La lecture à portée de main
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Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 juin 2012 |
Nombre de lectures | 27 |
EAN13 | 9782296494688 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 5 Mo |
Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
ÀL’OMBRE DU JACARANDA
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© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96537-9
EAN : 9782296965379
ÀL’OMBRE DU JACARANDA
À l’ombre du jacaranda
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ÀL’OMBRE DU JACARANDA
ÀL’OMBRE DU JACARANDA
Hélène Gelézeau
Àl’ombre du jacaranda
roman
L’Harmattan
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ÀL’OMBRE DU JACARANDA
à mes parents
ÀL’OMBRE DU JACARANDA
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ÀL’OMBRE DU JACARANDA
Prologue
en’ai jamais vouluêtre écrivain.Jen’ai jamais voulu ressembleràl’archétype
J
del’écrivain, cetêtreintemporel,isolé et triste, cetêtre certeséruditet
créatif,mais quiconstruit souvent son œuvreimpudiquementautourdeses
propres névroses.C’est monavisen toutcas.Discutable,jele concède.
D’ailleurs,jenesuis pas unécrivain.Les mots ont simplement jailli
d’eux-mêmes, d’abordsaccadés, hachés, douloureux puisdemanièreplus
sereine et ordonnée.
J’ai trente-cinqans.Mavie estàl’image de cesiècle :enapparence
libre et trépidante, ellemanque en réalité derelief etde consistance.Jesuis
prisonnière detout un tasde choses, d’un système bien rodé àpremièrevue
mais tellementfutile dans le fond.Ahmais, c’est vrai, dorénavant,je dois
mettre ces sombresconstatsau passé…
Jem’appelle Claire Bellanger.Jesuis – ou plutôtdevrais-je dire,j’étais
– médecinchef àl’hôpitalLaennecprèsdesInvalidesà Paris.Jesuis – j’étais!
– leparangondela célibatairemoderne, bien intégrée dans son milieu urbain,
avecuneviesociale et professionnelle épanouie,uncopainàl’occasion,pour
monbon plaisiret sansattache, des sortiesbien rythmées…J’ai – j’avais – une
vie classique en somme.Jenemesuis jamais plaintemais j’aurais tantaimé être
uneinsoumisUe !ne Isabelle Eberhardt ou une Alexandra David-Néel,si
intransigeantes,siégocentriques,sidéterminéesàvivreleurdestin sans
concession jusqu’aux limitesdu raisonnable !
Si jeprends laplume aujourd’hui, cen’est pas pourconfier mes
désillusions ou melibérerdemes imperfections, c’est pour parlerd’uneviequi
n’est pas lamienne,pour raconter une histoirequi nem’appartient pas mais
quel’on m’a en quelquesorteléguée àla façondont on transmet son
testament.Jen’ai pas le choix.J’aifait unepromesse àquelqu’un:je dois
formuler l’informulable,je dois transmettre cette expérience deviequ’une
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mourantes’estévertuée àmerévéler sur son litd’hôpital, commeun secret
jusque-là biengardémaisfinalementexpulsépar lesderniers soufflesd’unevie
bien remplie.Cetterévélation m’a entraînéeversdes rivages où jamais jeneme
seraisdoutéemettreles pieds.Cequi m’a conduite àmodifier mapropre
trajectoire…
§
Quandl’histoirequejevais tenterderacontera commencé, Anna était
arrivée depuisenvirondeux semainesdans mon service de cancérologie.Au
début,jen’avais pasfait trèsattentionà elle, en toutcas ni plus ni moins
qu’auxautres patients.Elle étaitgentille, douce etdiscrète,le genre de
malades qu’onaimeraitavoir tous les jourscar ils neposent jamaisde
problèmes.J’étaisà cemoment-là en pleine histoiresentimentale compliquée–
bien qu’éphémère–et j’avouequejen’ai peut-êtrepasététrèsattentive àson
appel muet quidéjà,jem’en suisfait laréflexion par lasuite, était perceptible.
Jeme bornaisà fairemon travaildu mieux possiblemais sans zèle excessif et
sûrement sansêtretrès réceptive àmonenvironnement professionnel.Pour
elle, commepour tous lesautres maladesdemon service,les mois (ou même
les jours)étaientcomptés:le canceravaitdéjà gagnélapartie et il nes’agissait
plus,pour monéquipe et moi-même,que d’essayerd’apporter un peude
réconfortà des personnes qui n’attendent plus riendel’existence, detenterde
réduireles souffrancesde corpshabités par unemortconquérante etdéjà
victorieuse.C’estcequ’onappelleuneunité desoins palliatifs.
J’étais parvenue àl’hôpitalau moment précisdel’arrivée d’Anna,
lorsquele branle-basde combat quiaccompagnetoutenouvelle admission
créeun peud’animationdans un serviceoù toutest sifeutré habituellement.
Sommetoute, c’était laroutine :un litdeplus occupépar unêtre désespéré
qui, commetous ici, deviendraitbien viteunesilhouette fantomatique et
familière, avantdes’éteindre,résignéeoucombative, dansd’ultimes regrets
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d’unevietrop vite achevée.C’était uneroutinetristemais uneroutinequand
même.
Comme àmonhabitude,j’étais venuesaluer lanouvelle arrivée.Elle
m’avait semblé encorerelativement jeune et presque gênée d’êtrelà commes’il
yavaiteuerreur sur lapersonne.Cequi m’avaitfrappée alors, c’était son
regard effarouché dans un visage amaigri maisàpeineridé, encadré de
cheveuxabondantset trèsblancs: elleressemblaitàun petitenfant vieilli
prématurément,perdudans un mondequ’il ne comprenait pas, homoncule
éthéréresté endehorsdu temps.Ces impressions mesont revenues par lasuite
car,sur le coup,jen’aifait quesaluer ma énième admissiondelasemaine
avantdemerendre àmon inévitableréuniondeservice.
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I
FRANCE
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ematin-là,jem’étais levée demauvaise humeur.J’avais l’impression que
C
le brouillardquienveloppait la capitales’était traîtreusement infiltré
jusqu’aux tréfondsdemoncerveau si vulnérable encelendemainde fête.
C’était presque avecsurprisequej’avais repéréunemasseinforme,
ronflottante, blottiesous la couette dans lelit,Mon lit.Ahoui,la fête,l’alcool,
lescopains…,tout merevenait.C’estfoucommeon peutfacilement sesaouler
avec dugin-tonic !
Jesortisdu liten silence car jen’avaisenvie deparleràpersonne,
surtout pasdeme confronterà celui quidormaitdans mon lit, demesentir
obligée del’embrasser tendrement oudelui servir uncommentaire cucul sur
lanuit passée ensemble.Il s’appelaitPierre etc’estàpeu près toutcequeje
savais.Jenevoulais pasen savoir plus:unenuit mesuffisaitamplement! Sans
autreimplication,sansétatsd’âme.
Dans les odeurs nondissipéesde cigarette froidequi me harcelaient
sadiquement pour merappeler lesexcèsdelaveille,j’avalaid’un trait une
tasse de cafétiédasse, fonçai sous la douche et m’habillaien vitesse.Sans
oublier lasalvatrice aspirinevitaminée dont l’effet placebo l’emportaitdansces
cas-làsur l’action physico-chimiqueréelle(parole demédecin!),je griffonnai
quelques indications techniquesàl’attentionde Pierrepuisclaquai laporte
derrièremoi.
Cematin-là donc,toujoursdemauvaise humeur,je débarquaià
l’hôpitalen retard deplusieurs minutes pour monhabituelletournée auprès
des malades.Alors quej’enfilais ma blouse àla hâte,je croisaiEric dans le
couloir,moncollèguequinqua del’unité deréanimation qui nemanquait
jamais uneoccasiondemontrer l’étendue deson répertoire de blagues
lourdingues.
"Alors, Claire, encore dans le cirage cematin ? melança-t-il
goguenard.
"J’ai pasbiendormi,voilàtout,répondis-jesombrement.
"Ah ces jeunes,toujoursà faire desfoliesdeleurcorpsau lieudese
reposer!
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"LaissetomberEric, gardetesallusionsfoireuses pour tes
infirmières tout justepubères,répliquai-je en le fusillantdu regard,regrettant
un peudetomberdans lemêmeregistre basde gammequemondétracteur.
"Remarque,t’as raisondeprendre dubon temps, au point oùen
sont tes patients,un peu plus ou un peu moinsde conscienceprofessionnelle,
lerésultatest lemême :ilscrèveront tousaprès quelques semaine