Les Excentriques
134 pages
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Les Excentriques , livre ebook

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Description

Extrait : "On ne lit pas assez les travaux de Charles Bonnet sur l'histoire naturelle, surtout son Traité d'insectologie qui renferme un chef-d'œuvre : Observations sur les Pucerons. Que de dévouement à la science ! quelle cruauté immense pour ces petits êtres qui manquaient de biographes ! Il faut voir le savant Suisse, armé de sa loupe, étudiant les sexes des pucerons, décrivant avec sa chaste plume les agaceries du puceron, les coquetteries de la puceronne."

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 28
EAN13 9782335031201
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335031201

 
©Ligaran 2015

À Honoré Daumier
N’avez-vous pas rencontré plus d’une fois sur le pavé de Paris des êtres qui s’emparent de votre regard, que vous ne pouvez oublier quand vous les avez vus ?
Quelquefois ces personnages n’ont rien de surprenant ni d’étrange dans leur costume ; tout est dans leur physionomie, que les utopies, les rêves, les idées ont rendue bizarre. À ce métier, le masque devient étrange, le corps suit la marche de l’esprit. Swedenborg l’a dit en une phrase ineffaçable :
«  L’homme extérieur est moulé sur l’homme intérieur . » Profondes paroles qu’il vous est donné plus qu’à un autre de comprendre. Et un étranger, M. Pechméja, a délayé à votre intention l’idée du mystique Suédois :

« Il nous est enseigné par ce Juvénal de la lithographie comment l’égoïsme plisse une lèvre ; de quelle façon l’avarice serre les tempes et les grime ; comment l’astuce vulgaire, la gourmandise native, les béatitudes de la matière, l’âpreté du gain, la soif de l’injuste, l’inintelligence du beau, la terreur du grandiose et toutes les grossières appétences peuvent, au grand dépit de Dieu, faire clignoter la paupière, boursoufler le nez, crevasser les joues, aiguiser le profil, aplatir le front, torturer les sourcils, creuser les narines, déchausser les dents, avachir la mâchoire, écarquiller les yeux, empâter le menton. »
Si les vices et les passions déforment la figure de l’homme comme la pluie déforme un chapeau de soie, les habits ne voudront pas être en désharmonie avec l’homme. Des savants, des philosophes et des romanciers ont prouvé par des découvertes récentes que tout ce qui entoure l’homme se modèle sur lui : les femmes et les enfants, les animaux, les choses animées et les choses inanimées.
Le chat d’un serrurier et le chat d’un apothicaire ne se ressemblent pas ; regardez-les un instant de votre œil fin et malicieux, et vous verrez que ces deux animaux offrent la différence profonde qui distingue un atelier de forge d’une boutique de pharmacie.
Les habits de ces inconnus offrent des rapports avec les rides de ceux qui sont dedans. Mais dans les différentes pièces de leur costume, le désaccord et la désharmonie sont encore plus frappants que les trous et les coutures. Ils pourraient prendre pour eux l’épithète de crotté , si longtemps accolée au mot poète, et ils en ont gardé la faim, car ils ne sont guère plus riches.
Pour vous et pour quelques-uns qui trouvent que chaque jour est une mine de curiosités, la rencontre d’un être semblable est une représentation à votre bénéfice qui dure toute la journée. Sans avoir jamais étudié les travaux de Le Brun, de Porta, de Lavater sur la physiognomonie, vous en savez plus que ces auteurs ; vous vous dites que l’inconnu n’est ni un tailleur, ni un droguiste, ni un avoué, ni un poète, ni un marchand, ni un danseur, ni un employé, ni un charcutier, ni un peintre, ni un maçon, ni un avocat, ni un cordonnier, ni un filou, ni un notaire.
Qu’est-ce ?
Ce qu’est-ce devient alors une question bien plus ardue à résoudre qu’un problème ; mais la question est intéressante, elle s’est logée dans le cerveau et rien ne l’en ferait sortir.
L’inconnu a été aperçu à Paris par deux cents personnes. Les deux cents curieux se sont tous posé le même problème et ne l’ont pas résolu. Mais il y a un lien entre ces deux cents curieux qui les réunit à un moment donné, et qui les fait se rencontrer et causer entre eux, de même que tous les bourgeois de Paris amateurs de pigeons se connaissent. Deux membres de cette bande, plus versée que la police secrète dans tous les mystères de Paris, se rencontrent dans un salon, dans un cabaret ou dans un atelier.
– J’ai vu à tel endroit, dit l’un, un individu singulier…
– N’était-il pas, dit l’autre, habillé de telle façon ?
– Oui, avec un nez comme ça…
– Et pas de chapeau.
– Je l’ai rencontré hier, il regardait par-dessus le pont.
– Moi, je l’ai vu il y a trois mois, il regardait aussi par-dessus le pont.
– C’est bien le même.
– Vous le connaissez ?
– Pas du tout, et vous ?
– Pas davantage, mais j’en parlerai à un tel…
– Moi aussi, je connais quelqu’un qui doit le connaître.
Un forçat dangereux s’est échappé du bagne : on envoie son signalement à toutes les autorités, à la gendarmerie ; souvent un portrait lithographié est joint au signalement. Quelque fin que soit un mouchard, il ne se mettra jamais un signalement en tête comme les deux cents curieux parisiens.
Un jour je parlais d’un type bizarre que j’avais rencontré dans un restaurant du boulevard, et qui troubla mon dîner par sa cruelle voix de perroquet. – Est-ce celui-là ? dit un peintre en reproduisant en quatre coups de crayon la silhouette exacte de mon homme.
Ces hommes, étudiés par la bande invisible des deux cents curieux, sont des Excentriques .
Le public est quelquefois en rapport avec eux par leur profession ; mais ceux-là ne sont pas les plus intéressants, car ils font comme le marchand de crayons qui a une robe rouge, se coiffe d’un casque en acier à plumes écarlates, descend la visière, monte sur sa voiture, et étonne ainsi les paysans du marché des Innocents.
« Si je m’habillais comme tout le monde, dit le marchand de crayons, je ne vendrais pas mes crayons. » Il ne craint plus de livrer son secret, il a fait venir la foule. Quelques-uns de mes excentriques offrent ce double caractère, curieux à observer, et pour lequel il faudra créer un mot.
Les uns disent : – Oh ! qu’il est rusé !
Les autres : – Qu’il est naïf !
Et on ne s’entend pas, parce que cet excentrique n’est ni rusé ni naïf, il est rusé-naïf ; il a la foi, il a cherché à entraîner des esprits à sa suite, il n’a pas réussi, quoiqu’il ait lutté longtemps. Alors l’instinct le pousse à la ruse : tous les moyens lui sont bons pourvu que son idée triomphe. Il méprise la société plus que la société ne le méprise, et il cherche à la tromper en se disant que c’est pour faire son bonheur. Ces êtres bizarres dont les plans sont si nébuleux, si peu pratiques, d’une application difficile, pour ne pas dire impossible, comprennent merveilleusement le mécanisme de la vie civilisée ; ils saisissent les vices ou les défauts d’un individu avec beaucoup de finesse.
J’ai vu de ces convertisseurs commencer par flatter un individu, puis, ne réussissant pas, tourner à la brutalité : il l’insultait et lui dévoilait ses mauvais instincts. Cet excentrique clairvoyant n’était rien moins que naïf, puisque, comme un disciple de Gall et sans tâter les bosses, il déshabillait un homme du regard et savait trouver la fenêtre de son âme ; il n’était rien moins que rusé, puisque, malgré toutes ses combinaisons, ses discours, ses démarches, ses publications, son immense activité, il n’arrivait tout au plus qu’à un morceau de pain chèrement acheté.
Et cependant l’homme se faisait vieux et cassé ; il comprenait que de longtemps ses rêves ne se réaliseraient pas. S’il avait voulu cesser sa vie errante et vagabonde, sa famille l’attendait les bras ouverts pour le recevoir comme l’enfant prodigue. Qui le retenait, lui, sa femme et ses enfants, dans la misère, au sein du Paris misérable ?
LA CROYANCE.
Était-il rusé ? était-il naïf ?
Quand Jean-Jacques Rousseau s’habillait en Arménien dans les rues de Paris et qu’il était regardé autant que nous avons regardé Carnevale , n’était-ce pas là le procédé vulgaire du marchand de crayons, l’envie de faire parler de soi, et l’orgueil en plus ?
Mais les véritables excentriques s’ignorent ; ils ne se savent pas excentriques, et surtout ne le disent pas ; ils se croient dans le positivisme, dans la raison, dans la coutume, et s’étonnent d’être regardés.
Il a fallu plus de courage qu’on ne croit pour faire poser ces modèles, bohèmes véritables, à l’esprit difficile et chagrin, souvent mystérieux comme des sphinx, et toujours indéchiffrables comme l’obélisque.
Quelques-uns sont compromett

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