Madame Obernin
217 pages
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Madame Obernin , livre ebook

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Description

Extrait : "C'en est fait, je n'irai pas à Paris ! Il faut renoncer à tous nos beaux projets, à tous nos rêves. Les châteaux en Espagne que, pendant nos deux années de rhétorique et de philosophie, nous avons bâtis,en nous promenant dans la cour du collège de Nancy, se sont écroulés comme des châteaux de cartes. Dans trois jours, je quitte Neufchâteau pour Strasbourg ; c'est là que je ferai mon droit..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 24
EAN13 9782335121780
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0008€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335121780

 
©Ligaran 2015

I
C’en est fait, je n’irai pas à Paris ! Il faut renoncer à tous nos beaux projets, à tous nos rêves. Les châteaux en Espagne que, pendant nos deux années de rhétorique et de philosophie, nous avons bâtis, en nous promenant dans la cour du collège de Nancy, se sont écroulés comme des châteaux de cartes.
Dans trois jours, je quitte Neufchâteau pour Strasbourg ; c’est là que je ferai mon droit : l’arrêt a été rendu hier en conseil de famille tenu entre mon père et mon beau-frère ; il m’a été signifié ce matin.
Mon père était assez disposé à m’envoyer à Paris ; ma mère demandait Nancy pour m’avoir plus près de la maison, mon beau-frère voulait Strasbourg. C’est lui qui l’a emporté ; bravement il s’est chargé de m’annoncer son triomphe.
Mon beau-frère n’est pas précisément l’homme le plus doux, le plus gracieux de la Lorraine. Ses cheveux et ses favoris roux, son front carré, sa bouche aux lèvres minces, ses yeux noirs enfoncés sous des sourcils hérissés en brosse, sa démarche mécanique, ses habits le serrant comme un fourreau, tout en lui indique, au premier coup d’œil, un homme d’énergie et de volonté.
Il est réellement cet homme, et il n’a pas eu grand mal à prendre un ascendant irrésistible sur mon père, qui paraît avoir pour unique préoccupation d’assurer à sa vie la paix et la tranquillité de l’intérieur, et sur ma mère qui change dix fois de résolution dans la même journée.
Quand il sortit de la conférence avec mon père, je compris que mon sort était décidé.
– Robert, me dit-il, tu viendras déjeuner demain avec moi, j’ai à te parler. À dix heures, tu sais, pas à neuf heures cinquante-cinq ni à dix heures cinq ; à dix heures : tâche de mettre un peu de régularité dans ce que tu fais.
Le lendemain, comme dix heures sonnaient à Saint-Nicolas, j’entrais dans les bureaux de mon beau-frère.
– Bon, dit-il, quand le dernier coup eut frappé, tu es exact, j’aime ça. Malheureusement, ta ponctualité aujourd’hui ne prouve que ta curiosité. Déjeunons d’abord elle sera bientôt satisfaite.
Il me fit entrer dans la salle à manger : ma sœur était à sa place, devant la table, non assise, mais debout, attendant son seigneur et maître. En nous voyant, elle s’assit et commença à servir.
Chez mon beau-frère, on ne mange pas pour manger, mais pour mettre de l’huile dans la lampe, comme il dit : le déjeuner fut donc vite expédié. Lorsque le café fut servi, ma sœur, qui avait été sans doute prévenue à l’avance, se leva et nous laissa seuls.
– Tu te doutes bien, n’est-ce pas, me dit-il, de quoi je te veux parler ?
– De mon départ.
– Juste comme cinq et trois font huit ; tu vas à Strasbourg.
– À Strasbourg !
– Oui, mon garçon, et c’est à moi que tu le dois. Je sais bien que tu vas m’en vouloir pour cela, mais plus tard tu m’en remercieras.
Je ne cachai pas mon désappointement, mon mécontentement.
– Tu aurais voulu aller à Paris.
– Assurément.
– À Paris pour t’amuser ?
– À Paris pour suivre les cours de Michelet, de Quinet, pour visiter le Louvre tous les jours, pour voir Rachel, pour vivre avec des gens d’esprit.
– Et au quartier latin avec Mogador et Clara, c’est là justement ce que je n’ai pas voulu moi. Ton père, voyait dans ton séjour à Paris les relations que tu pourrais former, il comptait sur ses anciennes amitiés pour te bien poser tout d’abord, et il comptait sur toi pour le reste. Je lui ai ouvert les yeux. Robert n’est pas d’âge à avoir de l’ambition, il ne voit dans la vie que le plaisir et la liberté : à Paris il se donnera des deux à cœur joie. Au lieu d’entretenir les relations que vous lui aurez créées, il se fabriquera un grand homme au collège de France par lequel il jugera tout, une jolie petite femme au quartier latin par laquelle il agira, une opinion de café qui le dominera et nous n’en ferons rien. Ce n’est pas Paris qu’il nous faut.
– Et Nancy ? interrompis-je, dépité de l’entendre parler ainsi, mais sans oser le contredire absolument, car dans ce qu’il disait je sentais qu’il y avait du vrai ; et ce qu’il y avait de faux j’aurais perdu mon temps à vouloir le lui faire comprendre.
– Nancy ? Mon cher, ta mère est ta mère, et de plus la mère de ma femme ; c’est plus qu’il n’en faut pour que nous la respections. Mais enfin, il est bien permis de dire que si tu avais été à Nancy, par cela seul ta mère eût fait notre malheur à tous. À la moindre difficulté avec ton père, et Dieu sait si les difficultés se seraient souvent présentées, elle eût été s’établir chez toi : les quinze lieues de Neufchâteau à Nancy eussent été un plaisir plutôt qu’une fatigue, son chien sous son bras, une place dans le coupé de la diligence, et tout le monde eût été sur les dents, toi le premier, ton père, ma femme et moi. Ton père n’a pas besoin de cela. Pauvre M. d’Autrey ! De Nancy tu serais souvent venu nous voir, tous les mois sans doute, et aussi lors de toutes les fêtes. En ce moment ces visites eussent été mauvaises. Ton père est légitimiste, toi tu es républicain, moi je suis pour les affaires et la tranquillité. Nous aurions recommencé entre nous des querelles politiques aussi niaises qu’elles sont inutiles. Pourquoi diable es-tu républicain ?
– Parce que c’est l’opinion des gens de cœur et d’intelligence.
– Bon ! te voilà parti ; ton père et moi nous n’avons donc ni cœur ni intelligence ? Crois-tu qu’il soit agréable de s’entendre dire ces choses-là par un gamin de vingt ans ? Les jeunes gens prennent au collège des idées générales sur toutes choses, et, dans leur présomption, ils les appliquent à tort et à travers. Tu as blessé bien des fois ton brave homme de père par des opinions tranchantes, et moi tu m’as exaspéré au point que je t’aurais souvent claqué. Il est bon d’éviter que cela puisse se reproduire. Nous traversons une époque difficile où prochainement il y aura des vainqueurs et des vaincus, il ne faut pas que les victoires ou les défaites politiques puissent allumer la guerre dans notre famille. Au fond du cœur tu dois convenir que j’ai raison.
Et de fait, j’en convenais, car depuis le commencement des vacances j’avais eu avec mon père trop souvent des discussions politiques dans lesquelles je l’avais froissé.
– À Strasbourg, poursuivit mon beau-frère, rien de tout cela n’est à redouter. Strasbourg est, après Paris, la ville de France la mieux partagée sous le rapport de l’instruction supérieure. Il y a des Facultés de droit, de lettres, de sciences, de médecine. Tu pourras suivre tous les cours que tu voudras.
– Oui, seulement, au lieu d’avoir des chefs d’emploi j’aurai des doublures.
– Tu me fais rire avec tes doublures ; le jour où ces prétendues doublures n’auront plus rien à t’apprendre, je serai le premier à demander qu’on t’envoie à Paris. En attendant tu peux passer quelques années à Strasbourg ; tu sais que j’y ai des amis, particulièrement M. Charles Hummel, le banquier ; c’est lui qui sera ton correspondant, ou mieux, pour appeler les choses par leur nom, ton surveillant. Sa maison sera la tienne ; tu trouveras en lui un homme de tête et de volonté qui, comme moi, est parti de rien pour arriver à quelque chose par la seule puissance du travail. J’espère que madame Charles voudra bien te prendre en amitié ; tu voudras bien, toi, pour l’en récompenser, ne pas la prendre en amour.
– Merci de vos conseils.
– Crois-tu que je ne te connais pas, monsieur le sentimental ? Je n’aurais donc jamais regardé tes yeux, quand tu es avec des femmes, et tes soupirs et tes empressements ! Je ne t’en blâme pas, c’est de ton âge ; à vingt ans, j’étais amoureux de toutes les femmes, les jeunes aussi bien que les vieilles. Madame Charles Hummel, ni jeune ni vieille, approche de la trentaine ; elle est assez jolie, elle a de l’esprit, du goût, des manières distinguées, voilà pourquoi je te recommande de n’en pas devenir amoureux. Toutes les autres, excepté celle-là, et si jamais tu te trouves pris dans une position difficile, où il faille de l’argent ou un bon conseil, adresse-toi sans crainte à ton beau-frère, je te promets qu’il te viendra en aide. Il faut que jeunesse se passe, et je ne suis pas si mauvais diable que j’en ai l’air ; rappelle-toi ça. Travailler, s’amuser, les deux peuvent aller de front ; seulement, ce que je n’admets pas, c’est qu’on s’amuse sans travailler, et précisément c’est là ce que vous demandez presque tous en sortant du collège. Vous ne pensez qu’à une chose : jouir de votre liberté.
Ce long discours de morale commençait à m

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