Les petits miracles
72 pages
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Les petits miracles , livre ebook

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Description

La magie existe, et elle peut débouler dans le quotidien. Un chien aux yeux vairons confié par une pseudo-amie, une vieille dame éruptive à la mémoire intermittente, la blancheur étrange d'un appartement providentiel, un rendez-vous noté par une main inconnue sur un agenda familier, une fugueuse violoniste : ces détails, ces êtres attestent de la chose avec la grâce propre aux innocents. La magie peut être drôle, ou grave:, au bout, quelque chose qui pourrait ressembler au bonheur, à tout le moins une forme d'apaisement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 décembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312026572
Langue Français

Extrait

Les petits miracles

Joëlle Pétillot
Les petits miracles
Nouvelles












LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
À Françoise, ma jumelle de dix-sept lunes .





© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-02657-2
Voulfe
Elle le trouva couché sur son paillasson, au moment de sortir pour les courses du jour.
Recroquevillé, mais serein; le regard d’un qui sait avoir sa place où il se trouve.
Scotché à son collier, un petit mot de Virginia… Elle aurait dû s’y attendre.
Virginia avait pris ce chien sur les conseils d’amis désireux d’en finir avec une déprimée chronique, d’expression funèbre et portée à geindre en permanence.
À en juger par la précision calendaire du papillon arrimé à la bête, ça avait duré trois jours.
Je l’ai acheté lundi, mais ce mercredi je pars au Brésil. Merci de t’en occuper.
P. S. J’ai rencontré un brésilien.
Après une brève seconde d’empathie compassionnelle pour tous les brésiliens, Victoire lâcha sa lecture et regarda vraiment la bête.
C’était, incontestablement un chien.
Oreilles : check
Museau : check.
Pattes : check.
Queue : check.
Sexe : c’est-un-garçon-check.
Mais.
Victoire n’avait jamais vu un chien pareil. Lové sur son seuil, il avait à peine sursauté à l’ouverture de la porte. Il la fixait de ses yeux étranges, très sombres mais dépareillés : l’un d’un noir absolu, l’autre brun constellé de petites taches orangées.
L’une de ses oreilles dépassait nettement l’autre.
Son poil tirait vers le beigeasse bon teint, mais fonçait de façon visible sur tout le côté droit. L’une de ses pattes, une seule, était noire, avec une tache dont la forme évoquait une sorte d’étoile de mer.
Victoire analysa rapidement la situation.
« – On était mercredi
– Virginia volait pour polluer le brésil avec sa mauvaise humeur en excédent de bagage, loin, très loin d’ici.
– Et elle… Elle héritait d’un chien asymétrique avec une étoile de mer molle sur son unique patte noire. »
La journée ne commençait pas si mal.
Victoire avant de sortir trouva dans ses réserves un biscuit chocolaté, gobé par le chien d’un claquement sec avec jubilation incorporée.
Puis elle quitta l’appartement panier en main, le chien sur ses talons, son collier ôté parce qu’elle détestait ça. Ils passèrent une journée assez paisible ; le temps que dura leur promenade, Victoire nota l’attention bienveillante des passants à leur endroit. Ils devaient former un binôme plutôt marrant car son nouveau copain, arrimé à son sillage avec une régularité martiale, ne s’éloignait pas à plus d’un mètre de ses mollets. Victoire, assez petite et ronde, la cinquantaine souriante et le célibat accepté, se réjouissait de la présence d’un élément mâle dans ses pas sachant qu’il ne lui demanderait jamais de l’épouser.
Après les courses, ils se restaurèrent. Elle vit qu’il prenait ses croquettes une à une sans manière, mais sans goinfrerie. Juste histoire de profiter du plaisir ? Cela lui plut. Chien diagonal, étoilé et épicurien. Pas une mauvaise affaire. Le soir venu, les deux en parfaite harmonie - l’une sur le canapé, l’autre au pied - profitaient respectivement d’un bon livre et d’un vieux chausson dans la quiétude du foyer et la paix de l’âme.
Soudain, toutes les lumières s’éteignirent. Victoire se leva, gagna la fenêtre pour voir si l’obscurité était générale. La rue enténébrée lui sauta à la figure ; tout le quartier croulait sous le noir.
Pourtant, une luminosité pâle demeurait quelque part. Elle réalisa que ça venait de chez elle, se retourna, abaissa le regard et vacilla un peu.
Le chien brillait comme une luciole incongrue, un halo chétif entourant ses bizarreries. L’étoile de mer sur sa patte brillait aussi, un peu plus fort que le reste.
Toujours concentré sur son chausson, il avait l’air de s’en foutre.
Victoire n’eut pas le temps de chercher à comprendre. La lumière revint brusquement, et un soupir d’aise monta de la rue entière : tout le monde a peur du noir qu’il ne choisit pas.
Quand elle alla se coucher, plus perplexe qu’effrayée, le chien la suivit et grimpa au pied du lit. Elle le laissa faire, et réalisa qu’il n’avait toujours pas de nom. Sa lampe de chevet allumée déposait une lumière oblique sur la bête, et elle vit de petits grains sur son poil flou, comme des particules d’or encore accrochées. Lui la regardait de ses deux billes déparées, avec l’air d’un qui demande : « j’ai un truc sur le nez ? »
Le poisson rouge de Victoire s’appelait Palamède {1} . Victoire, petite et ronde, la cinquantaine souriante et le célibat triomphant, avait des lettres. Elle décida de continuer sur cette lancée.
– Cadeau de Virginia, dit-elle en le regardant. Tu t’appelles Woolf.
Il eut un aboiement bref, qui résonna comme son nouveau nom, une sorte d’approbation, un « wouf » très doux.
Elle éteignit la lampe, et il recommença à briller, mais moins fort que dans le salon, comme pour ne pas la gêner. Elle lui sut gré de cette élégance, lassée de réfléchir, et commença à plonger. Juste avant elle eut le temps de se dire que Woolf était trop…
Elle l’écrirait Voulfe.
Il eut un nouvel aboiement-murmure, rendant le même son, comme un écho.
Approuvé : ce serait Voulfe.
Victoire s’endormit sans savoir qu’au matin, une autre surprise l’attendrait.
De taille, celle-là.
***
Elle s’éveilla le lendemain avec l’arrière-gorge râpée. Elle avait du ronfler, mais quelle importance, puisque personne d’autre qu’elle n’occupait sa couche… Au fait… mais si !
Encore ensommeillée, elle se redressa un peu et le vit. Il n’avait pas bougé d’un pouce, couché à côté de ses pieds avec la même tranquillité que sur son paillasson la veille. Il aurait coincé une pancarte entre ses deux pattes de devant, -dont l’une noire et étoilée-, avec « je suis à la bonne place » peint en rouge, que sa confiance n’eût pas semblé plus aveuglante.
Victoire, contente comme tout de le trouver là se leva avec un vaste sourire, et dit en passant près du chien qui n’avait pas bronché : «T’es une bonne nature, toi. »
Il réagit au son de sa voix et s’éveilla. Sa tête se dressa doucement, et il ouvrit… un œil. Un seul : le pailleté. Stoppée dans son élan, Victoire le regardait. Quelques secondes plus tard, l’autre œil, le noir, s’ouvrir également. Il poussa un soupir d’aise à sa vue, sauta à bas du lit et lui emboîta le pas jusqu’à la cuisine. À un mètre de ses mollets, norme établie par lui-même puisque cette femme était sienne comme tout permettait de le croire.
Il s’arrêta toutefois avant d’entrer. Victoire, n’entendant plus son trottinement, se retourna et fut frappée, dans l’expression de Voulfe, d’en voir deux :
– L’œil doré lui disait : « je t’aime »
– L’œil noir : « quand-est-ce qu’on mange ? »
Elle remplit l’assiette dévolue aux croquettes, se fit un café et beurra ses tartines en bavant légèrement à l’idée de la crème au caramel au beurre salé qu’elle étalerait sur le pain grillé encore tiède en pensant comme à chaque fois : « j’emmerde Aubertier » .
Aubertier était son médecin traitant, et comme un bonheur n’arrive jamais seul, obsessionnel compulsif du cholestérol. Et je mets le caramel par dessus le beurre, ineffable trouduc…
Elle adorait se payer Aubertier le matin, lovée dans sa gourmandise et l’huis bien clos de ses pensées.
Elle jeta un regard sur Voulfe, qui savourait ses croquettes une par une, comme la veille.
Décidément, ce chien ne goûtait pas la précipitation.
Une fois leur faim respective apaisée, Victoire sortit de la cuisine en saisissant au passage les daphnies séchées pour Palamède. Puis, selon le rite, sema d’un geste aérien les grains poudreux au dessus de l’eau, tandis que le poisson usait des 0,2 figures dont il était capable pour témoigner sa joie au monde. En clair, il agitait ses nageoires et sa queue, un millipoil plus vite que d’hab…
Victoire étouffa un cri. Voulfe, courtoisement, poussa un « wouf » discret, en un écho solidaire.
Quelque chose clochait, et pas qu’un peu.
Palamède était un poisson rouge, en clair une virgule aquatique de cinq centimètres au plus, avec cerveau à l’avenant. Il fallait plus de temps pour prononcer son nom que pour appréhender toutes les… facultés (?) de l’individu (?). Lequel, pour l’heure, arborait des nageoires d’une longueur extrême par rapport à sa taille, en faisant des effets…

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