Brûlées
149 pages
Français

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Brûlées , livre ebook

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Description

Brûlées, ces nouvelles le sont, à bien des égards. A l'instar de leurs personnages : en quête d'eux-mêmes, ils se brûlent les ailes à trop vouloir approcher le soleil. A l'image des histoires qu'elles racontent, consumées d'une ardente flamme. Brûlées, enfin, comme tout ce qui vit et meurt dans l'incandescence du verbe. Les maux écrits deviennent les cris donnés à entendre, donnés à lire. Ici, interviennent monstres, parias, pauvre diables que la Nature, en son sommeil, a formés dans un encrier. Ici, se mêlent fous, amoureux, passionnés, ce qui revient au même finalement.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 216
EAN13 9782336277592
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296108905
EAN : 9782296108905
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Première partie : Ni le soleil ni la mort
9 AILES UNE NUIT STATUES MURS SOMMEILS CHAPITRES ARTIFICES ESCALE LES NARRATEURS À REGRETS OMBRE ET PATIENCE LES FEUX LES PRINTEMPS ILLIMITEE
Deuxième partie : face contre sable
UN RÊVE L’IF LA BAIGNADE LE PONT UN SOUFFLE FURIOSO FUNAMBULES L’ART D’AIMER PARALLELES AUTOMNES ETC. TRADUTTORE... PERILS
Troisième partie : Retouches
L’HOMME QUI A VU L’HOMME QUI A VU L’HOMME ELLE AVAIT VOULU VOIR
Écritures
Brûlées
nouvelles

Elsa Sfartman
Première partie : Ni le soleil ni la mort
9
L ongtemps, elle se taisait, le front incendié d’une rougeur qui valait bien toutes les paroles. Personne ne songeait à lui reprocher quoi que ce soit, car chacune, d’une façon ou d’une autre, comprenait ce silence pourpre. Nous voyions bien qu’elle-même souffrait, plus que quiconque, de cette situation intolérable. Aussi lorsque son visage soudain s’éclairait et qu’elle nous faisait la joie de dire quelques mots, la maison s’égayait toute, comme si elle passait sur nos douleurs enfouies un baume apaisant, secret de magicienne. Elle nous racontait ses rêves de chiffres : 12, 36 ou même parfois 108, et nous nous laissions emporter par son enthousiasme :
— 12, c’est si beau, c’est aussi bien 4 fois 3 que 6 fois 2, uniquement des chiffres agréables, avec lesquels on peut discuter, et rire, et on ne s’embarrasse pas de 5 ou de 10, trop académiques, trop sinistres, alors vous pensez, 36, 12 fois 3 et multiple de 9, il a tout pour lui celui-là...
Puis son visage s’assombrissait, et sa voix se faisait plus sourde :
— mais 108, c’est trop, trop de couleurs, tellement trop que je ne vois plus rien, vous comprenez mes enfants ? Il faut savoir s’arrêter avant de noyer le talent dans la démesure. N’oubliez jamais cela...
Enfin elle demeurait immobile face à la fenêtre, et s’enfermait de nouveau dans son mutisme diapré. Nous ne disions plus rien, conscientes d’avoir cueilli à la volée quelque enseignement inutile, quelque haïku chiffré témoin du passage des saisons comme de la finesse multiple de sa sensibilité mathématique. Une fois elle nous avait confié qu’elle calculait automatiquement le plus proche multiple de 9 du nombre que le hasard des plaques d’immatriculation des voitures lui donnait à voir.
Quelle souffrance, avions-nous pensé, mais lisant dans nos pensées elle avait souri, énigmatique, avant de nous rassurer d’un geste ample et protecteur. Elle était tout pour nous, mère, sœur, fille, amie de toujours, indispensable confidente, maîtresse de maison sévère, discrète domestique... de fait son rôle changeait selon son humeur et ses rêves.
Nous l’entendions parfois hurler, la nuit :
— 512 ! 1024 ! 2048 !
Et nous avions peur pour sa raison, pour la qualité de son sommeil, qui dictait toutes ses actions, pour l’assaut de son chagrin, qui ne la quittait que rarement. Alors, dans la nuit orpheline, nous fermions les yeux pour ne pas avoir à soutenir son angoisse.
Elle rêvait. Elle rêvait qu’elle rêvait, et, en rêvant, elle vivait, elle se vivait plus intensément encore que dans l’éveil. D’ailleurs, fréquemment elle rêvait éveillée, hallucinant des traces de sang sur les murs, ou bien s’écoulant des yeux, bouches, nez, oreilles de ses interlocuteurs. Elle nous voyait vieillir en accéléré, jusqu’à la décomposition, et elle en pleurait de peur ; elle se réfugiait dans d’interminables calculs, car, disait-elle, « les nombres ne déçoivent jamais en ce qui concerne les couleurs ». Ils étaient ses meilleurs alliés contre le Temps, contre l’Espace, contre l’Orage.

— je ne crois pas en l’astrologie, je crois simplement que l’ordre dans lequel un nouveau-né vit pour la première fois les saisons influence son caractère : vivre son premier été à 3 mois ou à 6 mois, son premier printemps à 4 mois ou à 12 mois change forcément la vision que tel ou tel enfant aura de la vie, vous ne croyez pas ?
Et nous acquiescions en silence, pour ne pas risquer de provoquer une de ses colères d’incompréhension, même si au fond nous pensions qu’elle disait n’importe quoi, que ses chiffres répétés avec une telle insistance allaient finir par avoir raison de sa santé mentale. Nous ne savions pas à quel point nous ne nous trompions pas.
Elle était née un 27 septembre. Elle ne parlait jamais de son enfance. Elle se taisait parfois pendant plusieurs jours, comptant et recomptant dans sa tête, choisissant les nombres avec lesquels elle allait passer le temps, « discuter et rire », chantant pour elle seule les ritournelles des tables de multiplication, quoiqu’elle leur préférât la division, plus affinée, plus tendre, plus subtile dans l’infinité. On peut multiplier à l’infini, on ne fera qu’empiler, entasser, tandis que si l’on divise à l’infini on se rapproche du Divin.
Oh, combien nous regrettons maintenant de ne pas avoir pris en compte ses appels désespérés et cryptés !
Car les nombres, ce sont aussi des dates, et nous aurions peut-être pu penser l’impensable avant qu’il ne se produise. Aurions-nous pu l’empêcher ? Nous ne le croyons pas, mais sans doute nous disons-nous cela pour nous déculpabiliser, qui sait ? Au fond, qui sait ? Elle-même, avait-elle prévu, pensé, calculé ?
Perdue dans ses multiples, en grande conversation intérieure avec les nombres qui comptaient parmi ses plus proches amis, ne savait-elle réellement pas ce qui était, déjà, en chemin ? Ne s’est-elle vraiment pas sentie partir ? Autant de questions qui resteront à jamais sans réponse, autant d’équations qui ne se résoudront jamais, parce qu’elles ont trop d’inconnues.
Elle avait pris l’habitude de laisser traîner des poèmes courts, deux ou trois vers, griffonnés à la hâte au plus fort de ces fièvres qui la terrassaient et la laissaient pantelante, hagarde échevelée, et ses quelques mots jetés sur la table de la cuisine ou près de la cheminée nous tenaient informées de son état : — été noir / 8 étoiles / dans notre ciel — belle-de-jour / avant d’arriver / au seuil du 9 — vallée infestée / de quinzaines — 3 petits pas / pour tout changer — doux amer / 24 enfants / ai-je élevé
Nous nous efforcions tant bien que mal de déchiffrer son écriture nerveuse et fine, qui criait ses folies et ses noires visions, d’horreur et de feu, puis nous tentions de la calmer, mais rien n’y faisait. Un mal inadmissible la rongeait, la divisait d’elle-même. Elle s’éloignait, peu à peu, de nos vies et de nos divas ; elle semblait se contenter de la présence en elle de tous ces quotients, de toutes ces sommes, comme si la nourriture qu’ils lui procuraient pouvait suffire à la maintenir en vie. Elle peignait, avec « fureur et mystère », ce que les nombres lui racontaient de couleurs. Peu de fois elle réussissait à nous traduire ce langage connu d’elle seule ; 4 et 8 associés donnaient terre de sienne brûlée, assoiffée, hors de toute considération de temps ; 3 et 6 formaient un bleu céruléen qu’elle appelait affectueusement « mon petit chose » ; 2 et 9, pris séparément, lui permettaient d’accéder à un état de transe dans lequel elle entrevoyait, en noir et blanc, les visages de ceux qui, une nouvelle fois, franchiraient notre porte.
Car nous étions visitées, régulièrement, par des gens qui nous voulaient du mal. Elle seule savait quand ils arrivaient, à combien, et pourquoi. Elles les appelaient avec violence les 65536, et même si personne ne comprenait en quoi ce nombre était injurieux, la manière qu’elle avait de le prononcer suffisait à nous prévenir de leur arrivée.
Ils venaient, restaient peu de temps, la regardaient en coin, et repartaient en emportant l’une d’entre nous, que nous ne revoyions jamais plus. Leurs visites étaient si redoutées que nous n’osions pas même en parler entre nous, encore moins devant elle. Nous craignions pour notre survie, qui dépendait d’une puissance de 2.
Souvent, le 18 de chaque mois, elle décidait d’une grande sortie dans la campagne qui n’était pas très loin, et qui le resterait par arrêté du roi qui voulait toujours voir le plus loin po

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