L été
425 pages
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L'été , livre ebook

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Description

Romain Rolland (1866-1944)



"Dans le demi-jour de la chambre aux volets tirés, assise sur son lit, d’un peignoir blanc vêtue, Annette souriait. Sa chevelure défaite, qu’elle venait de laver, lui couvrait les épaules. Par la fenêtre ouverte, s’étalait immobile la chaleur d’or d’un après-midi d’août ; sans le voir, on sentait au dehors la torpeur du jardin de Boulogne, dormant sous le soleil. Annette participait à cette béatitude. Elle pouvait rester des heures, étendue, sans bouger, sans penser, sans besoin de penser. Il lui suffisait de savoir qu’elle était deux ; et elle ne faisait même pas l’effort de causer avec le « tout-petit » qui était en elle, parce qu’(elle en était sûre) il sentait ce qu’elle sentait, ils s’entendaient sans parler. Des ondes de tendresse passaient dans la somnolence heureuse de son corps. Et puis, elle replongeait dans le sourire endormi.


Mais si l’esprit était assoupi, les sens avaient gardé une merveilleuse clairvoyance, ils suivaient au fil des instants les plus fines vibrations de l’air et de la lumière... Une suave odeur de fraise dans le jardin... Elle s’en délectait, du nez et de la langue. Son oreille amusée goûtait les moindres bruits, les feuilles frôlées par un souffle, le sable foulé par un pas, une voix dans la rue, une cloche qui sonnait vêpres. Et le grondement qui monte de la grande fourmilière : Paris en 1900... L’été de l’Exposition. Dans la cuve du Champ de Mars, fermentaient au soleil des milliers de grappes humaines... Assez loin, assez près du monstrueux bouillonnement pour sentir sa présence et pour être protégée, Annette jouissait, par contraste, de l’ombre et de la paix du nid. Vaines agitations ! La vérité habite en moi..."



Suite de "Annette et Sylvie".


Deuxième volet de la tétralogie "L'âme enchantée".

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374637211
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'âme enchantée
II


L'été


Romain Rolland


Juillet 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-721-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 721
PREMIÈRE PARTIE

Dans le demi-jour de la chambre aux volets tirés, assise sur son lit, d’un peignoir blanc vêtue, Annette souriait. Sa chevelure défaite, qu’elle venait de laver, lui couvrait les épaules. Par la fenêtre ouverte, s’étalait immobile la chaleur d’or d’un après-midi d’août ; sans le voir, on sentait au dehors la torpeur du jardin de Boulogne, dormant sous le soleil. Annette participait à cette béatitude. Elle pouvait rester des heures, étendue, sans bouger, sans penser, sans besoin de penser. Il lui suffisait de savoir qu’elle était deux ; et elle ne faisait même pas l’effort de causer avec le « tout-petit » qui était en elle, parce qu’(elle en était sûre) il sentait ce qu’elle sentait, ils s’entendaient sans parler. Des ondes de tendresse passaient dans la somnolence heureuse de son corps. Et puis, elle replongeait dans le sourire endormi.
Mais si l’esprit était assoupi, les sens avaient gardé une merveilleuse clairvoyance, ils suivaient au fil des instants les plus fines vibrations de l’air et de la lumière... Une suave odeur de fraise dans le jardin... Elle s’en délectait, du nez et de la langue. Son oreille amusée goûtait les moindres bruits, les feuilles frôlées par un souffle, le sable foulé par un pas, une voix dans la rue, une cloche qui sonnait vêpres. Et le grondement qui monte de la grande fourmilière : Paris en 1900... L’été de l’Exposition. Dans la cuve du Champ de Mars, fermentaient au soleil des milliers de grappes humaines... Assez loin, assez près du monstrueux bouillonnement pour sentir sa présence et pour être protégée, Annette jouissait, par contraste, de l’ombre et de la paix du nid. Vaines agitations ! La vérité habite en moi. ..
Son ouïe, subtile et distraite, comme celle d’un chat, happait l’un après l’autre tous les bruits qui passaient, et paresseusement les laissait retomber ; elle saisit, à l’étage au-dessous, le timbre de la porte d’entrée, et reconnut les petits pas de Sylvie, toujours courante. Annette eût mieux aimé rester seule. Mais elle était si solidement installée dans sa félicité que, n’importe qui viendrait, rien ne pourrait la troubler.
Il y avait huit jours seulement que Sylvie était avertie. Depuis le printemps dernier, elle était restée sans nouvelles de sa sœur. Une aventure personnelle, sans beaucoup l’émouvoir, l’avait assez occupée pour ne pas lui laisser remarquer la longueur du silence. Mais quand, l’affaire liquidée, elle s’était retrouvé l’esprit libre et le temps d’y songer, elle commença de s’inquiéter. Elle vint aux nouvelles, chez la tante de Boulogne. Elle fut bien surprise d’apprendre qu’Annette était revenue, et depuis si longtemps. Elle se disposait à rabrouer l’oublieuse ; mais Annette lui ménageait d’autres sujets d’étonnement : avec une émotion voilée, elle lui avait conté tout uniment l’histoire. Sylvie eut grand peine à l’écouter jusqu’au bout. Qu’Annette, la sage Annette, eût fait cette folie et qu’elle se refusât ensuite au mariage, non, ça, c’était inouï, elle ne le tolérerait pas !... Cette petite Lucrèce était scandalisée. Elle s’emporta contre Annette, elle la traita d’insensée. Annette restait paisible. Il était évident que rien ne la ferait changer. Sylvie sentait qu’elle n’avait aucune prise sur cette entêtée : elle l’aurait bien battue !... Mais le moyen d’en vouloir à cette chère figure, qui vous écoutait dire, avec un sourire désarmant ! Et puis, le charme secret de cette maternité... Sylvie la maudissait, comme une mauvaise chance. Mais elle était trop femme pour n’en pas être attendrie...
Et aujourd’hui encore, elle venait, décidée à bousculer Annette, à avoir enfin raison de sa stupide résistance, à l’obliger à demander le mariage, – sinon... « sinon, je me fâche !... » Elle entra, en coup de vent. Elle sentait la poudre de riz et de bataille. Et, pour se mettre en train, avant de dire bonjour, elle grondait contre cette folie de passer ses journées, enfermée dans le noir. Mais aussitôt qu’elle vit les yeux heureux d’Annette, qui lui tendait les bras, elle courut à elle et elle l’embrassa. Elle continuait de gronder :
–  Folle ! La folle ! Archi-folle !... Avec ses grands cheveux sur son long peignoir blanc, elle se donne l’air d’un ange... Hein ! comme on serait trompé !... Sainte-nitouche ! Petit chenapan !...
Elle la secouait. Annette se laissait faire, d’un air las et content. Sylvie s’arrêta au milieu de sa chanson, lui prit le front entre les mains, lui écarta les cheveux :
–  Elle est fraîche, elle est rose, jamais je ne lui ai vu d’aussi belles couleurs. Et cette mine triomphante ! Il y a de quoi ! Tu n’as pas honte ?
–  Pas la moindre ! fit Annette. Je suis heureuse, comme je ne l’ai jamais été. Et si forte, si bien ! Pour la première fois de ma vie, je me sens complète, je ne cherche plus rien. Ce désir d’un enfant qui va être rempli date de si loin dans ma vie ! Depuis que j’étais enfant moi-même... oui, je n’avais pas sept ans... j’en rêvais déjà.
–  Tu es une menteuse, dit Sylvie. Il n’y a pas six mois, tu me disais que jamais tu n’avais connu la vocation de la maternité.
–  Tu crois ? J’ai dit cela, vraiment ? fit Annette, déconcertée. C’est vrai, j’ai dit cela. Je n’ai pourtant pas menti, ni maintenant, ni alors... Comment expliquer ? Je n’invente pas. Je me souviens très bien.
–  Je connais cela, dit Sylvie. Quand j’ai une toquade, je me souviens aussitôt que depuis que je suis née, je n’ai jamais voulu que ça.
Mais Annette faisait une moue mécontente :
–  Non, tu ne comprends pas. C’est ma vraie nature, celle que je sens aujourd’hui, elle a toujours été ; mais je n’osais pas me l’avouer, avant que l’heure fût venue ; j’avais peur d’être déçue. Maintenant... ah ! maintenant, je vois que c’est encore plus beau que ce que j’espérais... Et c’est moi tout entière. Je ne veux rien de plus...
–  Quand tu voulais Roger, ou Tullio, dit Sylvie malignement, tu ne voulais rien de plus...
–  Ah ! tu ne comprends rien !... Est-ce que cela peut se comparer ? Quand j’aimais – (ce que vous appelez : « aimer »), – ce n’est pas moi qui voulais, j’étais forcée... Comme j’ai souffert de cette force qui me tenait, sans que je pusse résister ! Combien de fois j’ai prié, pour en être délivrée !... Et voilà que, justement, lui, lui, mon tout-petit, il est venu à mon secours, lorsque je me débattais dans les liens de cette souffrance que l’on appelle : amour, il est venu, il m’a sauvée... Mon petit libérateur !...
Sylvie se mit à rire. Elle n’avait rien compris aux raisons de sa sœur. Mais elle n’avait pas besoin de raisons pour comprendre son instinct maternel : là-dessus, les deux sœurs seraient toujours d’accord. Elles entamèrent un tendre bavardage sur le petit inconnu – (serait-il homme ou femme ?) – et sur les mille riens, graves et futiles, qui ont trait à sa venue, et dont une femme n’est jamais lasse de babiller.
Elles causaient ainsi depuis longtemps, quand Sylvie se souvint qu’elle était venue pour faire la leçon, et non pour chanter un duo. Elle dit :
–  Annette, assez de folies ! Il y a temps pour tout. Roger te doit le mariage. Et tu dois l’exiger.
Annette fit un geste lassé.
–  Pourquoi revenir là-dessus ? Je t’ai dit que Roger me l’a offert, et que j’ai refusé.
–  Eh bien, quand on a été sot, il faut savoir le reconnaître et changer.
–  Je n’ai aucune envie de changer.
–  Pourquoi ne veux-tu pas ? Cet homme, tu l’aimais. Je suis sûre que tu l’aimes encore. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Annette ne voulait pas répondre. Sylvie insistait, cherchant indiscrètement au désaccord des raisons d’ordre intime. Annette eut un mouvement violent. Sylvie la regarda, et fut stupéfiée. Annette avait la bouche méchante, le sourcil froncé, l’œil irrité.
–  Qu’est-ce que tu as ?
–  Rien, fit Annette, se détournant avec emportement. Sylvie venait de réveiller une blessure, qu’elle voulait oublier. Par une contradiction, qu’elle n’aurait pu expliquer, et qui sortait du fond de la nature, elle qui se réjouissait de la venue de l’enfant, elle en voulait à l’homme qui le lui avait donné, elle ne se pardonnait pas la surprise de ses sens et l’émotion qui l’avait ainsi livrée, – elle ne les pardonnait pas à celui qui en avait profité. Cette révolte de l’instinct avait été la vraie raison cachée – (à elle comme aux

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