Chez les ours

Jean Désy

Description

Avec Chez les ours, nous explorons la nordicité, arpentons la terre et les mythes fondateurs. L’auteur Jean Désy passe sa vie à voguer dans le monde de l’autochtonie. Sa poésie est expérience du voyage et usage du Nord. Puisque, « nous voyageons pour manger des fruits immortels. »
Nous voyageons pour apprendre à nommer les choses de la vie, pour agrandir en nous la nature, pour mêler nos corps au parfum des bois et de la glace, dans l’espace absolu. Pour invoquer la parole nue au fond des cabanes.
Chez les ours nous embarque vers le Nord, empruntant le kayak ou la route, gardant en nous l’âme des coureurs de froid. Une plongée dans cette « nature dense et patiente », et nous voilà reliés à l’esprit du Nord, « là où jamais ne se termine ni la course ni la vie / ni le rire ni la mort. »

Sujets

• poésie
• Poetry

Informations

• Publié par: Mémoire d'encrier
• Date de parution: 14 juin 2013
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9782897120351
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

CHEZ LES OURS
Mise en page : Virginie Turcotte Maquette de couverture : Étienne Bienvenu Dépôt légal : 4 e trimestre 2012
© Éditions Mémoire d’encrier

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Désy, Jean, 1954-
Chez les ours
(Poésie ; 42)
ISBN 978-2-89712-035-1
1. Ours - Poésie. I. Duval, Isabelle, 1976- . II. Titre.
PS8557.E876C43 2012 C841’.54 C2012-941935-4
PS9557.E876C43 2012

L’auteur remercie Isabelle Billard et Katy Roy, qui ont commenté si gentiment les premières ébauches de ses textes. Un merci tout spécial à Isabelle Duval : s’il put donner l’impulsion initiale, c’est elle qui imprima par la suite toute la qualité formelle à ce recueil en plus d’y aller de plusieurs ajouts poétiques. Merci aussi àRodney Saint-Eloi et à Virginie Turcotte, les âmes de Mémoire d’encrier.

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Jean Désy
CHEZ LES OURS
Photographies de Isabelle Duval
Du même auteur (titres choisis)
Poésie
Uashtessiu/Lumière d’automne , (en collaboration avec Rita Mestokosho), Mémoire d’encrier, Montréal, 2010.
Roman
Nepalium tremens , Montréal, XYZ éditeur, 2011.
Essais
« Le nord, un pays dans le pays », Cap-aux-diamants , n o 108, janv. 2012, p. 12-15.
Que vous ai-je raconté ?/Correspondance 1990-2000 Geneviève Amyot-Jean Désy , Montréal, Le Noroît, 2012.
« Lettre à un écrivain vivant (Jean Désy à Jacques Poulin) », Moebius , n o 131, nov. 2011, p. 113-116.
L’esprit du Nord , Montréal, XYZ éditeur, 2010.
Récit de voyage
« Les Pyrénées père-fille », L’actualité médicale , n o 18, janv. 2012, p. 55.
Anthologie
Vivre ne suffit pas , préface de Yves Laroche), Montréal, XYZ éditeur, 2011.
Je dédie ce recueil à mes amis nordistes, aux Innus, Cris et Inuits, aux Cayens de Havre-Saint-Pierre et autres Canayens de la Côte-Nord, aux Jamésiens, Jeannois et Abitibiens, à tous ces gens que j’ai eu la chance de croiser un jour et dont je me sens si proche, eux qui m’ont permis de mieux connaître la nature, eux qui m’ont fait voyager, merveilleusement.

Prologue

Ô Nord

Qu’aurait été ma vie sans les odeurs, les lumières et la vastitude du Nord, sans les coureurs de froid ? Je sais maintenant que sans cet éblouissement qui me gagna le 3 janvier 1990, à l’instant où j’atterrissais dans la toundra pour la première fois, à Puvirnituq, je n’aurais probablement jamais réalisé à quel point le corps et l’esprit peuvent être en harmonie. Au Nunavik, un jour de blizzard, tous mes sens jubilèrent, et depuis il m’arrive de voler.
Avant le Nunavik, j’avais connu la Côte-Nord du Québec, là où d’ailleurs trois de mes enfants virent le jour. J’avais vécu des expéditions sur certaines glaces, jusqu’à Blanc-Sablon. J’avais voyagé à la Baie-James, en Jamésie et au Eeyou Istchee, le pays cri. Je m’adonnais à la poésie depuis quelques années quand j’abordai pour la première fois l’univers toundrique. C’est dans le monde inuit que je découvris mes rêveries les plus anciennes et que mon écriture prit son véritable essor.
Ma façon d’être aurait-elle été différente sans ma rencontre avec les forces du Nord, sa nature, ses animaux et ses humains ? C’est grâce à la norditude que je parvins à trouver l’expression de l’amalgame ressenti si intensément entre mon âme et l’Âme du monde.
Aurais-je écrit si je n’avais pas été ébloui par la nordicité ? Oui, mais peut-être que tout aurait été gribouillage. Lorsque je ne tente pas d’exprimer l’espace où les pierres, les plantes, les bêtes et les humains ne font qu’Un, j’ai le sentiment que je ne peux que balbutier.
Parfois, un mot, un vers ou un poème me semble plus exact ; c’est-à-dire qu’il correspond plus fidèlement aux sonorités et aux rythmes que j’éprouve dans le Nord, sachant que ce « texte » existait déjà, bien avant que je le hume ou que je l’entende, dans un bosquet de bouleaux nains ou au sommet d’un bouscueil glacique, dans la mâchoire d’un renard ou sur les plumes d’un corbeau.
Je resterai toute ma vie un amoureux du Nord, fou de ces lieux où les froids sont tragiques et les cieux gigantesques. Au sein de la Nature, jamais je n’ai peur de me perdre. J’aime l’inconnu, ses magies comme ses abysses, ses mers démontées comme ses frimas répandus à longueur de littoral, sur des milliers de kilomètres de terres difficiles à habiter. Le Nord, magnifique, me gratifie du mystère sans lequel la vie humaine perd tout sens.
Jean Désy, août 2012

Quêtes
Quand on a mené sa barque sur des milliers de kilomètres
pour enfin toucher à la limite
ni pont ni poussière
Quand on a fini par emprunter toutes les routes bûchées défrichées roulées
il reste un dernier chemin à parcourir
la toundra profonde
une voie que nul n’a connue
sauf peut-être une femelle caribou
un ours noir un couple de carcajous discrets
une sterne acrobate
Une fois inventé le pays du sud
asphalté carbonisé divisé l’espace disponible
on arrive aux portes de la virginité
là où tout l’avenir est flou
et les coureurs de froid naviguent librement
Ébahi on réalise que les nuages flottent différemment
le vent reste seul vrai maître des collines
comme des rochers noirs disséminés sur la mousse
le soleil se fait tendre tandis qu’il frotte sa joue sur l’horizon

À genoux
on se dit qu’il vaut la peine de prier
Pourquoi lancer son kayak dans des catastrophes de gorges si étroites
au cœur de remous époustouflés
Pourquoi plonger son canot dans des glaces d’avril
charriées d’un ciel à l’autre
entre des débarris plus fragiles que des tussilages
Fracas de noyé contre les flancs d’un bateau plié en deux
Le manteau n’en finit pas de peser trois tonnes
quand on nage en désespéré pour atteindre la rive
Pourquoi casser ses crampons
devant des précipices si effrayants que les aigles n’osent y voler
quand des vents hurleurs maltraitent les rochers nus
Est-ce une quête pareille qui pousse les baleines à faire des sauts
de l’Arctique à l’Antarctique
joignant leur queue aux plus lointaines constellations
J’entends des voix pulsées des confins du monde