Le Carillonneur
118 pages
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Le Carillonneur , livre ebook

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Description

Extrait : "La Grande Place de Bruges, ordinairement déserte, traversée par de rares passants, des enfants pauvres à la dérive, un peu de prêtres ou de béguines, s'imagea soudain de groupes indécis, d'îlots noirs tachant l'étendue grise. Des rassemblements se formaient."

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Nombre de lectures 30
EAN13 9782335015041
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335015041

 
©Ligaran 2015

Première partie Le Rêve
I
La Grande Place de Bruges, ordinairement déserte, traversée par de rares passants, des enfants pauvres à la dérive, un peu de prêtres ou de béguines, s’imagea soudain de groupes indécis, d’îlots noirs tachant l’étendue grise. Des rassemblements se formaient.
On avait fixé pour le premier lundi d’octobre, à quatre heures, le concours de carillonneurs. La fonction de carillonneur de la ville se trouvait vacante par le décès du vieux Bavon De Vos, qui l’occupa avec honneur durant vingt années. Il y avait lieu d’y pourvoir aujourd’hui, selon la coutume, par un concours public, où le peuple serait, pour ainsi dire, appelé à décider lui-même en acclamant par avance le vainqueur. C’est pourquoi, on avait choisi le lundi, tout travail cessant à midi, ce jour-là de la semaine, qui de la sorte participait encore de la vacance du dimanche. Ainsi, le choix pourrait être vraiment populaire et unanime. N’était-il pas juste que le carillonneur fût élu ainsi ? Le carillon, en effet, est la musique du peuple. Ailleurs, dans les capitales ardentes, c’est le feu d’artifice qui constitue la fête publique, le don féerique dont s’exaltent les âmes. En ces Flandres méditatives, parmi les brumes humides et rebelles aux prestiges du feu, le carillon en tient lieu. C’est un feu d’artifice qu’on écoute . Gerbes, fusées, lueurs, mille étincelles de sons, dont l’air aussi se colore, pour des yeux visionnaires que l’ouïe avertit.
Donc, une foule s’agglomérait. De toutes les rues avoisinantes, la rue aux Laines, la rue Flamande, étaient venues des bandes qui s’annexaient sans cesse aux groupes antérieurs. Le soleil déclinait déjà, par ces journées abrégées du commencement de l’automne. Il en descendit jusque sur la place une lumière ambrée, plus douce d’être finissante. En face, le sombre bâtiment des Halles, son quadrilatère sévère, ses murs mystérieux, comme faits avec des pans de nuit, s’illuminèrent d’une patine chaude.
Quant au beffroi, qui surplombe, plus haut et surgi au-dessus des toits, il pouvait ainsi recevoir encore la pleine clarté du couchant, face à face avec lui. Il en apparaissait, sur la base noire, tout rose et comme fardé. La lumière courait, jouait, coulait. Elle modelait les colonnettes, l’arc ogival des fenêtres, les tourelles ajourées, tous les accidents de la pierre ; puis, ailleurs, ruisselait en nappes agiles, en claires étoffes de drapeaux. Elle en faisait plus mouvementée, et comme fluide, la tour massive qui, d’ordinaire, étage ses blocs obscurs où il y a des ténèbres, du sang, de la lie et de la poussière de siècles… Maintenant le couchant s’y mirait comme dans une eau ; et le cadran, à mi-hauteur, rond et tout en or, avait l’air du soleil lui-même, reflété !
La foule entière tenait les yeux braqués sur ce cadran, attendant l’heure, mais avec calme et presque en silence. Une foule est la somme de la faculté qui prédomine dans chacun. Or, dans chacun d’ici, la part du silence est la plus grande. Et puis on se tait volontiers quand on est dans l’attente.
Pourtant ceux de la ville et des faubourgs étaient accourus, les pauvres comme les riches, pour assister au concours. Les fenêtres étaient garnies de curieux, et aussi les gradins qui flanquent de fins escaliers les pignons de la Grande Place. Celle-ci apparaissait bariolée, joliment frémissante. Le lion en or de l’hôtel de Bouchoute étincelait, tandis que la vieille façade où il s’accroche carrait ses quatre étages, ses briques enluminées. En face, le Palais du Gouverneur opposait ses lions de pierre, gardiens héraldiques du vieux style flamand, qui avait reconstruit là une belle harmonie de pierres grises, de vitraux glauques et de sveltes pinacles. Sur le palier de l’escalier gothique, se tenaient, couverts d’un dais cramoisi, le Gouverneur de la province, les échevins, en tenue officielle et chamarrures, afin d’honorer cette cérémonie liée aux plus antiques et chers souvenirs de la Flandre.
L’heure du concours approcha.
À coups sonores, le bourdon du beffroi ne cessait pas de sonner. C’était la cloche du Triomphe, celle des deuils, des gloires et des dimanches qui, fondue en 1680, habita là-haut depuis lors et dont le battement, comme celui d’un grand cœur rouge, marqua toutes les pulsations du temps dans les rouages de la tour. Depuis une heure, le bourdon annonçait aux horizons, convoquait. Brusquement les coups se ralentirent, s’espacèrent. Un grand silence. Les aiguilles du cadran qui se cherchent, se fuient tout le jour, s’ouvraient maintenant en compas. Encore une ou deux minutes et l’heure de quatre heures s’accomplissait. Alors, dans le vide du bourdon tu, une aubade indécise, un gazouillis, un éveil de nid chanta, vagues arpèges de mélodie.
La foule écouta ; quelques-uns croyaient que s’ouvrait déjà le concours ; mais ce n’était que le jeu mécanique du carillon, produit par le cylindre de cuivre soulevant les marteaux et qui agit comme dans le système des boîtes à musique. De plus, le carillon obéit aussi à un clavier et c’est ce jeu-ci qu’on allait bientôt entendre, quand les musiciens entreraient en lutte.
En attendant, le carillon joua automatiquement le prélude qui est habituel avant la sonnerie de chaque heure, broderie aérienne, bouquets de sons jetés en adieu au temps qui part. Car n’est-ce pas la raison même du carillon : faire un peu de joie pour atténuer la mélancolie de l’heure qui meurt ensuite ?
Quatre coups venaient de marteler l’horizon, des coups larges, graves, distants l’un de l’autre, irrémédiables, et qui semblaient clouer une croix dans l’air. Quatre heures ! C’était l’heure fixée pour le concours. La foule eut des remous. Une petite impatience se propagea…
Soudain, à la fenêtre à balcon des Halles, non loin de la console sculptée de feuillages et têtes de bélier, où songe la statue de la Vierge, cette même fenêtre où se proclamèrent de tout temps les lois, ordonnances, traités de paix et règlements de la commune, apparut un héraut d’armes vêtu de pourpre qui, dans un porte-voix, clama, déclara ouvert le concours de carillonneurs en la ville de Bruges, eut l’air de vaticiner à l’avenir.
La foule se tut, cargua toutes ses rumeurs.
Quelques-uns seulement savaient des détails : que les carillonneurs de Malines, d’Audenarde, d’Herenthals, étaient inscrits ; d’autres encore, qui peut-être se récuseraient ; sans compter l’imprévu, car on avait le droit de se faire inscrire jusqu’à la dernière minute.
Après la publication, du haut de la fenêtre à balcon, le bourdon sonna précipitamment trois coups, comme trois coups d’angélus. C’était l’annonce de l’entrée en lice d’un concurrent.
Aussitôt, en effet, le carillon s’ébranla, un peu confusément. Ce n’était plus le jeu automatique de tantôt. On sentait maintenant un jeu libre et capricieux, l’intervention d’un homme qui réveille les cloches une à une, les bouscule, les gourmande, les caresse, les conduit devant lui en troupeau. Le départ n’était point maladroit, mais une débandade suivit, une cloche eut l’air de tomber, d’autres s’enfuirent ou se refusèrent.
Un second morceau fut mieux exécuté, mais le choix en était malheureux : c’était un pot-pourri, des airs quelconques cousus ensemble, habit d’arlequin, musique qui avait l’air de faire du trapèze au haut de la tour.
Le peuple n’y comprit rien et resta froid. De rares applaudissements éclatèrent, quand il cessa, firent une minute leur bruit de battoirs au bord de l’eau.
De nouveau, après un intervalle, le bourdon sonna ses trois coups d’angélus. Le second concurrent s’entendit. Il semblait posséder davantage le maniement de l’instrument, mais il essouffla vite les cloches à vouloir leur faire rendre les rugissements de La Marseillaise ou les bibliques mélopées du God save the Queen… Ici encore l’effet fut médiocre ; et le peuple, déçu, commençait à croire qu’on ne remplacerait jamais le vieux Bavon De Vos qui, tant d’années, avait fait sonner le carillon comme il convient.
L’épreuve suivante fut plus pénible. Le concurrent eut la malencontreuse idée de jouer des refrains d’opérettes et de cafés-concerts, d’un mouvement saccadé et preste. Les cloches sautaient, criaient, riaient comme chatouillées, trébuchaient, avaient l’air un peu ivres et folles. On aurait dit

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