Buxy qui se trouve en zone occupée. Saint Vallerin, Montagny et Jully les Buxy sont en zone libre.
Juillet 1940
— Fi de Dieu, bougonna Jean en entrant dans la cuisine, je crois ben que les boches arrivent ! Je viens de voir passer leur convoi au bout de la cour et ils se dirigent sur Montagny.
— Montagny, répéta avec effroi Thérèse son épouse, mais ils sont chez nous.
— Ah, qu'ils viennent ces salauds, tu m'entends bien, je les attends au bout de la cour avec ma fourche.
Thérèse qui connaissait le caractère emporté mais inoffensif de son mari sourit en l'imaginant aux prises avec une armée d'Allemands déjà en terrain conquis.
— Tiens v'là le Marcel, annonça Jean, sûrement pas pour une bonne nouvelle, il est comme les curés, quand il se déplace on peut être sûr du pire.
Marcel était le garde champêtre du village et faisait la tournée des maisons sur l'injonction du maire.
— Mon pauvre vieux Jean, j'ai pas une bonne nouvelle !
— Ah, ça, tu m'étonnes pas, quand on te voit c'est jamais bon, alors, vas-y.
— Attends un peu, ça grimpe pour venir chez toi et ça fait soif, dit Marcel en posant son képi et en s'essuyant le front avec son large mouchoir à carreaux.
Thérèse, toujours très accueillante avait déjà posé deux verres sur la table et avait sorti la bouteille de Bourgogne de 1939, année de naissance de son troisième fils, entamée la veille avec l'instituteur venu discuter de la prise du Creusot, juste à 36 kilomètres.
— T'es ben la meilleure du pays la Thérèse ! Bon, bon, j'y viens, t'auras tout le temps de t'énerver plus tard le Jean, dit Marcel en vidant son verre d'une traite. J’te préviens que la ligne de démarcation qui va séparer la France en deux, passe au milieu de tes vignes sur la route de Buxy.
— Quoi, s'égosilla Jean, dans mes vignes, t'es pas beurdin des fois ?
— T'as qu'à aller à la mairie si tu me crois pas mon vieux gars, bon c'est pas le tout mais j'ai pas fini ma tournée, salut et à la revoyure.
Jean se mit en colère, jura que si Pétain venait au bout de sa cour, il l'embrocherait avec sa fourche. Thérèse qui connaissait la ritournelle prit son seau et partit traire les vaches. Elle avait trois enfants en bas âge et elle était terrorisée par cette proximité avec l'ennemi. Jean, de plus en plus agacé, décida de rendre visite à son copain Paul qu'il savait très engagé politiquement contre cette guerre et jetait les premières bases de la résistance à l'ennemi.
— Saint Vallerin et Montagny sont en zone libre mais la ligne de démarcation passe au sud de Buxy à 3 kilomètres d'ici. Comme t’a dit Marcel, elle passe en plein milieu de tes vignes, expliqua Paul, et il te faudra un ausweis…
— Un quoi, l'interrompit Jean, tu peux pas parler français, si tu te mets à causer comme les boches, où on va !
— Un laissez-passer si tu préfères…
— Ah mais, je préfère rien du tout ! Je veux aller et venir dans mes vignes sans que ces fumiers m'en empêchent, hurla Jean et si j'en trouve un dans ma propriété je lui perce le bide avec ma fourche !
— Nous allons organiser la résistance, les jeunes prendront le maquis et nous les anciens et les chargés de famille les ravitaillerons en nourriture et en vêtements. Ce sera difficile mais nous ne pouvons pas rester à ne rien faire alors que les Allemands tuent, torturent et ruinent notre pays. Tu seras des nôtres pas vrai ?
Jean était un homme de convictions. Il exécrait les Allemands et leurs complices français. Il mettait dans le même sac sans distinction, les bourgeois, les aristos, les politiciens corrompus, les policiers et les gendarmes toujours très prompts à exécuter les basses œuvres de Vichy aux ordres du IIIème Reich et de la Gestapo.
Il retrouva Thérèse dans la souillarde jouxtant la cuisine. Comme chaque soir après la traite, elle préparait ses fromages en versant le sel et la présure dans le lait. Elle était très inquiète et s'en ouvrit à son mari. Jean la rabroua fermement et elle se mit à pleurer. Il était incapable de la consoler et préféra s'en aller. C'était un brave homme toujours prêt à aider les autres mais il était avant tout un rude paysan, à l'enfance difficile, attaché à sa terre et à ses vignes. C'était plutôt un « taiseux », il était bourru et ne savait jamais dire une gentillesse, ni à sa femme ni à ses enfants. Il était craint et respecté par tout le village.
La vie des français était très difficile, les Allemands avaient la main mise sur l'économie et contrôlaient les mines de charbon, le textile, l'acier et les cultures vivrières. La nourriture manquait, surtout dans les villes car en campagne chacun se débrouillait avec une parcelle de jardin et un élevage de volailles et de porc.
La ligne de démarcation était presque infranchissable et Jean avait dû faire profil bas chaque fois qu'il se rendait dans ses propriétés. Toujours accompagné de soldats armés qui ne comprenaient pas un mot de français, il se faisait un plaisir de les insulter, de leur promettre des coups de fourche dans le derrière. À l’heure du casse-croûte, il dégustait de larges tranches de pain et