À côté
148 pages
Français
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Français

Description

Arthur, Max et Félicien sont trois jeunes amis qui vont devenir adultes. Au coeur de la nouvelle France subvertie par les réseaux sociaux et la téléréalité, ils évoluent de la vie d'artiste à la vie « raisonnable », chacun à sa manière. Miroir acide des ravages d'Internet sur notre jeunesse, À côté est un roman nécessaire qui met en lumière la marginalité du monde de l'Art et les plaies du présent. Benjamin Rosenberg dessine avec sensibilité les contours d'un territoire déchiré par la solitude et les clivages idéologiques.

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Publié par
Date de parution 02 janvier 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782140137679
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

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Extrait

Benjamin Rosenberg
À
Roman
À côté
Benjamin ROSENBERGÀCOTÉ Roman
DU MÊME AUTEUR Etienne Marre, Le Manuscrit, 2006 Nocturne céleste, Le Manuscrit, 2009 Francebitume, L’Harmattan, 2012 © L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-19028-0 EAN : 9782343190280
Arthur et Max
Toutes les places de l'église Saint-Julien-le-Pauvre étaient occupées. Teresa Czekaj arriva d'un pas pressé, même brutal. Elle salua, s'assit au piano et se mit à jouer une mazurka, puis deux, trois et quatre. La première fut rapide et gaie, les morceaux suivants s'enchaînèrent dans une tristesse croissante. La Pologne avait été heureuse avant le mois de novembre 1830, les gens avaient vécu, s'étaient amourachés, avaient souffert, s'étaient sentis atrocement seuls ; ils étaient demeurés prisonniers de l'Empire russe mais avaient été relativement libres, soumis mais relativement libres. La liberté, c'est souvent le brouhaha du monde, le faste et l'apparat, l'accomplissement par le paraître, la première mazurka. Ensuite avaient surgi l'insurrection et la guerre, la douleur de la violence et de la mort, les deuxième et troisième mazurkas. Elles s'articulaient de manière énergique, de courts mouvements, des petites touches rapides et sautillantes entre les balles, la résistance s'organisait, des Polonais se battaient entre les projectiles de plomb. Enfin étaient survenues la victoire finale russe en 1831, la mélancolie de la défaite souverainiste mais aussi la culpabilité pour Chopin de vivre hors de sa mère patrie, plus que jamais soumise à l'Empire russe, la quatrième mazurka. Teresa Czekaj fit une longue pause, ses yeux s’élevèrent en direction du plafond de l'église puis elle baissa le regard vers son porte-partition, pourtant nu.
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Le piano reprit, la Ballade no. 1 en sol mineur avait envahi l'église. Le début était lent, mélancolique et majestueux, la seconde partie s'articulait avec un tempo plus soutenu. Le regard du jeune homme s'égara dans les enluminures de la nef tandis que des larmes coulèrent sur ses joues. Le troisième acte du morceau, presque identique au premier, s'acheva par un mouvement au tempoprestissimoqui provoqua chez lui une suffocation. Il ressentit également quelques sueurs froides au moment où Teresa Czekaj tapa le clavier, avant de finir sur une note grave, soudaine, esseulée, surprenante. L'agitation reprit immédiatement, pas de pause ni de tempo en-deçà de cent pulsations par minute, le premier acte du Scherzo en si mineur provoqua chez lui des vertiges, il s'interdit de fermer les yeux pour ne pas ressentir de nausées, mais son regard se floutait, son corps voulait qu'il s'abandonne à la fièvre fulgurante. Il refusa, conscient que cela pourrait mener à un malaise. Heureusement, Teresa Czekaj changea de tempo du tout au tout : l'impression de folie douloureuse, de vertige surhumain s'évanouit pour laisser place à une promenade. Il se laissait bercer, il pensa à ses premières amours pour la musique classique et toutes ces larmes versées en écoutant les mélodies au piano. Le troisième mouvement arriva, d'abord imprévisible et par à-coups entrechoqué de silences, puis rempli de toute la véhémence que Chopin est capable de produire. Les vertiges le reprirent, il ne put résister plus longtemps : il ferma longuement les yeux, son front était humide, ses lèvres tremblantes, ses doigts bougeaient de manière aléatoire. Tout à coup, la musique s'arrêta, c'était la fin du Scherzo. Teresa Czekaj marqua un long silence, elle fixait le pupitre vide. Elle imaginait certainement les partitions, leur forme, leur odeur, mais leur contenu se trouvait dans sa tête et s'apprêtait à continuer de s'articuler mécaniquement.LaFantaisie impromptu se mit à cavaler dans l'église, chaque recoin, chaque centimètre carré de pierre, d’enluminure, de bois et d'humanité était submergé par la fureur du morceau.
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Il reprit à-demi ses esprits au début de l'épisode central, plus lent et à l'apparence moins déraisonnable que le premier thème. Ses pulsations cardiaques recouvrèrent une allure normale et son teint son aspect habituel, des larmes coulèrent pour la deuxième fois. A la fin du troisième thème, son trouble ressurgit. Il faillit tomber de son siège. Son teint était redevenu livide et son souffle court, son visage, son front et sa nuque étaient trempés de sueur. Teresa Czekaj se leva de la banquette, salua l'auditoire puis se retira. Avant qu'elle ne réapparaisse pour le rappel, il se leva à son tour et se sauva de l'église. Il n'aurait pu rester un instant de plus, son corps aurait fini par lâcher. Ses jambes se traînaient avec paresse et nonchalance sur les trottoirs, il semblait qu'il avait les jambes les plus lourdes du monde.
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