La lecture à portée de main
Description
Sujets
Informations
Publié par | SNCF_e_LIVRE_publications |
Date de parution | 26 octobre 2018 |
Nombre de lectures | 26 |
EAN13 | 9782707344755 |
Langue | Français |
Extrait
Danslapénombredetroisheuresdumatin,
j’ouvrelesyeux.Jemeursdechaud,maisjen’ose
pasmeleverpourouvrirlafenêtreunpeuplus
grand.Jesuiscouchéedanssonlit,danscettecham-
brequejeconnaissibien,prèsdesoncorpsenfin
endormiaprèsunelongueluttecontrelesangoisses
quimangenttout,latête,leventre,lecœur.Nous
avionsbeaucoupparlé,pourleséloigner,lesrepous-
serauxfrontièresdelanuit,nousavionsfait
l’amour,j’avaiscaressésoncorpspourl’apaiser.
J’avaislaisséglissermamainlelongdesesépaules,
puislelongdesesbras,jem’étaispelotonnéecontre
sondosetj’avaislonguementpétrilachairtendre
desesfesses.J’avaisguettésarespiration,enatten-
dantquelesoufflecourtdevienneléger,queles
hoquetsdelarmess’espacent,quelapaixtrouve
enfin lechemin.
Ilfaitsichaud,danscettepièce.Jevoudraisbou-
9
ger,unpeu,sentirl’airsurmonvisage.Maisson
corpstouchelemien,samainestposéesurmon
bras,etbougerrisqueraitdefairevacillerl’édifice
quej’aimistantdetempsàconstruire.Sonsommeil
estcommeunchâteaudesable.Unmouvementet
çasecasselagueule.Unmouvementetsesyeux
s’ouvrentgrand.Unmouvementetilfauttout
recommencer.J’écouteleronronnementdeson
soufflepleindesommeil,ilmedonneenviederire
deplaisir,d’unegaietéenfinretrouvéepourunins-
tant.Jevoudraissuspendrelanuitetécouterce
bourdonnementpendantdesheuresetdesheures,
desjoursetdesjours,puisqu’unbourdonnementça
veutdirejevis,çaveutdirej’existe,çaveutdire
jesuislà.Etmoijesuislàaussi,àcôté.
Moncorpsbrûlantresteparfaitementimmobile.
Sinepasrenverserle château
desabledesonsommeilsignifiemourirdechaudalorsjeveuxbien
mourirdechaud.Dehors,danscettenuitgrisâtre
quejeperçoisparlafenêtre,lesoiseauxchantent.
Ondiraitqu’ilssontmille,gazouillantàquimieux
mieux,fendantl’airdanstouslessens,commeles
plushabilesdespilotes.Cettenuitdechaleurécra-
sante,c’estleur14Juilletàeux,ilsfontdelavoltige
aérienneetilss’endonnentàcœurjoie,inventant
desfigurestoujourspluspérilleuses.Dans les arbres
lointains,destourterellesbanlieusardessaluentde
leurstrillesstridentsletoutpetitmatinquipointe.
10
Jeregardeleursombresfilercontrelecielsale.Je
crèvedechaud.J’attends.
Jetournemonvisageverssoncorpsfigé,étendu
surledos,parfaitementnu.Jedétaillelafinessede
seschevilles,lesossaillantsdeseshanches,son
ventresoupleetledéliédesesbras,lerebondide
seslèvresquiportentunsouriretrèsléger.J’observe
lesmeurtrissuresdelamaladiesurcecorpsque
j’aimetant,lespetitspointsnoirsduventrepiqué
etpiquéencore,lacicatriceprèsdel’aisselle,letrou
souslaclavicule.Jeregardesonvisagetranquille,
parfaitementtranquille,sonmentonfier,même
danslesommeil,sesjouesveloutées,lalignebrus-
queetsurprenantequeformesonnez,sespaupières
mauvesenfincloses.Jeregardesoncrâneentière-
mentchauve.Danslapénombredetroisheuresdu
matin, je laregardedormir.
Jeneparvienspas,danscettenuitmoite,àdéta-
chermesyeuxdesoncorpsnuetdesoncrâne
cireux.Desonprofildemorte.
I
1.
ÇaraconteSarah,sabeautéinédite,sonnez
abruptd’oiseaurare,sesyeuxd’unecouleurinouïe,
rocailleuse,verte,maisnon,pasverte,sesyeux
absinthe,malachite,vert-grisrabattu,sesyeuxde
serpentauxpaupièrestombantes.Çaracontele
printempsoùelleestentrée dansmaviecommeon
entreenscène,pleined’allant,conquérante.Victo-
rieuse.
2.
C’estunprintempscommeunautre,unprin-
tempsàrendremélancoliquen’importequi.Ilya
desmagnoliasenfleursdanslessquaresparisiens,
etj’aidansl’idéequeçaécorchelecœurdeceux
quilesremarquent.Moi,çam’écorchelecœur,les
15
fleursdemagnoliadanslessquares.Jelesregarde,
chaquesoir,enrentrantdulycée,etchaquesoir,
leursgrandspétalespâlesmepiquentunpeules
yeux.C’estunprintempscommeunautre,avecdes
aversesimpromptues,l’odeurdumacadammouillé,
unesortedelégèretédansl’air,unsouffledejoie
quichantonnecombientoutestfragile.
Ceprintemps-là,jemarchecommeunfantôme.
Jemèneuneviequejenepensaispasmener,une
vieseuleavecuneenfantdontlepèreadisparu
sanscriergare.Unjour,unsoirplutôt,ilestsorti
del’appartementetpuis.Etpuisplusrien.Alors
commeçac’estpossible,quedujouraulende-
main,jeveuxdire,littéralement,dujouraulen-
demain,entredeuxpersonnesquis’aimentdepuis
desannées,ilpuisseneplusyavoirderegard,ni
de parole,nide dialogue, nidediscours,ni de
fâcherie,nidecomplicité,nidetendresse,ni
d’amour.C’estcettefolie,cetteaberration,quime
constituedejourenjour.Jepensequelavieva
s’arrêterlà.Jen’espèreriennipersonne.Ilyaun
nouveaugarçon,dansmavie,ungarçonbulgare.
Quandjeparledelui,jedismoncompagnon.Il
m’accompagne,voilà,c’estça,ilm’accompagne
danscetteviechagrine.J’attends.Unmottourne
demanièrelancinante dansmatête,lemotlatence.
Jemedisqu’ilfaudraitquej’enchercheladéfi-
nitiondansledictionnaire.Jesaisquejesuisen
16
traindevivreunmomentdelatence.Jenesais
pascombiendetempsçavadurer,etparquel
événementçaprendrafin.Enattendant,tousles
joursseressemblentunpeu,entremesobligations
dejeunemère,mesobligationsdejeuneprofes-
seure,mesobligationsdefille,d’amie,d’amou-
reusedugarçonbulgare.Jem’appliqueàvivrela
vie.Jenelavispasvraiment.Maisjesuisbonne
élève.Jetirelalangueavecconcentration.Jesuis
bienhabillée,polie,charmante.Jeparcoursles
ruesduquinzièmearrondissementàbicyclette,
monenfantdansunsiègederrièremoi.Nous
allonsaumusée,aucinéma,auJardindesPlantes.
Jemetrouvejolie,onmeditgentille,attentiveaux
autres.Jenefaispasdevagues.Jesuislamère
d’uneenfantparfaite,laprofesseured’élèves
remarquables,lafilledeparentsmerveilleux.La
vie
auraitpucontinuercommeçaencorelongtemps.Unlongtunnelsanssurprise,sansmys-
tère.
3.
Uncoupdesonnettevif,commeuncoupde
fouet,aumilieudecetappartementoùrègneune
atmosphèrecompassée.Noussommessurnotre
trenteetunpourlafêtedu31décembre,troiscou-
plesquiseregardentducoindel’œil,surprisd’être
17
là,beaucouptropapprêtés.Toutestguindé,la
décorationdel’appartement,lessujetsdeconversa-
tion,lestenuesdesconvives.Toutestétudié.Grave.
Rigide.Lecoupdesonnettesemblefairesursauter
lesmeublesquinedoiventpasavoirl’habitude.
Murmures.C’estSarah,seréjouitquelqu’un.Jene
saispasquiestSarah.Maissi,medit-on,vousvous
êtesdéjàcroisées.Onmedécritlescirconstances.
Aucunsouvenir.Lamaîtressedemaisonvaouvrir
laportedel’appartement.C’estSarah,oui.Jenela
reconnaispas.
Ellearriveenretard,essoufflée,riante.C’estune
tornadeinattendue.Elleparlefort,vite,ellesortde
sonsacunebouteilledevin,deschosesàmanger,
uneprofusiondetrucs.Elleenlèvesonécharpe,son
manteau,sesgants,sonbonnet.Elleposetoutpar
terre,surlamoquettecrème. Elles’excuse,elle
plaisante,elletournoie.Elleparlemal,avecdesmots
vulgairesquisemblentflotterdansl’airlongtemps
aprèsqu’ellelesaprononcés.Ellefaittropdebruit.
Iln’yavaitrien,dusilence,desriresaffectés,des
minescérémonieuseset,d’uncoup,iln’yaqu’elle.
C’estagaçant.Lamaîtressedemaisonfronceles
sourcils,danssarobedusoir.Sarahnes’enaperçoit
pas,elleembrassetoutlemondevigoureusement.
Ellesepencheversmoi,ellesentl’air piquantde
findécembre.Ellealesjouesrougesdeceuxquise
sonthâtés.Elleestbeaucouptropmaquillée.Elle
18
n’estpastrèsbienhabillée,ellen’apasrevêtusa
plusbelletenue,ellen’estpasélégante,ellen’apas
attachésescheveuxavecraffinement.Elleparle
beaucoup,bonditsurunverredevinqu’onluitend,
hurlederireàunbonmot.Elleestanimée,exaltée,
passionnée.
C’estcommeunmomentauralenti.Leverre
s’échappedemamain,moncompagnons’exclame
ohnon!,leverretourbillonnedansl’air,toutle
monderegarde,personnenepeutrienfaire,c’est
déjàtroptard,leverres’écrasesansunbruitdans
lamoquettecrème,soncontenuentiersedéverseet
dessineuneformeabstraite,duvinrougesurla
moquettecrème,unbeautableauminimaliste,je
blanchispuisrougisd’embarras,lamaîtressede
maisonfulmine,danssarobedusoir,c’estune
catastrophe,undésastre, ledessinrougesurla
moquettecrème,unimprévu,unaccident.Une
brèche.
Plustard,nouspassonsaudîner.Nousnousexta-
si