Pourquoi avons-nous fait l amour?
116 pages
Français

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Pourquoi avons-nous fait l'amour? , livre ebook

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Description

Bien sûr, elle l'aimait sa fille; elle l'aimait différemment, elle l'aimait normalement. Quand elle surprenait le petit visage implorant tendu vers elle, elle lâchait tout et courait l'embrasser, redressait le noeud dans les cheveux bouclés, lissait son tablier. Quand un enfant, sorti de soi, sur le lit on le pose, il est déjà un autre, vous êtes déjà deux. Pour son fils, les choses allèrent autrement. Par un lien mystérieux, il s'accrochait encore à elle. Quand il n'avait pas faim, elle ne mangeait pas, quand il pleurait, elle avait mal au coeur et quand il s'ennuyait, elle ne pouvait rire. Nino non plus ne riait plus. Il voyait en cet enfant si joli l'instrument de leur malheur. Première moitié du XXe siècle, d'une guerre à l'autre, la destinée émiettée, rongée, bientôt pulvérisée, d'une famille d'immigrés italiens... Le noeud du drame? L'amour absolu et démesuré, aveugle et terrible, d'une mère pour son fils, qui consumera lentement les uns et les autres. Décrivant une boucle funeste, "Pourquoi avons-nous fait l'amour?" emploie, pour mieux marquer les désillusions, désarrois et faiblesses de ses personnages, une langue tragiquement blanche, comme déjà résignée par le sort qui guette Domenica et Auguste, Nino et Clémence. En forme de complainte, un roman parfaitement maîtrisé, qui donne à la fatalité des accents impressionnants...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mars 2014
Nombre de lectures 236
EAN13 9782342020908
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait












Pourquoi avons-nous
fait l’amour ? Olga Manguin










Pourquoi avons-nous
fait l’amour ?



















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IDDN.FR.010.0119237.000.R.P.2013.030.31500




Cet ouvrage a fait l’objet d’une première publication aux Éditions Publibook en 2014





Tel un perpétuel miracle, chaque année renaît le
printemps. Pâques, dans les prés au bord des
ruisseaux, ramène les narcisses. Si naïvement
beaux, si suavement parfumés, ils sont les fleurs
de mon enfance.

Après l’école, à travers champs, nous allions
l’une vers l’autre pour récolter ensemble
d’énormes bouquets. Elle était de quatre ans mon
aînée, et gentiment me tenait la main.
Ces fleurs, nous les partagions entre morts et
vivants, un peu pour les maisons, et un peu pour
les tombes.

L’adolescence vint interrompre nos cueillettes.
Nous nous vîmes de loin en loin, elle était au
travail, j’étais encore une écolière.
Elle n’est plus qu’un lointain souvenir que
ravive chaque année le retour des narcisses.
Parfois, fugacement, je lui promets un bouquet
que jamais je n’apporte.

Sa vie fut aussi brève qu’un printemps.
Sous une montagne de fleurs blanches, un jour
d’été, elle nous a quittés, à jamais nimbée de
9 jeunesse dans la mémoire de ceux qui ont perdu la
leur.
Il faisait si chaud ce jour-là !

Le lourd silence qui pesait sur l’assistance
réunie dans la collégiale lentement se déversait
sur la place où une foule émue attendait la sortie
du cercueil.
Elle avait vingt ans, tous connaissaient ses
boucles brunes, son sourire éclatant, son
insouciance, quand, sur son vélomoteur, elle allait
pétaradant par les rues de la ville.
Une sieste trop tôt interrompue, une course
urgente : sa vie allait s’achever au bout du
chemin, contre le pare-choc d’une voiture. Sur le
gravier, seul vivait encore le moteur de la
mobylette qu’accompagnait lancinant le chant des
cigales.
Le prêtre avait parlé longtemps, pour dire
l’indicible, pour aider à accepter l’inacceptable,
pour rétablir l’amour entre des parents qui ne
connaissaient plus que la haine.

Le long cortège s’est mis en marche vers le
cimetière.
Tristement sonnait le glas. Si tristes, mais très
fiers de jouer un rôle dans cette tragédie, les
cousins portaient des fleurs blanches. Pour la
première fois ils rencontraient la mort. Elle n’était
jusqu’à présent qu’une mystérieuse dame noire
qui emportait en silence des gens trop vieux et
10 trop las pour rester dans leur famille. Ils
l’attendaient sans doute car depuis des années ils
se vêtaient de noir pour mieux disparaître dans la
nuit.
Ils ont compris soudain que la dame noire de
leur petite enfance était un monstre impitoyable,
capable de tuer une jeune fille dont ils avaient
partagé les rires et les chansons.
Ils l’ont vue sur son lit, si blême et si brune sur
le drap blanc. On l’avait revêtue de la jolie robe
rose qu’elle avait étrennée ce jour de communion
du mois de mai. Pour la première fois depuis bien
longtemps, elle avait échappé à l’atmosphère
étouffante de sa maison. Ce jour-là, ils avaient
tant chanté autour de la table aussi blanche que
son lit de mort !
Et maintenant ils étaient là, derrière ce
corbillard, sous les regards compatissants de toute
leur petite ville.
Massées devant les magasins obscurs, les
femmes se signaient, les hommes gravement
tenaient bérets et casquettes à la main.

Dans la partie neuve du cimetière, une tombe
béante, outrageusement blanche.
Au fond, un cercueil, presque neuf. Elle l’avait
tant ciré la mère ! Il reposait là, son fils, dans sa
couche de satin blanc, si beau, si jeune, depuis
deux années interminables, il aurait eu tout juste
trente ans. D’amour, de fierté, de larmes, il avait
empli sa vie.
11 Elle ne pouvait plus pleurer.

À ses côtés, son mari, grand et emprunté dans
son costume noir, le chapeau à la main,
contemplait hébété la tombe de ses enfants. Alors
elle a tourné vers lui son regard, d’une voix
sourde lui a demandé :

« Perche abbiamo fatto l’amore ? »
(« Pourquoi avons-nous fait l’amour ? »)

C’est en Italie qu’ils étaient nés, dans le même
village.
Avec les autres enfants, ils partaient chaque
jour garder les vaches sur le mont couronné de
chênes. Dès le printemps, ils y allaient tôt,
revenaient à la brune.
À leurs pieds des chaussures toujours trop
grandes, celles du frère aîné, du père aussi. Ils
superposaient de grosses chaussettes, entouraient
leurs pieds de chiffons, voire de papiers, afin
d’atténuer la rudesse du cuir.
Une halte, à l’abreuvoir, puis tous se hâtaient
vers ce plat de pâtes tant espéré !

L’école n’était qu’une occupation d’hiver,
quand la neige recouvrait la montagne. La
maîtresse n’avait d’autre ambition que leur
apprendre quelques chansons ou quelques poésies,
si possible en italien classique.
12 Le seul livre d’eux connu était le missel noir
posé sur un banc de la petite église. Ils le
touchaient avec respect. Tous ces mots qu’ils
chantaient par coeur, ils ne savaient les
reconnaître.

Quand dans une famille un garçon
particulièrement doué et ambitieux entrait au
séminaire, c’était la joie, un rêve accompli.
Les filles n’avaient pas cette chance. Elles se
marieraient, pétriraient la pâte pour les
tagliatelles, feraient des enfants. La grand-mère, la
mère puis la belle-mère suffisaient à cet
enseignement.

Domenica le savait, enrageait. Elle buvait les
paroles de la maîtresse, l’enviait pour ses mains
blanches, son jupon jamais crotté. Elle s’exerçait à
gravir la rue sans mettre les pieds dans une flaque
de boue ou une bouse de vache. Elle imitait son
accent, murmurait des poésies, chantonnait de
jolis airs. Une sourde colère montait en elle quand
au printemps la neige fondait sous le soleil. Le
Sasso retrouvait ses couleurs de pierre et de
plantes.
Finie l’école, il fallait repartir.

À dix ans déjà, elle haïssait la misère, les
vaches et les brebis. Elle haïssait les chaussures de
ses frères, si dures à ses pieds d’enfant. Elle
haïssait les hommes quand ils revenaient le
13 dimanche, les yeux rougis par la piquette de
l’osteria. Elle haïssait sa mère servile, les
commérages des femmes, quand réunies au lavoir,
elles lavaient les draps grossiers, les gros
pantalons noirs de crasse de la semaine.
La nuit, allongée sur sa pauvre paillasse, elle
bouchait ses oreilles pour ne plus entendre les
soupirs, les ronflements, la toux, les raclements de
gorge des siens.

Dans ce silence ainsi créé, elle rêvait son
avenir. Elle portait jupons, bottines fines, caracos
fleuris. Un livre à la main, elle abandonnait son
village, descendait ver

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