Journal de l infidèle (roman gay)
220 pages
Français

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Journal de l'infidèle (roman gay) , livre ebook

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220 pages
Français

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Description


Journal de l'infidèle



de Pierre Salducci


Pierre, jeune professeur de français, s’ennuie dans sa relation de couple avec Jean. Il ne se résout pourtant pas à perdre la sécurité affective qu’il représente.



En peu de temps, il rencontre deux garçons : Christophe, un marginal qui vit en communauté, puis Kamel, élève en terminale dans le lycée où il enseigne. Tous deux exercent sur lui la fascination de la nouveauté. Sans le savoir, Jean, Christophe et Kamel vont se retrouver au cœur d’un quatuor amoureux intense et désordonné.


Écrit à l’âge de 25 ans, tenu en temps réel, ce récit intime retrace toutes les étapes d’une intrigue sentimentale authentique. Publié pour la première fois en 2000, Journal de l’infidèle , deuxième roman de Pierre Salducci, est devenu en très peu de temps un véritable succès de librairie, salué par la critique et présenté comme figurant « parmi les plus grandes amours de la littérature masculine d’ici et d’ailleurs ».


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Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 351
EAN13 9782363070043
Langue Français

Extrait

Cover

 

 

Journal de l’infidèle

Ou le présent à tout prix

 

un roman de

Pierre Salducci

 

pierresalducci@hotmail.com

www.salducci.com

 

Préface

 

Quand j’ai lu La Douleur, de Marguerite Duras, je me souviens que je n’y ai pas cru. Je veux dire, cette histoire de texte écrit des années auparavant, sur un cahier, et puis oublié dans une armoire, et puis redécouvert, tout à fait par hasard, et publié. Je me disais : ça, c’est ce qu’elle prétend, Duras, mais ce ne peut pas être la vérité. Je me demandais comment elle pouvait avoir écrit un texte aussi fort, aussi dense, pour le rayer de sa mémoire presque instantanément. Cela me semblait incompréhensible, voire impossible. Jusqu’à ce que je découvre à mon tour un cahier gris bleu dans une pile de dossiers. Ce cahier, je l’ai de suite reconnu. C’était celui que m’avait offert Tadeusz K. lorsqu’il s’était installé en France.

Tadeusz était un correspondant que j’avais déniché dans Gai pied. Il était polonais et le fait qu’il vive en Pologne avait d’emblée piqué ma curiosité. L’été de Gdansk était encore dans les mémoires, ainsi que la naissance du mouvement Solidarité, en 1980. La situation des pays de l’Est, leur possible émancipation, suscitaient alors un véritable intérêt. Pour ma part, je me faisais une idée terrible de ce à quoi pouvait ressembler la vie d’un gay en Pologne. J’imaginais Tadeusz condamné à la honte, humilié, brimé, poursuivi en permanence par un régime politique qui non seulement ne reconnaissait pas ses droits mais qui, de plus, devait le surveiller, le menacer et cherchait à lui nuire par tous les moyens. Sans même avoir vérifié si mes craintes étaient fondées, et sans savoir si Tadeusz subissait véritablement une telle discrimination, j’avais fait de lui une sorte de héros moderne en lutte contre toutes les injustices et paré d’un infini prestige. Pour compléter le tableau, Tadeusz m’apprit un jour, à ma grande surprise, que son nom était probablement à l’origine du diminutif Tadzio qui désigne le personnage principal de Mort à Venise, un film culte alors, pour mon petit cercle d’amis, dans ces années où le cinéma gay n’existait pas encore tel qu’on l’entend aujourd’hui. Cette nouvelle m’avait laissé totalement saisi d’émotion et le prestige que j’avais déjà si volontiers accordé à mon correspondant en fut aussitôt sérieusement augmenté. Ainsi, pour le jeune homme que j’étais, la tête pleine des rêveries et des certitudes de l’adolescence, correspondre avec Tadeusz, c’était non seulement soutenir un vaillant militant de la cause gay, mais c’était aussi baigner dans le rappel d’un mythe authentique, d’un personnage de film, si vaporeux et si fragile qu’il semblait presque impossible qu’il pût avoir un prolongement dans la vie réelle.

Un jour, pourtant, après plusieurs mois à s’écrire, c’est-à-dire à demeurer dans le virtuel et à imaginer un être et des événements qu’on n’a jamais sous les yeux et qui ne vivent que sur le papier, le visage abstrait et lointain de mon correspondant émergea tout à coup devant moi, bien réel, doué de vie et de parole, d’une parole française qui plus est. Tadeusz avait décidé de fuir le régime dictatorial de Pologne et de vivre à Paris.

Ses débuts furent difficiles, je m’en souviens. Il habitait une toute petite chambre de bonne sur les quais de la Seine, dans le 5e arrondissement, et se faisait un peu d’argent en gardant les enfants d’une riche famille française. Je me souviens aussi que, malgré la précarité de son existence, je lui enviais ce mode de vie, et que cela me portait toujours à m’attarder plus ou moins quand je le raccompagnais chez lui. Au demeurant, les jeunes autour de moi ne rêvaient-ils pas tous d’habiter, un jour, une chambre de bonne sur les quais de la Seine ? Il me suffit d’y repenser pour que des images de bohème défilent aussitôt devant mes yeux ; une vie un peu difficile, certes, un peu juste, mais riche en expériences et en rencontres. Et à cet âge où chacun s’imagine un peu artiste, en marge des autres, la perspective d’une vie de bohème suscitait chez moi des aspirations vagues, voire fantasmées, qui stimulaient mes rêves et mes projets.

Au cours des mois qui ont suivi l’arrivée de Tadeusz, Jean et moi l’avons aidé, en fonction de nos moyens qui n’étaient pas énormes à cette époque. Et c’est pour me dire merci de mon soutien que Tadeusz m’avait offert ce cahier, un jour. Un cadeau bon marché, visiblement, mais qui avait pris aussitôt une valeur importante à mes yeux. C’était un cahier polonais, tout simple, très haut et large, avec une couverture souple en plastique transparent pour le protéger, et plusieurs mots écrits sur la couverture, non seulement dans une langue que je ne comprenais pas, mais dans un alphabet que je ne pouvais même pas lire. C’était très frustrant. Chaque fois que mon regard s’attardait sur elles, ces inscriptions éveillaient en moi la curiosité que suscite une grande énigme alors qu’au fond, il ne devait pas être très difficile d’imaginer leur sens. Il devait être écrit : Cahier d’écolier, ou Cahier de classe, et puis, Nom, Prénom, Adresse de l’élève, ou quelque chose comme ça. Rien de bien sorcier, j’imagine. Même si je n’ai jamais pensé à vérifier la chose.

Au fur et à mesure que Tadeusz s’acclimatait à la vie parisienne, il eut de moins en moins recours à mon aide, ne me donnant que de rares nouvelles, jusqu’à ne plus m’appeler du tout, emporté par l’effervescence de la capitale et, possiblement, séduit par de nouveaux visages. Je n’étais plus ce précieux point d’ancrage sur lequel il avait tant compté et, comme ma brusque passion pour le sort des gays polonais s’était émoussée avec le temps, je finis à mon tour par ne plus penser à lui. En retrouvant le cahier, toute son histoire m’est revenue en mémoire, et au cœur, d’un seul coup.

J’ai pris le cahier entre mes mains et je me suis dit qu’il serait enfin temps de m’en servir, que je pourrais y consigner des notes, des textes courts. C’était, sans que j’en sache la raison, un cahier qui me donnait envie d’écrire, comme un appel. Il me suffisait de le regarder pour que surgissent les mots et les projets. Je l’ai ouvert et, à ma grande surprise, je me suis rendu compte que les pages étaient déjà remplies. Jusqu’à la dernière, complètement. Chargées d’une écriture violette. La mienne. J’ai froncé les sourcils ; je ne me souvenais de rien. Quand avais-je écrit cela ? Et pourquoi ? J’ai commencé à lire. Je me suis assis à même le sol et, sans trop m’en rendre compte, je suis allé jusqu’au bout. C’est ainsi que j’ai découvert le Journal de l’infidèle et que j’ai été obligé de croire à l’histoire racontée par Duras à propos de La Douleur. J’ai appris ce jour-là qu’on pouvait vraiment oublier un texte. Je crois même, aujourd’hui, que plus un texte est proche de la douleur, plus il est écrit comme une expiation, et plus il est destiné à être relégué au plus loin de soi une fois terminé.

L’histoire du Journal de l’infidèle ne m’a laissé aucune trace – je veux dire, aujourd’hui. J’imagine que, sur le coup, ces événements ont dû être si forts, non seulement pour moi, mais pour tous ceux qui étaient en cause, si difficiles à vivre, que j’en ai reporté tout le contenu sur l’écrit. J’ai tout déposé là, dans le cahier, et puis je me suis retiré de l’histoire. D’après les quelques repères que j’ai pu y trouver, je peux la situer à Paris, vers 1985, voire un peu avant ou après. Mais quand j’ai essayé d’aller plus loin et de m’en rappeler davantage, tous les autres repères m’ont fui. Impossible de me raccrocher à quoi que ce soit. Même les personnes dont je faisais mention ne me disaient plus rien. À part Jean, bien sûr. Mais, de Kamel et Christophe, je ne me souviens plus. De leurs visages, de leurs voix, de leur façon de bouger ou de rire. De rien. Leur nom de famille, leur âge, ce qu’ils aimaient dans la vie, j’ai tout gommé. Désormais, je ne pourrai dire à leur sujet que ce qui figure dans le texte. Strictement. Ou alors il me faudrait m’aventurer dans le vaste domaine des hypothèses et de l’intuition. Par curiosité, je suis tout de même retourné rue Jean Jaurès, croyant pouvoir retrouver la pizzeria dont je parle, mais je n’ai rien vu. Ou plutôt, j’ai vu une bonne dizaine de pizzerias alignées à intervalles irréguliers, des deux côtés de la rue, et aucune ne m’a semblé plus familière qu’une autre. C’était comme si je les voyais pour la première fois. Et je n’ai jamais pu reconnaître l’immeuble qu’avait habité Christophe, pas plus que celui de Kamel lorsque je suis allé faire un tour dans le quartier de la mairie d’Aubervilliers.

Tout comme je ne me vois pas vivre l’histoire du Journal de l’infidèle, je ne me vois pas plus l’écrire. J’ai beau chercher mais, sur ce plan non plus, je n’ai aucun souvenir. Trop de distance et d’années sont venues s’interposer entre le moment de l’écriture et celui où j’ai découvert le cahier, enfouissant cette époque dans un passé lointain. Ce que je sais, c’est que l’histoire s’ouvre sur le drame et se termine dans le drame. Dans une solitude et un désarroi extrêmes. Et c’est tout ce qui compte. L’important est là, dans cette plongée au cœur de l’émotion, dans cet éveil soudain, et qui fait mal, alors que les sentiments, les pulsions et les désirs s’entrelacent pour créer un nœud serré dans le ventre. Jusqu’à la fin. Alors, j’ai regardé tout ce trajet parcouru et j’ai presque eu envie de dire comme la reine Marguerite dans Le Roi se meurt, d’Eugène Ionesco, que « c’était une agitation bien inutile ». Mais ça, c’est normal ; c’est la vie qui est ainsi. La vie des hommes se réduit toujours plus ou moins à une agitation bien inutile.

Le Journal de l’infidèle me paraît avoir été écrit d’une traite, en quelques semaines seulement. Sur le vif. Au fur et à mesure des événements. C’est un texte collé au quotidien, sans mention de dates ni de lieux, autant de repères que je ne saurais rajouter parce que je ne les connais plus. De toute façon, le décor, l’heure, le jour, l’endroit, au fond, on s’en fout. Le Journal de l’infidèle, c’est l’aventure d’un boulimique, c’est le journal du présent à tout prix. De l’avidité et de l’immédiat. Écrit dans l’urgence, dans le moment précis de la pensée, d’une pensée disproportionnée, qui néglige les faits et donne toute la place à l’émotion, comme il se doit dans le cas d’un journal intime.

Au début, j’ai accepté le journal tel qu’il était et je n’y ai rien changé. Mais, à force de le lire et relire, c’est devenu plus fort que moi. Je me suis pris au jeu et j’ai voulu me l’approprier de nouveau. Je l’ai retranscrit sur différents supports et, chaque fois, j’en ai retouché le contenu. Des détails infimes, me semblait-il, mais qui ont pris de plus en plus d’importance. Ce faisant, je cherchais à recréer l’émotion originelle, le cadre, les circonstances exactes qui avaient pu m’inspirer. Je voulais devenir de plus en plus précis, nourrir le texte pour faire revivre tout ce monde-là, les gens, les instants. Je voulais m’imprégner, le plus possible, de la vérité historique de ces jours lointains. Faire de la photo écrite en quelque sorte. J’ai coupé-monté comme au cinéma et, quand je me suis arrêté, je me suis rendu compte que de détail en détail, de modification en modification, le Journal de l’infidèle que j’avais sous les yeux n’était plus le même. Qu’à force de vouloir lui redonner vie, le journal était devenu roman. Presque malgré moi. Désormais, je ne saurais plus dire ce qui est demeuré intact ou pas, retracer les divers changements avec certitude, mais ce que je sais, c’est que Kamel et Christophe sont maintenant des personnages de fiction, et qu’ils ont rejoint un univers imaginaire dans cet espace d’écriture. C’est pourquoi j’ai décidé de tout rendre public. Mon histoire, tout comme la leur, n’appartient plus à ceux qui l’ont vécue. Elle revit pour être donnée au monde. La voici. Libre à présent de prendre un nouvel envol, vers qui, vers quoi, je l’ignore, mais à jamais.

Journal de l’infidèle

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