Encre Éphémère
200 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Encre Éphémère , livre ebook

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200 pages
Français

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Description

Qui est-il ?
A-t-il conscience de l’alchimie qui nous lie ?


Son regard me brûle, m’électrise, m’enivre. Il en est presque insupportable.


L’arrivée d’Ordan a bouleversé ma vie. Les disparitions. Les suspicions. Il n’est pas ici par hasard. J’en ai la certitude à présent. Les sentiments et les mots se bousculent en moi, sans ordre ni raison. Je donnerais n’importe quoi pour remonter le temps. Mais je dois entendre la vérité, même si elle m’effraie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 décembre 2016
Nombre de lectures 63
EAN13 9782819101116
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

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Encre éphémère

 

 

 

 

 

Du même auteur aux Editions Sharon Kena

 

 

 

Larme Sélène

Nuées de Songes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Emmanuelle Lagadec

 

 

 

 

Encre éphémère

 

 

 

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« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). « Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »

 

 

© 2016 Les Editions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com

 

 

 

 

 

Remerciements

 

 

 

Mes premières pensées vont à mon fils et mon mari qui supportent mes longues séances d’écriture devant mon PC…

 

Un énorme merci à mes parents pour leur soutien.

 

Des bisous à mes bêtas-lectrices Josselyne, Géraldine, Sophie et Pascale. Sans vos conseils et vos corrections, Encre Ephémère serait resté à l’état de manuscrit.

 

Je remercie une nouvelle fois les Editions Sharon Kena : Cyrielle, toute l’équipe du comité de lecture et les correctrices. Grâce à vous, je peux tenir mes romans dans mes mains !

 

Un grand merci à Ingrid Houtcieff-Selenys pour cette superbe couverture qui correspond parfaitement à mon roman ! Qu’est-ce qu’elle est belle ma Katell ^^

 

Pour finir, merci aux lecteurs et blogueurs qui me suivent ! Sans oublier les petits nouveaux ! J’espère que mon univers vous plaira :)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a des livres dont il vaut mieux ignorer l’existence.

Il y a des livres qui ne devraient pas être lus.

 

 

 

Table des matières

 

 

 

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1

 

 

 

Ordan, samedi 9 août 2014.

 

Un éclair d’une vive clarté accompagne mon départ. En une fraction de seconde, je me retrouve dans une vaste forêt. La tête basculée en arrière, je contemple le ciel verdoyant. La brise agite les feuilles des chênes et des hêtres qui m’entourent. Les rayons du soleil se diffusent alentour en une pluie dorée. Je noue mes longs cheveux ébène en catogan, retire mon manteau et le dissimule un peu plus loin. Ma besace en bandoulière, sobrement vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise blanche à col mao, je me faufile entre les branches. La puissance de l’Empreinte pulse dans mes veines. Son pouvoir m’enivre. Me guide. Bientôt, je débouche en bordure d’un lac, où un groupe d’humains d’une vingtaine d’années est en train de chahuter. Embusqué derrière un arbre au large tronc, je les observe en silence. Deux jeunes hommes éclaboussent une jeune femme aux longs cheveux châtains, qui rit à gorge déployée. Son corps partiellement couvert d’un minuscule maillot de bain, mordoré, transpire de sensualité. Une aura incandescente émane du groupe. Le parfum du désir, obsédant, voire irritant, supplante les autres fragrances. Incommodé par ce tourbillon d’émotions, je détourne mon attention. Je me fige alors en découvrant Katell debout sur la plage. Imperméable aux rires et aux cris, je savoure ce moment inespéré. Un short en jean et un débardeur en fin coton blanc épousent les courbes sensuelles de la jeune femme. Ses boucles rousses effleurent avec légèreté le galbe de ses seins. Camouflé par l’un de mes charmes magiques, je descends sur la plage et viens au plus près d’elle. Je me délecte de son visage aux traits parfaits. Lorsque j’effleure ses lèvres charnues avec le dos de ma main, l’étonnement transparait dans son regard vert. Surpris, je m’écarte de la jeune femme. Une chaleur indescriptible court sous mon épiderme quand Katell se rapproche de moi. Immobile, je guette sa réaction. Une vague de soulagement m’envahit, en prenant conscience que je demeure invisible à ses yeux.

— Amenez-vous ! hurle le grand brun à bord d’une barque amarrée sur la plage.

Je détourne mon attention de Katell et aperçois le deuxième jeune homme qui arrive en courant. Perdue dans ses pensées, Katell sursaute quand il la soulève dans ses bras.

— Yann ! Lâche-moi ! proteste-t-elle en se débattant.

— Tu es ma prisonnière, ma belle !

Très vite, les quatre jeunes gens se retrouvent à bord de la barque. Je m’assiedssur le sable et regarde l’embarcation s’éloigner et s’immobiliser à plusieurs mètres du bord. Des rires s’élèvent, des éclats de voix. Mon cœur se serre. Je me lève et m’éloigne lentement. Je vais aller faire un tour dans les environs et attendre le bon moment. Lorsque j’emprunte le chemin de terre en amont de la plage, des hurlements m’obligent à me retourner. Au milieu du lac, la barque tangue sous le contrepoids des deux hommes et de la jeune femme aux cheveux châtains, tous penchés en avant. Où est Katell ? En panique, je me précipite sur la plage, abandonne ma besace auprès d’un rocher et plonge dans l’eau, tout habillé. Quelques brasses me suffisent pour atteindre l’embarcation. Je prends une grande inspiration et explore les profondeurs du lac, dans l’espoir d’apercevoir Katell, mais rien. La peur m’oppresse et me contraint à remonter à la surface pour respirer une grande goulée d’air frais. Dès lors que mon visage glisse hors des flots, des rires me parviennent. Confus, je lève les yeux vers la barque et découvre Katell saine et sauve. Debout, ses vêtements détrempés collés à la peau, elle essore ses longs cheveux avec une serviette éponge.

— Yann, tu aurais pu attendre que j’enfile mon maillot !

Agacée, elle donne une claque sur l’épaule du grand blond à sa gauche.

— J’ai toujours eu un faible pour les concours de t-shirt mouillés, déclare ce dernier avec un sourire lourd de sens.

Le regard concupiscent, Yann glisse son index sous l’une des bretelles du débardeur de Katell et se penche vers elle pour l’embrasser. Mais la jeune femme détourne son visage pour esquiver son baiser. Ses prunelles émeraude se posent alors sur le lac. Je me fige. Katell se raidit, surprise. Ses fins sourcils se froncent et la curiosité anime ses traits. Sans prêter cas à ses amis, la jeune femme se dégage des bras de Yann et s’agenouille devant moi.

— Es-tu l’esprit du lac ? demande-t-elle, amusée, en détaillant mon visage.

Interpellé par sa phrase, Yann se rapproche.

— D’où tu sors ?! me demande-t-il.

— J’ai entendu des cris, commencé-je, j’ai pensé que…

— Tu as cru que je me noyais ? me coupe Katell.

Je hoche la tête.

— Viens, dit-elle en me tendant la main. À moins que tu ne préfères barboter dans l’eau ?

Un délicieux sourire s’épanouit sur ses lèvres. Mais je dois me résigner à poursuivre mon chemin.

— Je vais rentrer à la nage, réponds-je en m’éloignant de la barque.

 

Rapidement, mes pieds s’enlisent dans le sable humide. Une silhouette de forte corpulence déboule sur la plage et se dirige vers moi. Indifférent, je poursuis ma course jusqu’au rocher et ramasse mes effets.

— Vous êtes sur une propriété privée ! tonne une voix masculine manifestement contrariée.

Je me retourne nonchalamment. L’homme à la calvitie prononcée marque un temps d’arrêt. Ses yeux noirs me toisent de bas en haut. J’avance d’un pas vers lui. Il recule. Je sonde ses pensées, balaye ses préjugés. Tisse une histoire qui se confond à la vérité. Sous hypnose, l’homme cligne des yeux.

— Mon… nouveau commis ? me questionne-t-il, manifestement troublé.

J’opine du menton.

— Enchanté, Monsieur Kervarec, se présente-t-il en me tendant la main.

Une fraction de seconde, il semble hésiter. La confusion lui fait se masser les tempes. Détournant le regard, il contemple l’étendue limpide de ses yeux brillants. Ses pupilles se dilatent. De nouveau lui-même, l’homme s’élance d’un pas vif, au bord de l’eau.

— La pause est terminée ! hurle-t-il au groupe sur la barque, en tapotant sa montre.

Contrarié, l’homme fait volte-face et revient à mon niveau.

— Que vais-je bien pouvoir tirer de ces moniteurs écervelés ? Ils sont plus espiègles que tous ces adolescents réunis ! marmonne-t-il en relevant le menton vers moi.

L’homme me détaille, semblant me voir pour la première fois. Son anxiété déferle dans mes veines. Le doute l’assaille et fait perler des gouttes de sueur sur son front.

— On se connait ?

— Allons visiter le camp, proposé-je en me rapprochant de lui.

Les paupières closes, l’homme pince l’arête de son nez.

— Quel mal de crâne ! peste-t-il.

Puis il enchaîne :

— Ce camp d’adolescents fait ma fierté depuis plusieurs années. Il s’étale sur plusieurs hectares et accueille, chaque été, des jeunes de divers horizons et régions. Nos pensionnaires ont entre douze et dix-sept ans, poursuit-il en bifurquant sur un chemin de terre. Les bungalows sur la droite sont réservés aux demoiselles. Quant à ceux-là (il me désigne du doigt un ensemble d’une dizaine de chalets en bois, en contrebas), c’est l’antre des garçons ! Je vais vous conduire à vos quartiers !

Ses jambes rapides nous font débouler dans un renfoncement où trône un long bâtiment en bois. Dix portes-fenêtres agrémentées d’un balcon donnent sur le parking terreux. Je scrute les alentours et lui emboite le pas dans l’escalier. Nos chaussures résonnent sur la terrasse en lattes. Monsieur Kervarec ouvre la porte vitrée et me fait signe de rentrer. Un étroit couloir moquetté, semblant embrumé, se dévoile à mes yeux. Une odeur pour le moins désagréable irrite mon nez alors que nous enchainons nos pas. Notre course se stoppe brusquement devant l’appartement numéro 5. Sans attendre, Monsieur Kervarec tourne la clé dans la serrure. La fine porte en bois s’ouvre sur une minuscule pièce. L’horrible moquette est toujours là. De même pour l’odeur de tabac froid. Sans grande conviction, je pénètre à l’intérieur. Un lit-coffre, dont je soupçonne les ressorts piquants, remplit la partie gauche. Une table carrée, accompagnée de ses deux chaises, est accolée au mur attenant à la porte-fenêtre. Pris de claustrophobie, je m’en approche, impatient de me retrouver à l’extérieur. Mais visiblement, les appartements exposés au nord sont dépourvus de balcon. Mon regard glisse sur l’évier et les deux plaques électriques à droite. Niché en dessous, un mini réfrigérateur ronronne sans s’arrêter. Monsieur Kervarec me rejoint pour la visite de la salle d’eau. Vétuste, son sol est un revêtement plastifié bleu électrique qui, associé au bac à douche et carrelage violet, me donne la nausée.

— Voilà ! s’exclame l’homme, me sortant de mes pensées. Le confort est sommaire, mais si l’on réfléchit, ce n’est que pour dormir !

Je lui adresse un sourire forcé.

— Bon, je vous laisse vous installer…

Marquant une pause, Monsieur Kervarec m’interroge du regard.

— Vous n’avez pas de bagages ? s’étonne-t-il.

— Ne vous inquiétez pas, dis-je en le fixant.

— Maudit mal de crâne, bougonne-t-il en quittant les lieux.

 

Seul, j’inspire profondément et m’écroule sur mon matelas de fortune. Les yeux fermés, le ciel d’Aurore en perpétuel mouvement, paré de rose, violet, vert et blanc, me permet de m’évader un instant. Je revois les étendues luxuriantes, les cascades aux chants mélodieux. J’inspire profondément et crois sentir le doux parfum du muguet. Pourtant, dès lors que mes paupières s’entrouvrent, je ne vois que de la vétusté. Bien décidé à y remédier, je me redresse et fouille dans ma besace. La veille de mon départ, j’ai pris soin de dérober divers objets susceptibles de m’aider. J’ouvre la fiole en verre et verse une petite quantité de poudre d’illusions au creux de ma main. Debout au centre de la pièce, je la répands en y soufflant dessus. Le tourbillon pailleté s’élève avec légèreté. Il effleure le lit, les murs, l’armoire branlante, se faufile dans la salle de bain. En un clin d’œil, je me retrouve dans un appartement digne de ce nom.

Une moelleuse couette blanche déborde de chaque côté du lit. L’ignoble peinture jaune est à présent camouflée par des tentures noires, décorées d’entrelacs argentés et violets. Un rideau opacifiant embellit la porte-fenêtre à l’encadrement craquelé. C’est avec appréhension que je passe le seuil de la salle de bain. Le bleu électrique m’agresse, mais le bac à douche et les murs ont retrouvé une teinte neutre. Mon reflet m’apparait furtivement dans le miroir. Je m’y attarde. Mes iris argentés étincèlent sur ma peau claire. Je clos mes paupières. En les rouvrant, l’argent surnaturel a fait place à un cendré plus discret. Mes vêtements humides me collent à la peau. Ni une ni deux, je me dévêts et me glisse sous une pluie d’eau fumante.

Plus tard, une serviette autour de la taille, j’ouvre l’armoire débordante de vêtements. Mon choix s’arrête sur un jean et un t-shirt gris chiné. Fin prêt, je range ma besace précautionneusement et m’en vais découvrir mon nouveau métier.

 

14H30

 

Trempé de sueur et enveloppé d’un parfum mêlant viande et graillon, je pousse la porte de la liberté. Aussitôt dehors, j’inspire profondément. La tête penchée en avant, les mains en appui sur mes genoux pliés, je suis interpellé par une horde d’adolescents qui passe devant moi en courant et en riant. Intrigué, je suis le cortège empli de gaieté. Au fur et à mesure de mon avancée, je le sens. Ce fluide, puissant. Ce lien, indescriptible. Son attraction enfle mes veines. Mon corps est en émoi. Aux abords de la plage, son odeur envoûtante me donne le tournis. Le cœur battant, j’avance d’un pas suffisant pour l’offrir à mes yeux impatients. Vêtue d’un maillot de bain deux-pièces vert clair, Katell s’affaire à détacher dix canoës. Le groupe d’adolescents ne tarde pas à l’entourer. Avec une autorité que je ne lui connais pas, Katell frappe dans ses mains en leur intimant de se taire.

— Au lieu de dépenser votre énergie inutilement, enfilez vos gilets !

— Besoin d’aide ?

Surprise, elle sursaute, la main sur la poitrine.

— Désolé, je ne voulais pas t’apeurer, dis-je, confus.

Son visage s’illumine en me découvrant.

— Comment s’est passée ta première matinée de travail ? me questionne-t-elle en tirant un canoë vers le bord.

— On ne peut mieux, réponds-je en l’imitant.

— Ça me fait penser qu’on ne s’est pas présentés. Je suis Katell ! m’informe-t-elle en me tendant la main.

Mes yeux effleurent sa peau, mais je demeure immobile.

— Ordan, me présenté-je. On descend les autres canoës ?

— Oui, finit-elle par répondre, en glissant nerveusement sa main dans ses cheveux.

Harnachés de leurs gilets, les adolescents nous observent en amont de la plage. Katell me sourit.

— Tu te joins à nous ?

— J’ai quartier libre jusqu’à 17H00, répliqué-je, rassuré qu’elle ne se soit pas offusquée.

— Mets ça !

J’attrape le gilet de sauvetage que Katell me tend, retire mon t-shirt et souris, amusé, en entendant des jeunes filles glousser.

— On se détache du torse d’Ordan ! s’exclame Katell en les toisant une à une, et on prend place, deux par deux, dans les embarcations !

Rieuse, elle se tourne vers moi.

— En même temps, on ne peut pas leur en vouloir, minaude-t-elle en faisant courir son regard sur moi.

En tenue de combat, je lui souris et me rapproche.

— On y va ?

— Je prends les commandes si ça ne te dérange pas.

 

Dans son écrin de verdure, le lac est majestueux. Les canoës filent en silence sur l’étendue placide. Les pales des pagaies fendent en rythme l’eau émeraude, qui ondule jusqu’à lécher la frange sablonneuse. Katell a remonté ses longues boucles rousses en chignon. Mon regard se pose sur sa nuque, un grain de peau satiné, que mes lèvres rêvent de goûter. Au prix d’un terrible effort, je parviens à fuir cette tentation en me perdant dans la contemplation du lac miroitant.

— Tu es ici pour combien de temps ? me demande Katell tout en pagayant.

Je n’ai pas songé à ce genre de question. Je laisse s’écouler un moment et réponds :

— Jusqu’à la fin de l’été.

— Super ! Tu vas te plaire au « Morgans » ! me lance-t-elle avec entrain.

Je me renferme dans mon mutisme et calque mes mouvements sur les siens, de façon à ne pas modifier la trajectoire du canoë. Katell respecte mon silence mais une aura de curiosité crépite autour d’elle. Je perçois ses interrogations. Une dizaine de questions lui brûle la langue. Je peux les lire sans difficulté dans ses pensées.

— Ton appartement te convient ? reprend-elle.

J’ai oublié à quel point les conversations humaines peuvent être futiles. Je souris. Il y a tant d’années que j’ai perdu mon humanité.

— Il est parfait, dis-je simplement pour ne pas paraître impoli.

Il va vraiment falloir que je me déride un peu si je veux me fondre dans la masse. Comment étais-je déjà à vingt ans ? J’ai beau fouiller mes souvenirs, aucune image de mes vies d’avant n’apparait.

— Tu vas voir, renchérit Katell en me sortant de mes pensées. L’ambiance est très bonne entre saisonniers. Après les veillées, lorsque les jeunes sont couchés, on se retrouve sur la plage. Parfois on s’organise des petites soirées dans nos appartements…

Qu’est-ce que j’aime entendre le son de sa voix. La vie du camp m’importe peu. Cependant, je pourrais écouter Katell m’en parler des heures durant. Un groupe d’adolescents se détache soudain sur la droite et nous dépasse.

— Revenez par là ! leur crie Katell.

— Pas avant de leur avoir mis une raclée ! s’exclame l’un des jeunes garçons, aux commandes du canoë qui est en tête.

— Eliott !

L’intéressé se retourne en souriant à Katell.

— Je vais les tuer, peste la jeune femme entre ses dents.

À ces mots, elle s’apprête à accélérer la cadence pour les rattraper, mais l’un des canoës en course chavire, créant un carambolage. Certains adolescents désertent immédiatement leur embarcation et pataugent dans l’eau en riant. D’autres essayent désespérément de s’accrocher aux coques glissantes. Katell m’interpelle :

— Je crois qu’il est temps de rentrer. Ils ont manifestement atteint les limites de leur concentration !

Sonné par toute cette agitation, je me contente de hocher la tête. Un vrombissement me parvient au loin.

— Voilà du renfort ! s’exclame Katell en pointant un bateau à moteur semblant survoler les flots.

Je n’ai aucun mal à reconnaitre le blond aux commandes. Accompagné de son acolyte – grand brun athlétique aux boucles brunes indisciplinées –, Yann fanfaronne en effectuant des cercles autour de nous.

— La récréation est terminée ! lance-t-il en coupant le moteur.

Le brun fouille dans une caisse en plastique et en extirpe une immense corde.

— Attachez-moi ça ! ordonne-t-il aux adolescents turbulents.

Sans mot dire, les apprentis kayakistes glissent la corde à tour de rôle, dans l’anse de leur canoë. Yann tend la main à Katell et l’aide à monter sur le bateau.

— Tu m’as manqué, lui murmure-t-il avant de lui donner un langoureux baiser.

Je me crispe. Des sifflements et applaudissements ne tardent pas à s’élever de tous côtés.

— Pas au boulot ! s’emporte la jeune femme en s’arrachant brusquement à son étreinte.

Déconcerté, Yann la toise avant de couler un regard noir vers moi.

— C’est ton nouvel ami qui te rend aussi aigrie ?

— Ordan, je te présente Yann, enchaine Katell l’air de rien. Yann, voici Ordan.

Un ange passe.

— Salut, moi, c’est Sullivan ! intervient le brun en me scrutant de ses yeux bleus. Tu montes ?

— Non, le coupe Yann. Lui, il rentre en canoë.

— À quoi tu joues ?! s’enquiert Katell.

— Si tu trouves à redire, tu te casses avec lui !

— C’est justement ce que j’allais faire, répond-elle en le défiant du regard.

Aidée de Sullivan, Katell reprend place sur l’embarcation à mes côtés. Dans un brouhaha qui affolerait un sonomètre, les adolescents impatients se remettent à chahuter.

— Vos gueules ! hurle Yann aux commandes. Tout est OK ?!

— Oui, chef ! répond Sullivan, après vérification.

— En route, on n’a pas que ça à foutre.

Le moteur du zodiac vrombit à nouveau et s’éloigne en direction de la plage. Une série de vagues se forment dans son sillage et viennent s’écraser sur la coque du canoë.

— Yann n’est qu’un sale con ! s’exclame Katell en reprenant sa pagaie.

Un pesant silence accompagne notre retour. Arrivés à bon port, nous sautons dans le ressac et tirons le canoë sur la plage. Katell se redresse, refait son chignon et sort une bouteille d’eau d’une glacière posée sur le sable. Après en avoir bu plus de la moitié, elle s’essuie la bouche avec le dos de la main.

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