A perdre alène
13 pages
Français

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A perdre alène , livre ebook

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Description

Une femme séduite par un cordonnier s'offre à lui.





Informations

Publié par
Date de parution 24 mai 2012
Nombre de lectures 43
EAN13 9782823801590
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

couverture
Françoise Rey

À perdre alène

12-21

Impossible qu’il n’ait pas pensé à quelque gaudriole quand il avait posé la question. Sa prunelle brillait d’une malice rieuse, et tout son visage, plissé comme pour un clin d’œil, souriait avec une bonhomie trop parfaite pour être honnête. Un beau visage, d’ailleurs. Buriné élégamment sous une chevelure argentée à la Jacques Weber. Et puis sa voix… Une voix grave, douce, où roulaient des accents chantants, presque latins.

– Vous avez combien de trous ?

Ça l’avait d’abord scotchée. Combien de trous ? Comment ça ? Il avait décidé d’orienter très nettement les choses, alors ? Parce que déjà, quand elle avait dit :

– Je suis en quête de lacets noirs, il avait répondu, avec une drôle d’intonation :

– Il vous en faut long ?

Après un silence perplexe, Hélène s’était ressaisie pour cet aveu crétin :

– Heu… Oui, non, peut-être… Enfin, je ne sais pas…

Elle s’était penchée vers ses bottines :

– C’est pour ces chaussures. J’en ai un prêt à craquer…

Il avait contemplé le pied qui se tendait, tandis qu’elle remontait sa jupe longue. Elle avait l’impression qu’il embrassait, d’un seul examen, l’ensemble de la jambe, de la chaussure au genou. Elle avait un peu rabattu sa jupe. C’est là qu’il avait relevé la tête, lui avait planté au fond des yeux l’éclair mutin de son regard bleu.

– Vous avez combien de trous ?

Elle hésitait à rougir, à s’indigner, il allait poursuivre, c’était couru :

– Je vais vous les combler tous, promis, si vous continuez à m’aguicher comme ça, avec vos froufrous troussés…

Il précisa, conscient peut-être de l’ambiguïté de sa question :

– Combien d’œillets ?

Elle pataugeait. Que dire ? Que faire ? Prendre la fuite ? Éclater de rire ? Et puis elle avisa le petit tableau, sur la banque d’accueil de la cordonnerie, une sorte de barème, qui précisait la longueur en centimètres des lacets requis selon le nombre d’œillets de la chaussure. Elle se trouva courge, courba la nuque, compta, par paires :

– 2, 4, 6, 8… 14 ! 14 œillets, dit-elle enfin, d’une voix claire.

Le cordonnier soupira :

– Vous êtes entre deux tailles.

Il cita le tableau, qu’il orientait d’une main vers lui pour le déchiffrer :

– 12/14 œillets = 120 cm, 14 et plus = 150. Qu’est-ce qu’on fait ? Si je vous donne les 150, ça risque de faire trop long… Vous attachez serré ?

Et il plongea, s’empara sans façon du pied botté de noir, le scruta avec une attention apparemment toute professionnelle. Le talon de la chaussure reposait dans sa main gauche et, de la droite, il en caressa à toute vitesse le dessus, puis glissa une phalange, sous l’entrecroisement du lacet qui la fermait :

– Oh ! Oui ! fit-il avec une sorte de gourmandise, vous serrez bien ! 120, ça doit aller !... Puis il ajouta : Voilà ce qu’on va faire : quand vous changerez vos lacets, ne déchirez pas l’emballage des neufs tout de suite. D’abord vous mesurez les vieux. Et si c’est du 150, vous revenez changer. D’accord ?

Elle avait acquiescé, en proie à un trouble multiple. Elle le soupçonnait de lui souffler le prétexte d’un retour à la boutique. Elle organisait déjà, de son côté, leurs retrouvailles. Oui, elle reviendrait, 120 ou 150 centimètres, quelle importance ? Il fallait qu’elle le revoie, il était si séduisant, si adorable, tout seul, au chaud de son échoppe qui sentait le cuir et la colle, et ronronnait comme un gros chat. Quand elle avait poussé la porte, tout l’avait charmée. La petitesse douillette des lieux, tièdes après la rue glaciale et mouillée, la lumière, les parfums, jusqu’à ce bruit de moteur, ce zonzon régulier et paisible, comme une chanson à bouche fermée, qui venait d’une pièce attenante. La clochette de l’entrée avait finalement interrompu la rengaine mécanique. Et Jacques Weber était apparu. Aussi grand, carré, attirant que lui. Il devait être en train de coudre à la machine, il avait remonté ses lunettes sur son front, il était beau comme ça, le regard un peu égaré, mais très vite attentif, très vite concerné…

Elle salua.

– Au revoir, merci, oui, je n’y manquerai pas, oui, je reviendrai !

Elle trébucha sur le trottoir, avant de retrouver Angèle qui l’attendait piquée au feu rouge, et s’exclama en la voyant arriver :

– Grouille ! On va rater le début !

Hélène se laissa entraîner, lente malgré elle et comme attachée à un lien élastique arrimé, là-bas, dans la petite cordonnerie vibrante et chaude qui embaumait.

Le concert était annoncé pour 18 heures 30. Elles s’installèrent à 32, et à 40, rien n’avait commencé. Le lien élastique était tendu à craquer. Hélène devait fournir un effort épuisant pour rester assise sur son fauteuil. Une nervosité folle lui était venue, une angoisse qui l’agitait et la torturait. Angèle s’y méprit :

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