La Bohème Galante
167 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Bohème Galante , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
167 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Extrait : "...Car toute littérature est nationale, n'étant créée que pour répondre à un besoin, et conformément au caractère et aux mœurs du peuple qui l'adopte ; d'où il suit que, de même qu'une graine contient un arbre entier, les premiers essais d'une littérature renferment tous les genres de son développement futur, de son développement complet et définitif..."

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 39
EAN13 9782335031003
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335031003

 
©Ligaran 2015

La grande famille littéraire a suivi pieusement le convoi funèbre de Gérard de Nerval. À quoi bon répéter les circonstances de sa fin tragique ? Cette âme si douce n’est pas responsable de la mort violente qui l’a délivrée ; la fatalité a tout fait. Imitons les anciens, qui jetaient un voile sur la tête des victimes désignées par le sort au sacrifice. Ne faisons pas de bruit autour de la tombe de celui dont la vie fut si muette, si vague, si glissante… Ô terre ! sois-lui légère ! dit une épitaphe grecque, il a si peu pesé sur toi !
Qui n’a connu parmi nous, et qui n’a aimé à première vue ce poète au sourire d’enfant qui regardait le monde avec des yeux aussi lointains que les étoiles ?
La poésie n’était pas pour lui ce qu’elle est, ce qu’elle doit être pour les autres, une lyre qu’on prend, et qu’on dépose pour vaquer aux choses extérieures ; elle était le souffle, l’essence, la respiration même de sa nature.
Lorsque la première jeunesse est passée, il vient un moment où la Muse, comme la nourrice de Juliette, frotte d’absinthe le bout de ses seins, pour sevrer ceux que son lait enivre, les avertir que tout n’est pas poésie en ce monde, et les renvoyer aux soins et aux soucis de la vie active. Gérard de Nerval ne connut jamais cet amer sevrage des désillusions. Ses amis les plus intimes nous le montrent commençant presque au sortir du collège cette existence fantastique qui planait sur la réalité, sans s’y reposer. Jamais il ne s’inquiéta de l’avenir, du lendemain, du pain quotidien ; l’argent était trop lourd pour sa main fébrile ; elle ne savait tenir que cette chose légère comme l’oiseau dont elle est tombée : la plume du poète et du conteur. On eût dit qu’il avait fait vœu de pauvreté, avant d’entrer dans la vie, entre les mains de la divinité du rêve.
Dès ce temps-là, on remarquait en lui un instinct mobile et nomade qui depuis ne fit que grandir et se développer. Il aimait le voyage, le changement de lieu, la course aventureuse et sans but ; il s’enfonçait avec volupté dans la fuite, ses départs ressemblaient à des évasions. On le cherchait, on le demandait, on s’inquiétait de son absence ; quelque temps après on le voyait revenir souriant, effaré, ravi, comme s’il revenait du pays des fées.
Il alla de bonne heure en Allemagne ; il y retourna souvent ; il en parlait la langue, il savait par cœur ses poètes et ses philosophes ; ce fut là, peut-être, un des malheurs de sa destinée. Il faut avoir la tête forte et l’équilibre sûr pour descendre impunément dans le puits de la science germanique ; il en sort des vapeurs qui troublent et qui enivrent. L’Allemagne est le pays des hallucinations de l’intelligence ; l’ombre de ses antiques forêts contemporaines de Tacite obscurcit encore son génie ; elle y a laissé des traînées de vertige et d’obscurité. Gérard, si disposé déjà aux idées mystiques, subit l’influence de ses doctrines ténébreuses ; son esprit s’enfuma de mystagogie et de sciences occultes ; il sortit des universités et des tavernes de la jeune Allemagne dans l’égarement de l’écolier du Faust , après la consultation que vient de lui donner Méphisto.
Plus tard, il partit pour l’Orient avec quelques pièces d’or dans sa poche ; mais plus sa bourse était légère, plus il allait vite. Il avait la confiance touchante de ces premiers croisés qui partaient, eux aussi, pour la Palestine, sans vivres, sans armes, sans vaisseau, et demandaient, dans leur simplicité, à chaque bourgade qu’ils apercevaient : « N’est-ce pas là cette Jérusalem ou nous allons ? » Il a raconté lui-même, dans un livre qui est un chef-d’œuvre, les fantasques aventures de ce pèlerinage. D’autres relations complètent son récit, et nous le montrent s’acclimatant en Égypte au fatalisme et à la frugalité du désert, errant comme les derviches des Mille et une Nuits , couchant dans les bazars parmi les chameliers des caravanes, s’enivrant de soleil, de paresse et de liberté.
Là encore l’air du lieu lui fut malsain et funeste. Son séjour au Caire, la capitale du magisme et de la cabale de l’Orient, exalta ses tendances vers l’inconnu. La vieille Égypte communiqua à ses idées la plaie des ténèbres dont Moïse l’a frappée jadis. Les sphinx du Nil achevèrent ce que les fées du Rhin avaient commencé. Ses rêves s’embrouillèrent, son imagination tomba dans l’incohérence ; les dieux païens, les génies arabes, les démons du Talmud, les esprits des légendes, tous les revenants des mythologies défuntes, vinrent y faire leur sabbat, comme sur les ruines d’un temple écroulé.
Il y a douze ans, la maladie spirituelle qui couvait en lui éclata au dehors par une explosion violente et soudaine. La science parvint à le calmer ; mais il ne guérit jamais bien de cette première crise. Ce don fatal d’abstraction de la terre qu’il possédait à un si haut degré, son mélancolique parti pris de vivre en dehors de la vie réelle, des lectures, des études, des recherches et des idées fixes bizarres, surexcitèrent de plus en plus ses dispositions maladives. Il ne fuyait pas le monde, mais il vivait sur la lisière, pour ainsi dire, rôdant autour de la société d’un air étranger, et toujours ayant derrière lui un champ de liberté vaste comme la mer, dans lequel il s’échappait au moindre froissement, comme un captif qui s’éloigne d’une côte hostile à force de rames. Ses amis avaient beau le suivre du cœur et du regard, ils le perdaient de vue pendant des semaines, des mois, des années. Puis, un beau jour, on le retrouvait par hasard dans une ville de l’étranger, ou de la province, ou plus souvent encore en pleine campagne, songeant tout haut, rêvant les yeux ouverts, attentif à la chute d’une feuille, au vol d’un insecte, au passage d’un oiseau, à la forme d’un nuage, au jeu d’un rayon, à tout ce qui passe par les airs de vague et de ravissant. Jamais on ne vit folie plus douce, délire plus tendre, excentricité plus inoffensive et plus amicale. S’il se réveillait de son sommeil, c’était pour reconnaître ses amis, les aimer, les servir, redoubler envers eux de dévouement et de bienvenue, comme s’il avait voulu les dédommager de ses longues absences par un surcroît de tendresse.
Chose étrange ! au milieu du désordre intellectuel qui l’envahissait, son talent resta net, intact, accompli. Les fantaisies de son imagination prenaient, en se reflétant sur le papier, des formes aussi pures que les empreintes des camées antiques. Il dessinait ses rêves avec un crayon presque raphaélesque d’élégance et de légèreté. Vous souvenez-vous de celle jeune fille de Sycione à laquelle Plutarque attribue l’invention de la peinture ? Un soir, elle vit l’ombre de son amant vaciller sur le mur, à la clarté de la lampe ; elle prit un charbon éteint dans le trépied domestique, courut à la vague image et l’enferma dans un pur contour. Ainsi Gérard dessinait nos chimères, colorait des fantômes, mais d’une main toute grecque et d’un style sobre et clair comme la ligne d’une fresque de Pompeïa. On devine pourtant le point de vue fantastique sous lequel il peignait les figures de ses romans et de ses poèmes, à je ne sais quel jour de lune qui les éclaire. Ses Femmes du Caire , ses Filles du Feu , elles vivent, elles sont charmantes ; mais l’impondérable légèreté de leur démarche trahit leur surnaturelle origine. Elles vous apparaissent baignées et flottantes dans le fluide diaphane de l’évocation magnétique ; leurs yeux brillent de l’étrange scintillation des étoiles ; leurs pieds rasent la terre, leurs gestes expriment des signes mystérieux, leurs costumes mêmes tiennent de la nuée et de l’arc-en-ciel. Chut ! parlez plus bas, ou, comme la fiancée de l’Albano de Jean-Paul, elles vont s’évaporer, se fondre, et se résoudre en une larme tiède qui vous tombera sur le cœur.
Cependant, il y a quelques mois, l’esprit de Gérard subit une seconde éclipse. Dès lors, il fit nuit dans sa tête, mais une nuit pleine d’astres, de météores, de phénomènes lumineux. Son existence ne fut plus qu’une vision continue entrecoupée d’extases et de cauchemars. Lui-même a raconté les mystères de sa vie rêveuse dans cet étonnant récit intitulé : Aurélia, ou le Rêve et la Vie , qu’une Revue publiait le mois dernier. C’est une apocalypse d’amour, le Cantique des cantiques de la fièvre, la dictée d’un fumeur d’opium, l’essor d’une âme qui monte au ciel avec des ailes de chauve-souris, un mélange ineffable de poèmes et de grimoires, de fantasmagories et de ravissements. Pour qui sait lire, il était évident que l’esprit qui concevait de tels rêves n’appartenait plus à ce monde, qu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents