Le concept d'humour pervers chez Sade

Frédéric Mazieres

Description

Dans le cadre d'une approche psychobiographique des oeuvres romanesques les plus violentes du marquis de Sade, l'auteur analyse le modèle psychopathologique de l'écrivain, où comment les traumatismes de son enfance et ses incarcérations eurent un impact sur la structure et l'évolution de son inquiétante personnalité. Entre psychanalyse, psychiatrie et critique littéraire, l'auteur détaille en quoi les procédés littéraires utilisés par Sade tels que le comique et l'humour pervers constituent des symptômes de sa perversité.

Sujets

• Harmattan Littérature
• Psychiatrie
• Psychanalyse
• Psychologie
• Littérature

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 15 août 2017
• Nombre de lectures: 27
• EAN13: 9782140043611
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Frédéric Mazières

LE CONCEPT D’HUMOUR PERVERS CHEZ SADE

Une analyse psychobiographique

L’œuvre et la psyché

Le concept d’humour pervers chez Sade

L’œuvre et la psyché Collection dirigée par Alain Brun L’œuvre et la psyché accueille la recherche d’un spécialiste (psychanalyste, philosophe, sémiologue…) qui jette sur l’art et l’œuvre un regard oblique. Il y révèle ainsi la place active de la Psyché. François BRUZZO,Samuel Beckett. Landes et rivages en 19 glanures... au nom de la beauté, 2016. Catherine DESPRATS-PÉQUIGNOT et Céline MASSON (dir.),Figures de deuil et création, 2014. J. GARNIER-DUPRÉ,Sándor Ferenczi, entre tendresse et passion, 2012. F. BRUZZO,Chemins vers Georges Bataille, 2012. J.-T. RICHARD,Marcel Duchamp, mis à nu par la psychanalyse, même, 2010. Wilhelm WUNDT,De la physiologie à l’ethnopsychologie, 2009. C. MASSON et C. DESPRATS-PEQUIGNOT,Le corps contemporain : créations et faits de culture, 2009. D. BEAUNE, T. AYOUCH,Folies contemporaines, 2009. X. POMMEREAU, M. BRUN, J.-P. MOUTTE,L’adolescence scarifiée, 2009. Michel MAURILLE ,Freud et leMoïsede Michel-Ange, 2008. Jean-Pierre BRUNEAU,L’artiste et ses rencontres. Une lecture lacanienne, 2008. Mariane PERRUCHE,: Sartre,J.-B. PONTALIS. Une œuvre, trois rencontres Lacan, Perec, 2008. C. DESPRATS-PEQUIGNOT et C. MASSON (Sous la dir.),Métamorphoses contemporaines : enjeux psychiques de la création, 2008. Philippe WILLEMART,Critique génétique : pratiques et théories, 2007. Roseline HURION,Petites histoires de la pensée,2006. Michel DAVID,Amélie Nothomb, le symptôme graphomane, 2006. Jean LE GUENNEC,La grande affaire du Petit Chose, 2006. Manuel DOS SANTOS JORGE,Fernando PESSOA, être pluriel. Les hétéronymes, 2005. Luc-Christophe GUILLERM,Jules Verne et la Psyché, 2005 Michel DAVID,Le ravissement de Marguerite Duras, 2005. Orlando CRUXÊN,Léonard de Vinci avec le Caravage. Hommage à la sublimation et à la création, 2005. Monique SASSIER,Ordres et désordres des sens. Entre langue et discours, 2004.

Frédéric Mazières Le concept d’humour pervers chez Sade Une analyse psychobiographique

© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-11184-1 EAN : 9782343111841

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Préliminaires : nos recherches antérieures sur le marquis de Sade

Notre ouvrage est l’aboutissement de recherches amorcées au milieu des 1 années 1990. Nous affirmions déjà à cette époque que les romans de Sade 2 étaient les résultats de deux paramètres psychosociologiques : la prison et sa 3 personnalité diphasique. Sa personnalité, avions-nous établi, est organisée 4 5 en fonction d’une double structure névrotique et psychopathique . L’œuvre 6 littéraire reflète les pathologies chroniques et la fantasmatique du créateur, d’où l’intérêt, pour l’herméneute, de comprendre leur genèse, avant qu’elles ne soient représentées et d’en tenir compte dans ses analyses. Notre méthode 7 est celle de la psychobiographie , dont la finalité est d’étudier, à partir des

1 Mazières Frédéric,Quelques clés psychosociologiques pour une relecture de Sade, Mémoire de DEAM2, Démoris R. (dir.), Université Paris III-La Sorbonne-Nouvelle, 1994. Ce texte est disponible à la Bibliothèque de l’Arsenalnotice : FRBNF35858791. 2 Nous préférerions, désormais, le terme de « sociopsychanalyse » : « un sociopsychanalyste devrait être capable de tenir compte aussi bien des éléments psycho-affectifs et en particulier des forces issues de l’Inconscient dynamique, que des éléments proprement sociologiques » (Mendel Gérard,La révolte contre le père. Une introduction à la sociopsychanalyse, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1974, p. 388). 3 « La personnalité peut être définie comme l’ensemble organisé des éléments instinctuels, affectifs, cognitifs, caractérisant chaque individu dans sasingularitéet sacontinuité[…] Elle est le résultat d’une interaction permanente entre l’individu et son environnement et dépend, en particulier, des étapes précoces du développement » (Guelfi Julien-Danielet alii, ème Psychiatrie éd., 2002, p. 349). Une personnalité est le « résultat » de l’action , Paris, PUF, 8 conjointe (ou disjointe) de paramètres internes et externes. 4 « La structure psychique définit les mécanismes privilégiés de la vie psychique d’un individu » (Mijolla Alain (de) (dir.),Dictionnaire international de psychanalyse, Paris, Fayard/Pluriel, 20132002, vol. 2, p. 1731). 5 Le psychopathe est une personnalité antisociale et asociale, ayant tendance aux passages à l’acte agressifs, impulsifs et répétés. 6 « L’importance particulière du fantasme chez Freud conduit les psychanalystes à concevoir que la vie d’un sujet est structurée par une fantasmatique, c’est-à-dire par une organisation singulière à la fois thématique et dynamique de ses fantasmes » (Doron Roland, Parot ème Françoise,Dictionnaire de psychologieéd., 2011, Paris, PUF, 3 1991, coll. « Quadrige », p. 297). 7 La psychobiographie est l’une des méthodes de la critique freudienne : « depuis Freud, la psychanalyse a voulu mettre ses procédures et ses concepts au service de l’interprétation des textes littéraires » (Jarrety Michel (dir.),Lexique des termes littéraires, Paris, Librairie Générale Française, coll. « Le Livre de Poche », 2013 [2001], pp. 110-111). Elle poursuit et enrichit l’approche empathique de C.-A. Sainte-Beuve : « la personne de l’écrivain, son organisation tout entière s’engage et s’accuse elle-même jusque dans ses œuvres ; il ne les écrit pas seulement avec sa pure pensée mais avec son sang et ses muscles. La physiologie et l’hygiène d’un écrivain sont devenues un des chapitres indispensables dans l’analyse qu’on fait de son talent » (« M. de Balzac »,Les Causeries du Lundi,lundi 2 septembre 1850, Paris, ème Garnier, 5 éd., 1892, t. 2, p. 448).

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8 9 10 traumatismes de l’enfance , les interactions entre l’homme et l’œuvre. Ces recherches nous avaient permis de participer à l’équipe « Sade » du C.N.R.S. (U.R.A. 96 Paris IV-Sorbonne), sous la direction du Professeur Lever.

11 Le présent ouvrage est l’occasion d’approfondir le « diagnostic » de la 12 personnalité diphasique mais en tentant de mettre en évidence, cette fois-ci, 13 plutôt qu’une tendance névrotique, secondaire, une tendance perverse , plus

8 « Événement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Laplanche Jean, Pontalis Jean-Bertrand, ème Vocabulaire de la psychanalyseéd., 2007, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 5 1967, p. 499). 9 « Le psychobiographe ne dit plus : tel homme, telle œuvre, mais bien : tel enfant, telle œuvre » (Fernandez Dominique, « Introduction à la psychobiographie »,Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1970, 1, p. 38). « Le terme « psychobiographie » […] renvoie à toute approche de la biographie qui met plus particulièrement l’accent sur la vie intime et le développement psychologique de l’individu […] [Elle] met habituellement l’accent sur les premières années de formation avec le souci de repérer la dynamique relationnelle, les traumas ou les complexes susceptibles d’expliquer les comportements ultérieurs » (Mijolla A. (de), Dictionnaire international de psychanalyse, Fayard/Pluriel, 2013, vol. 2,op.cit., p. 1379). 10 Ce déterminisme psychologique peut déranger la critique littéraire non freudienne. Foucault fait référence « au babil des psychologues » et au « bas bruit » de la psychobiographie, (« Le « non » du Père » (1966), in :Dits et écrits I(1954-1975), Defert D., Ewald F. (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, pp. 219-220). 11 Nous ne sommes ni médecin, ni psychiatre ni psychanalyste. Notre « diagnostic » de la personnalité du marquis, dépourvue d’orientation thérapeutique, a pour finalité exclusive l’interprétation de ses écrits. 12 « Le principede la psychobiographieest qu’il faut connaître l’homme, l’avoir pénétré aussi intimement que possible,pour comprendred’une partqu’il ait écrit(au lieu de devenir notaire ou préfet), d’autre partqu’il ait écrit ce qu’il a écrit(plutôt qu’autre chose) » (Bellemin-Noël Jean,La psychanalyse du texte littéraire : introduction aux lectures critiques inspirées de Freud, Paris, Nathan, 1996a, p. 61). Comme elles peuvent être projetées dans des personnages (voirinfra: pp. 43-48), l’un des objectifs de la psychobiographie est d’étudier les tendances de la personnalité de l’auteur. Des personnalités, comme celle de Sade, sont des chefs-d’œuvre de complexité. Plus les traumatismes de l’enfance de l’écrivain sont graves, plus la personnalité est pathologique, plus la sublimation est « primaire », peu élaborée, plus les personnages créés risquent de reproduire, sans distanciation, les troubles de personnalité de leur créateur, et plus la méthode de la psychobiographie est justifiée. 13 La perversion est « une déviation par rapport à l'acte sexuel « normal », défini comme coït visant à obtenir l'orgasme par pénétration génitale, avec une personne du sexe opposé. On dit qu’il y a perversion : quand l’orgasme est obtenu avec d’autres objets sexuels (homosexualité sic, pédophilie, bestialité, etc), ou par d’autres zones corporelles (coït anal par ex.) ; quand l’orgasme est subordonné de façon impérieuse à certaines conditions extrinsèques (fétichisme, travestisme, voyeurisme et exhibitionnisme, sado-masochisme) ; celles-ci peuvent apporter à elles seules le plaisir sexuel. D’une façon plus englobante, on désigne comme perversion l’ensemble du comportement psychosexuel qui va de pair avec de telles atypies dans l’obtention du plaisir sexuel » (Laplanche J., Pontalis J.-B.,Vocabulaire de la psychanalyse,

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vraisemblable, eu égard non seulement à ses récidives mais aussi aux thèmes récurrents de ses romans. Nous envisagerons également la possibilité d’une interprétationborderlineou multiphasique de sa personnalité.

Avant d’aborder les orientations épistémologiques adoptées dans notre travail de recherche (domaines concernés, méthodologie adoptée et concepts opératoires), nous allons proposer un état des lieux de la critique sadienne.

1. État des lieux de la critique sadienne

Nous reprenons, afin de définir la critique littéraire, l’opposition de Barthes : « on peut proposer d’appelerscience de la littérature(ou de l’écriture) ce discours général dont l’objet est, non pas tel sens, mais la pluralité même des sens de l’œuvre, etcritique littéraire, cet autre discours qui assume ouvertement, à ses risques, l’intention de donner un sens 14 particulier à l’œuvre » . Nous avons sélectionné, parmi les exégètes qui ont donné « un sens » à l’œuvre du marquis de Sade, des journalistes, des 15 écrivains, des universitaires et des médecins-psychiatres. Tout en gardant 16 la classification adoptée par M. Delon pour regrouper les critiques sadiens 17 18 19 (médicalisation , dialectisation et textualisation ), nous les distinguerons,

PUF, 2007,op.cit.,pp. 306-307). Cette définition, assez restrictive, sera partiellement revue dans la deuxième partie de notre travail. 14 Barthes Roland,Critique et vérité, Paris, Seuil, coll. « Points », 1999, pp. 60-61. C’est lui qui souligne. D’un point de vue plus scolaire, la critique littéraire « a pour tâche d’expliquer, dans sa forme et dans son contenu, un texte composé en vue d’un effet littéraire » (Clancier Anne,Psychanalyse et critique littéraire, Toulouse, Privat, 1973, p. 7). 15 «Pour définir la critique littéraire,il convient de distinguer trois pratiques différentes : la critique journalistique, qui s’attache, dans une presque immédiateté, à discriminer et juger pour inviter à lire ou à ne pas lire ; la critique d’écrivain, qui peut aussi bien éclairer son œuvre que celle des autres, prendre la forme d’une écriture très littéraire ou définir des lois plus théoriques ; la critique universitaire enfin, qui s’attache à mieux faire connaître les œuvres…et à se constituer enfin en un vrai savoir sur la littérature » (Jarrety M.,Lexique des termes littéraires, Librairie Générale Française, 2001,op.cit., p. 109). Au cours de nos développements nous évoquerons, à l’occasion, des analyses des représentants de la critique sadienne universitaire actuelle : Michel Delon, Mladen Kozul, Éric Marty, etc. 16 « Introduction », in :Œuvresde Sade, Paris, Gallimard, coll. « », vol. 1, p.La Pléiade XLV. Nous utiliserons, dans notre ouvrage, cette édition en trois tomes (1990-1998). 17 La médicalisation est l’une des premières approches objectives de l’œuvre du marquis de Sade, « en dehors de la vocifération ou de l’admiration » (ibid., p. XLIII). 18 Comme les personnages de Sade ne cessent, après les orgies, de « philosopher », ils ont fréquemment recours à des systèmes de pensée variés (ibid., p. XLV). 19 « On désigne ainsi l’insistance sur le caractère essentiellement littéraire d’une démarche qui est celle d’un écrivain…[par exemple] Les surréalistes ne se bornèrent pas à marteler le nom de Sade comme un mot magique, incarnation de toutes leurs révoltes : ils pratiquèrent ses textes » (ibid., pp. XLV-XLVI). La textualisation le réhabilite par ses écrits.

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