Derrière la dernière porte en verre, les journalistes la guettent. Une douzaine, plus peut-être. Quelques photographes, postés le long de l’escalier de granit. L’un d’eux s’est hissé sur un porte-drapeau, comme un grand aigle, prêt à fondre sur sa proie.
— Ils sont là pour vous, dit Silvana, tandis que la porte s’ouvre sur elles.
Aussitôt, Emmanuelle est cernée par les paparazzi, tandis que les éclairs des flashs éclatent de toutes parts. Elle remarque même, à présent, une équipe vidéo mobile – la TV, sans doute – dont le cadreur braque sa caméra sur elle.
Insupportable brouhaha, appels, questions qui se croisent, se mêlent, micros tendus, bousculade d’hommes et de femmes, au coude à coude, armés de leur magnéto. Leurs visages emperlés de sueur, leurs voix hautes ou graves criant d’incompréhensibles questions. De temps à autre, Emmanuelle y distingue son nom. Une meute de chiens courants !
— Un instant, s’il vous plaît !
La voix de Silvana s’élève, aiguë soudain, ramenant le silence.
— Madame ne voit aucun inconvénient à vous répondre. Cependant, elle le fera par mon intermédiaire, car elle ne connaît pas l’italien. En outre, elle est très fatiguée et n’admettra, naturellement, aucune question sur sa vie privée.
— Vous voulez rire, crie une voix. On se fout de son opinion sur Gorbatchev ou l’effet de serre. On veut savoir pourquoi elle a quitté son mari !
— Confidence pour confidence, réplique Silvana, votre vie sexuelle est-elle conforme aux positions vaticanes ?
Un chœur de rires couvre la réponse du journaliste. Mais aussitôt, un autre s’avance. Petit, trapu, brun de peau. Derrière de grosses lunettes, ses yeux brillent dangereusement.
— Madame, avez-vous emporté les danseuses sacrées de la princesse Ram-Shar ?
Il prononce Ram-Shal, mais Emmanuelle comprend quand même.
Silvana se tourne vers elle et lui répète la question en anglais, ajoutant rapidement :
— Ne répondez que par oui ou par non.
Emmanuelle acquiesce d’un signe de tête.
— Quelle est leur valeur ? insiste le journaliste.
Un autre renchérit :
— Combien les avez-vous payées ?
Une femme s’avance alors, petite, gracile, avec de longs cheveux roux et un minois semé de taches de rousseur :
— Quand pourrons-nous les voir ?
D’autres voix poursuivent :
— Qu’avez-vous l’intention d’en faire ?
— Combien de temps pensez-vous rester en Italie ?
— Vous fixez-vous à Rome ?
— À quel hôtel descendez-vous ?
— C’est bien la première fois que vous venez dans notre pays ?
— Pensez-vous demander le divorce ?
— Est-il vrai que vous vouliez reprendre votre carrière ?
Et les cris recommencent, plus agressifs encore. Silvana lève une main impérieuse. Se retournant vers Emmanuelle, elle lui répète les questions en anglais.
— Qu’ils aillent au diable ! murmure Emmanuelle entre ses dents.
Silvana reste impassible.
— Vous savez ce qu’il convient de répondre, reprend Emmanuelle. Traduisez donc ceci…
Elle cherche dans sa mémoire les échos d’une longue cantilène siamoise surgie de son enfance qui souhaitait fortune aux fils du roi :