Madame Iris et autres dérives de la raison
96 pages
Français

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Madame Iris et autres dérives de la raison , livre ebook

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Description

Ce recueil de nouvelles explore les replis de l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus morbide. Pour contrer un destin funeste ou pour réussir un dessein pervers, les personnages se livrent à d’étranges passions qui les précipitent dans la déraison. Dans un style envoûtant, l’auteur présente un échantillon de dérives émotives menant à des fins tragiques : superstition, jalousie, désespoir, vengeance.
Servie par un humour subtil, la détresse humaine apparaît en filigrane tout au long de ces récits dont quelques-uns voisinent avec l’horreur. Cœurs sensibles, s’abstenir  !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 juin 2014
Nombre de lectures 5
EAN13 9782895974765
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Madame Iris et autres dérives de la raison
Pierre Crépeau
Madame Iris et autres dérives de la raison
NOUVELLES
Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Crépeau, Pierre, 1927- Madame Iris et autres dérives de la raison / Pierre Crépeau.
(Voix narratives et oniriques) ISBN 978-2-89597-076-7
I. Titre. II. Collection.
PS8555.R462M33 2007 C843’.54 C2007-904604-5

Les Éditions David 335-B, rue Cumberland, Ottawa (Ontario) K1N 7J3 Téléphone : 613-830-3336 / Télécopieur : 613-830-2819 info@editionsdavid.com / www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 3 e trimestre 2007
Nunquam adeo fœdis adeoque pudendis Utimur exemplis ut non peiora supersint. Nous ne pouvons jamais citer d’exemples si abjects et si honteux qu’il n’en existe pas de pire. Juvénal, VIII, v. 183-184
Le Credo de la Quasimodo 1
J amais de mémoire d’homme n’avait-on entendu chanter le Credo d’une manière aussi voluptueuse. La vieille église de bois était pleine à craquer. On était au dimanche de la Quasimodo qui clôt les festivités de Pâques.
C’était une de ces froides journées d’avril naissant où l’hiver opiniâtre résiste encore aux assauts du soleil. Il avait neigé d’abondance durant la semaine et les lourdes poudreries de fin d’hiver rendaient malaisé l’entretien des chemins.
L’hiver traîne en longueur, constataient les sages. Le printemps est lent à venir. Le mil sera long, mais l’avoine légère.
En ce dimanche de la Quasimodo, Jean Caya était arrivé en retard à la messe. Le rite de l’ Asperges me terminé, on avait déjà entonné le ravissant introït du jour dont les formes très anciennes charmaient le maître chantre. Jean Caya avait grimpé quatre à quatre l’escalier qui mène au chœur de chant et, hors d’haleine, était allé prendre sa place sans un mot et avait dû reprendre son souffle avant de joindre sa voix au chœur. Le maître chantre lui avait jeté un regard mauvais, car les retardataires lui donnaient des ulcères à l’estomac.
Jean Caya était un jeune homme de vingt-deux ans, bas sur pattes, trapu, bâti comme un taureau, sans une once de graisse, tout en nerfs et en babiche, comme on disait alors. Il avait les jambes croches de ceux qui, dès leur tendre enfance, ont tenu les mancherons de la charrue. Ce n’était pas l’homme le plus fort du canton, mais il plaçait sans effort une balle de foin de cent soixante livres au cinquième rang, à trois pieds au-dessus de sa tête. Il n’avait pas son pareil, disait-on, pour torcher le chargeur et pouvait tenir tête à n’importe qui sur le godendard. Il était de toutes les corvées, car il ne rechignait pas à l’ouvrage. Il faisait sa journée d’un pas égal, accomplissant consciencieusement toute besogne, sans forfanterie ni doléance.
Un cou puissant portait une grosse tête carrée couverte d’une tignasse fauve. Il avait la face rousselée comme un Irlandais et flanquée d’une paire d’oreilles comme les deux anses d’une amphore. Ce qui étonnait surtout dans ce visage, c’étaient les yeux. Ils étaient mats, sans profondeur, sans chaleur. Mais ils prenaient des teintes différentes selon les états d’âme du jeune homme : gris perle pour la sérénité, vert émeraude pour la joie, jaune paille pour l’angoisse, rouge sang pour la colère.
Ce matin-là, les yeux de Jean Caya étaient instables : ils s’agitaient dans un va-et-vient incessant entre le vert et le jaune avec de brefs éclairs de rouge. Mais le gris perle en restait résolument absent : l’âme de Jean Caya n’était pas sereine en ce matin de la Quasimodo.
Hors la couleur de ses yeux, Jean Caya n’exprimait guère ses sentiments. C’était un taciturne. Il parlait peu, riait rarement, ne liait amitié avec personne. Il était tout en dedans, blotti dans son âme comme l’escargot dans sa coquille. Personne n’avait jamais su ce qu’il aimait, ce qu’il désirait, ce qu’il haïssait, ce qu’il fuyait. Il n’avait de tendresse que pour sa petite sœur Julie, de sept ans sa cadette.
On le disait timide avec les filles. À l’âge de vingt-deux ans, il n’avait pas encore de blonde. Ce n’est pas que les filles le dédaignaient. Au contraire, plus d’une en aurait volontiers fait son mari. S’il n’était pas le plus beau des hommes, il n’était pourtant pas dépourvu de charme. Et puis, dans la paroisse, on le considérait comme l’un des excellents partis : sobre, vaillant, habile de ses mains, ménager et, ce qui ne gâtait rien, héritier présomptif de la terre familiale. Mais Jean Caya n’était pas pressé de se marier. Y songeait-il seulement ?
Pour le moment, il n’avait d’yeux que pour sa petite sœur Julie. Âgée de quinze ans, Julie avait un long visage ovale, comme celui d’une madone, encadré d’une chevelure blonde et lisse. Elle avait des yeux vastes et profonds où Jean reconnaissait la mer qu’il n’avait pourtant jamais vue. Un tout petit nez retroussé lui aurait donné un air mutin, n’eût été ce regard mélancolique qui ne la quittait jamais. Elle avait la peau laiteuse et sans grain, la taille fine et les membres graciles. Il émanait de tout son être une fragilité de verre. On ne pouvait l’approcher qu’avec une infinie douceur. Un seul regard hostile et cette gracieuse adolescente se serait fracassée comme une fine porcelaine sur un carrelage de pierres.
Jean Caya aimait sa sœur d’un amour jaloux. Il avait veillé sur son enfance, l’avait dorlotée et cajolée. Il l’avait regardée grandir avec une tendresse et une fierté de soupirant. Il s’était institué son unique protecteur et défenseur. Et depuis qu’elle était devenue femme, il avait redoublé de vigilance. Gare au prétendant qui se serait montré trop entreprenant !
Pour sa part, Julie appréciait les prévenances de son grand frère. Mais son zèle intempestif la fatiguait parfois. Elle avait besoin de plus d’espace, de plus d’indépendance. Aussi recourait-elle à toutes sortes de stratagèmes pour se libérer de l’empressement de son frère, tout en évitant de l’offenser. Pour tout l’or du monde, elle n’aurait voulu se brouiller avec celui dont la vigilante bravoure la gardait de sa propre fragilité.
Jean Caya était connu dans la paroisse comme Barabbas dans la Passion, car il possédait, disait-on, la plus belle voix, plusieurs lieues à la ronde. On l’avait surnommé Voix d’or. C’était tout dire, dans ce pays avare d’éloges autant que de blâmes.
— C’est la plus belle voix qui s’est jamais fait entendre dans cette église presque centenaire, soutenait sans nuance Albéric Paquin, le vieil organiste aveugle, qui s’y connaissait en musique et en voix ainsi qu’en histoire locale. Si ce jeune homme avait pu faire des études, ajoutait-il mélancolique, il serait devenu le chanteur d’opéra le plus éblouissant de notre époque.
Non, Jean Caya n’avait pas fait d’études. Il avait cessé d’aller à l’école après sa quatrième année pour aider son père sur la ferme.
Mais Jean Caya adorait chanter. Il ne chantait pas n’importe quoi, uniquement des chants d’église. À cœur de jour, durant les interminables travaux des champs, il fredonnait, dans un latin approximatif, des Kyrie et des Sanctus, des Gloria et des Credo. Doué d’une mémoire phénoménale, il avait même appris par cœur quelques séquences, ces hymnes pieux que l’on chantait après l’Alléluia aux jours de fête et dont certains lui paraissaient particulièrement émouvants, comme le flamboyant Victimae Pascali Laudes , qu’on allait chanter aujourd’hui en cette octave de Pâques, le tendre Stabat Mater Dolorosa , le martial Lauda Sion Salvatorem et son préféré, le lugubre Dies Irae .
Mis au courant de son talent et de son intérêt pour le chant d’église, le maître chantre, Adélard Durocher, qu’on appelait respectueusement, mais non sans une douce ironie, Maître Adélard, l’avait inscrit tout jeune à la chorale de la paroisse. Au début, Jean Caya restait pétrifié devant ce grand énergumène qui se débattait comme un diable dans l’eau bénite, incertain qu’il était du sens à ac

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