Le soleil dans la geôle
209 pages
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Description

Victor Margueritte (1866-1942)



"– Alors, docteur ?


Le regard dardé droit, et sur un ton où malgré le feint détachement une inquiétude perçait, Lucien Marbeau questionnait son ami Dalbret.


Il n’y avait plus, en face l’un de l’autre, deux compagnons du même monde, à égalité de culture et de situation. Il y avait un malade, attendant le verdict du médecin. La notoriété de Marbeau, avocat réputé entre tous, s’inclinait, anxieuse, à cette minute, devant la supériorité du fameux dermatologiste.


Marbeau sentait soudain, à sa rupture d’équilibre, de quel fardeau pèse, sur le fluide trésor des sentiments et de la pensée, ce mécanisme compliqué du corps, dont, comme la plupart, il ignorait quasi tout... Aussi, tourné vers la science de Dalbret comme une plante vers le jour, quêtait-il, à travers la lumière des yeux bleu gris, le diagnostic secret, la réponse sincère...


Mais, sur cette clarté qui donnait au visage de Jean Dalbret une marque si personnelle, – reflet d’une âme attentive, indulgente et droite, – les paupières s’abaissèrent, pour un bref recueillement. Lucien Marbeau trembla :


– Rien de dangereux ?


Sans mot dire, Dalbret reprit la loupe qu’il avait posée sur le cristal de la tablette et, de nouveau, examina, à la lueur d’une puissante lampe électrique, le nez du patient..."



Médecin renommé, Jean Dalbret n'est pas heureux en ménage. Il y a longtemps qu'il n'éprouve plus rien pour son épouse Louise. Il est amoureux de la gouvernante de sa fille Belle : Henriette. Mais Louise refuse le divorce... Jean se sent comme dans une geôle...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374637891
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le soleil dans la geôle
 
 
Victor Margueritte
 
 
Octobre 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-789-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 789
PREMIÈRE PARTIE
 
I
 
–   Alors, docteur ?
Le regard dardé droit, et sur un ton où malgré le feint détachement une inquiétude perçait, Lucien Marbeau questionnait son ami Dalbret.
Il n’y avait plus, en face l’un de l’autre, deux compagnons du même monde, à égalité de culture et de situation. Il y avait un malade, attendant le verdict du médecin. La notoriété de Marbeau, avocat réputé entre tous, s’inclinait, anxieuse, à cette minute, devant la supériorité du fameux dermatologiste.
Marbeau sentait soudain, à sa rupture d’équilibre, de quel fardeau pèse, sur le fluide trésor des sentiments et de la pensée, ce mécanisme compliqué du corps, dont, comme la plupart, il ignorait quasi tout... Aussi, tourné vers la science de Dalbret comme une plante vers le jour, quêtait-il, à travers la lumière des yeux bleu gris, le diagnostic secret, la réponse sincère...
Mais, sur cette clarté qui donnait au visage de Jean Dalbret une marque si personnelle, – reflet d’une âme attentive, indulgente et droite, – les paupières s’abaissèrent, pour un bref recueillement. Lucien Marbeau trembla :
–  Rien de dangereux ?
Sans mot dire, Dalbret reprit la loupe qu’il avait posée sur le cristal de la tablette et, de nouveau, examina, à la lueur d’une puissante lampe électrique, le nez du patient...
Enfin, rassuré, il sourit. Et, tournant le commutateur, il déclara, en faisant passer Marbeau dans son cabinet de travail :
–  Non, rien. Asseyez-vous là...
–  Pas de crainte d’ulcère, de lupus...
–  Pas la moindre...
Séparé de son sauveur par un large bureau Régence, où un buvard de maroquin fauve aux vieux fers dorés attestait, avec un encrier en précieux Marseille, le goût du maître de la maison, Marbeau respira... D’un coup d’œil, il prit possession de la haute pièce, caressa les bergères ventrues, le sombre tapis de Perse, les bibliothèques basses aux bois luisants, le cartel rocaille sur la tapisserie à personnages... On était bien, ici, au sortir de l’autre pièce ! Ces murs ripolinés, ces funèbres carreaux blancs et noirs, le nickel et l’acier des instruments, brr !... L’hôpital, quoi !...
Et rassemblant, à travers le tulle des vitrages, – par delà Dalbret qui, à contre-jour, le contemplait sympathiquement, – la vision de la rue ensoleillée et bruyante, le champ renouvelé de la vie, Marbeau répéta, d’une voix raffermie :
–  Alors, mon cher, cette vilaine plaque rouge ?... Ces peaux qui sèchent, pigmentées de jaune ?
–  De l’eczéma séborrhéique, simplement.
–  Et le traitement ?...
–  Voilà...
Dalbret, de sa nette écriture qui contrastait si agréablement avec le gribouillage de tant de faiseurs d’ordonnances, inscrivait, à mesure qu’il énonçait :
–  Soufre précipité et lavé, 2 grammes... Tétrachlorure de carbone, 100 grammes... Enduire au pinceau, tous les deux jours...
–  Et c’est tout ? s’enquit Marbeau, émerveillé.
Sa face ronde, au crâne rose et aux larges favoris grisonnants, s’illumina... Il avait l’air d’une boule qui a beaucoup roulé... Prêt à recommencer.
–  C’est tout, en ce qui me concerne... Le véritable, le seul médecin de votre maladie, c’est vous-même...
–  Ah ! oui, le régime ?
–  Vous l’avez dit... Trop de bons dîners, mon cher Marbeau... Trop de surmenage, et pas assez d’exercice... En somme l’existence mondaine qu’on mène à Paris, c’est une prime quotidienne à la mort... Tenez ! Moi, je ne m’en tire qu’avec ma gymnastique rythmique, tous les matins.
–  Oh ! vous, vous êtes un sage !...
Une moue passa sur le visage énergique de Dalbret. Il reprit, éludant le compliment :
–  Nous ne mourons pas, nous nous tuons. Une cigarette ?
–  Volontiers...
Marbeau, en replaçant dans le plateau de laque où il voisinait avec coupe-papier et porte-plume le briquet que Dalbret venait de lui tendre, machinalement l’examinait. C’était une cartouche allemande, ingénieusement transformée.
–  Amusant, votre briquet !
–  Un souvenir...
Marbeau eut un hochement de tête interrogateur.
–  Soyez tranquille, fit en se levant Dalbret, devenu grave. Je n’ai pas sur moi la moindre histoire personnelle !... La guerre ! Ce cauchemar-là, il me semble avoir été vécu par un autre que moi-même... Et pourtant, j’en ai brassé, de la souffrance et du dégoût !... Ah ! quelle misère ! Non, vraiment, je ne sais s’il y a des êtres, se disant humains, et pour qui ces boucheries soient belles !... Mais, pour un médecin... pouah ! quelle horreur !... Chaque fois que j’y repense, je me sens diminué, avili... Voyez-vous, Marbeau, ceux qui comme moi ont « fait la guerre », – en comptant la casse, – ne retrouveront jamais la pleine joie de vivre...
Marbeau, ex-commissaire de gare régulatrice, jeta un regard dérobé à la boutonnière de Dalbret, où nul ruban vert et rouge ne prolongeait, comme à son propre veston, la rosette. Et, gêné, il énonça, tout en gagnant la porte :
–  Ce serait trop beau si le devoir accompli ne laissait toujours que de la satisfaction...
–  Certes ! acquiesça Dalbret, avec une involontaire vivacité, comme si la remarque de son interlocuteur eût frappé en lui, dans un ordre d’idées différent, quelque point sensible.
Marbeau, surpris, le dévisagea :
–  Vous, du moins, vous êtes parmi les heureux... Une grande carrière. Un des premiers dans votre spécialité... Professeur à la Faculté de médecine, et officier de la Légion d’honneur... À trente-huit ans !...
Dalbret, d’une main en avant, signifia : – Je vous en prie !... Mais, Marbeau, lancé, continuait :
–  La rosette, je l’ai eue, moi, comme bâtonnier, il y a sept ans... J’en avais déjà quarante-neuf !... Oui, oui, vous êtes un homme heureux : une femme charmante, une fillette adorable... Allons ! encore merci... Votre consultation n’est pas finie. Je vous laisse... Au revoir, mon cher. Mes hommages à Mme Dalbret... Et vous savez, vous m’avez sauvé la vie ! À charge de revanche !
Silencieusement le docteur saluait. La porte de l’antichambre se referma. En même temps, comme un masque se détache, son expression de cordialité polie tomba. Le visage se montrait nu, contracté d’une impatience et d’une lassitude...
Automatiquement M. Dalbret revenait à sa table, appuyait sur le bouton de la sonnerie, se rasseyait... Le valet de chambre, presque aussitôt, ouvrit la porte du salon. Un client entra. Le docteur se relevait, indiquait le fauteuil, en face de lui. Puis, retranché derrière son bureau, il questionnait, de ses yeux clairs... Le masque était en place.
 
Il était sept heures quand le défilé cessa... Méthodiquement le docteur revoyait, classait ses fiches. Les visiteurs n’étaient plus à ce moment pour lui, – si pendant l’instant de la consultation ils avaient pu l’être, – des individualités qu’entre elles différenciaient apparence physique ou particularités sociales. C’étaient des cas, sujets abstraits d’observation et d’analyse...
Debout devant le médaillier Louis XVI qui lui servait de nomenclateur, Dalbret inséra, dans les tiroirs aux multiples casiers, les petits cartons où se résumaient, en notations sèches, la peine et le mal des autres. Ainsi ouvert, avec ses rayonnages compartimentés d’alvéoles, l’étroit et haut meuble faisait songer à une ruche... Miel amer de la science ! Dalbret, las, promena la main sur son front. De son butin de la journée, il n’emportait, ce soir, qu’un peu plus de fatigue et de découragement.
D’un coup brusque, il repoussa le dernier tiroir... Il n’avait que le temps d’aller se débarbouiller, endosser son smoking. Quelle corvée que ce dîner chez le « père » Lurier !... C’est ainsi qu’

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