Caprices et désastres
169 pages
Français

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Caprices et désastres , livre ebook

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Description

A travers ses multiples engagements (politique, cinéma, journalisme, écriture), Roger Curel a touché de près les contradictions humaines les plus riches. Caprices et désastres nous emmène sur des routes à la Goya où l'auteur rend compte d'une vie de combat, de risques et d'épreuves. La résistance, les guerres de libération, l'approche du pouvoir et du fait colonial nourrissent ce récit atypique, où l'on retrouve les interrogations profondes de l'auteur sur la destruction des êtres et des choses, les trahisons, le respect que les hommes se doivent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2009
Nombre de lectures 252
EAN13 9782336264493
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection
Une vie une œuvre
dirigée par Philippe Blanca et Paola Pigani
Trouve beau tout ce que tu peux, écrivait Vincent Van Gogh à son frère Théo, ainsi en va-t-il de la quête de toute une existence sur un chemin de création et de vérité. Telle est la ligne de cette collection du Croquant : une vie comme une œuvre, une œuvre comme une vie, dans laquelle le lecteur découvrira une œuvre littéraire, scientifique, artistique, éducative, ainsi que l’aventure humaine qui lui donne sens.
Caprices et désastres

Roger Curel
En couverture :
extraits de Francisco Goya, Saturno devorando a un hijo et Perro semihundido, Madrid, Muséo Nacional del Prado Couverture réalisée par Annie Lebard
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296092808
EAN : 9782296092808
Sommaire
Collection - Une vie une œuvre Page de titre Page de Copyright I II III IV V VI VII VIII IX X
Tiempo viejo Caravana Fugitiva Dònde estàs ?
Temps passé Caravane fugitive Où êtes-vous ?
Musique : Carlos Gardel
Texte : Alfredo Le Pera
Le « Caprice », encore en vogue au XVIII e Siècle, représentait un genre littéraire dont l’unique règle consistait à n’en observer aucune. Francisco Goya lui offrit ses lettres de noblesse en gravant quatre-vingts estampes intitulées « Les Caprices » où il se proposait à la fois « de bannir de nuisibles croyances et de perpétuer le ferme témoignage de la vérité. »
Une autre série d’estampes « Les désastres de la guerre » appartient à la même veine. Elle constate excès et massacres de la Conquête napoléonienne et, dans toute son horreur, la réponse espagnole. Le mot « guérilla » y fêta sa naissance et cette manière de vivre et de tuer, de survivre et de mourir semble bien être devenue une de ces règles essentielles et secrètes qui gouvernent la marche du monde. Pour la manière de dire les brisures j’ai fait confiance à Goya car le travail sous masque nous met en concordance avec le cœur avant de nous découvrir la face au dernier salut sur cette scène où nous avons joué nos vies et nos passions.
J’ai fait confiance à Goya parce que la représentation qu’il nous donne dans ses dessins de la souffrance physique et morale qui nous est échue dans ce bas monde, avec l’aide souvent énigmatique du commentaire qu’il a choisi, nous suggère réflexion et prise de conscience. En un seul coup d’œil il vient de nous rendre compte de la destinée humaine. Il nous l’a dit en un éclair et nous les écrivains, maintenant, nous allons noircir des pages et des pages pour arriver à peine à lui dire « merci » de nous avoir ainsi offert notre charte. La charte du témoignage et de l’intégrité. Notre profession de foi. Cette méditation en sol majeur sur le pays où je suis né et qui fut, jadis, notre demeure, est avant tout la genèse d’une aventure historique acquise au poinçon du graveur sur nos peaux à nous tous, et là je parle des peaux de ceux d’en bas comme des peaux de ceux d’en haut. Elle s’oblige ainsi à retourner aux souvenirs des douleurs et des joies qui nous traversèrent l’âme et le corps, nos Désastres et nos Caprices.
I
Mon histoire commence sur ma terre natale, l’Algérie, au fond d’un puits. Durant six semaines - 42 jours comptés – j’avais dû aider un puisatier à construire le puits. Nous étions deux «jeunes» affectés à ces travaux par décision unanime et pétainiste du chef de groupe. Mon compagnon tint le coup 14 jours et s’écroula. Le puisatier d’origine espagnole était une sorte de montagne de muscles. Sans l’aide des pieds il remontait la corde à nœuds d’un seul élan. Il n’y avait pas d’échelle. Il me demandait le maximum mais il partageait sa nourriture avec moi et chantait en espagnol tout ce qui lui passait par la tête. J’appris ainsi Conchita Piquer dont je découvris le nom plus tardivement et Carlos Gardel que je connaissais déjà, «oune frances comme toi», en mangeant du pain mahonnais, de la soubressade, du lard de cochon et des figues, au son approximatif des coplas et des tangos. Il chantait faux mais je vivais une éclaircie. En effet, en 1941, une tentative manquée de rejoindre l’Angleterre par Gibraltar avait hâté mon incorporation aux « Chantiers de jeunesse » pour m’éviter le pire. Selon la police. Au bout de quelques mois les petits chefs et moi nous avions appris à nous connaître. Je savais qui étaient ceux qui me commandaient et eux savaient qui j’étais. Au bout de 42 jours j’avais perdu 9 kilos et comme ma libération approchait on me changea de travail. Le chef de groupe me voulait en forme pour la sortie. A vivre au fond du puits, dans l’eau jusqu’aux chevilles, ma vision du monde avait changé. A partir de cinq mètres le ciel devenait le centre du monde. Des années après, une représentation de Fidélio m’éclaira. «La carcel», comme disait le puisatier, qui avait compris ma position, donne du prix à la vie et quelques notes de musique peuvent vous sauver du pire, c’est-à-dire bien souvent de vous-même. Le silence lui-même devenait musique. Il s’étalait en ondes concentriques suivant la marche de ce mur en briques que nous construisions à l’envers selon une spirale énigmatique déterminée par le puisatier lui-même. Une seule aide, le fil à plomb. Ce mur se bâtissait sur le vide acquis par mes coups de pioche si tant est que l’engin, qui me servait à dégager la terre, fût une pioche. Il ne coupait pas, était plus large et ressemblait à une herminette. Je n’en ai plus jamais revu de semblable. Il y avait un point d’équilibre entre le creusement de la terre, l’arrivée presque invisible de l’eau, le placement de la brique sous la rangée qui la surplombait et la pose du mortier qui rendait cette sorte de descente aux Enfers passionnante. Travail exténuant, nous allions trouver l’eau et dans notre pays l’eau représentait le premier des biens. Notre travail était rythmé par le bruit de la poulie là-haut. Il s’apparentait au grincement de la noria, où nous avions à présent pris la place du mulet. Ces briques et le mortier descendaient dans des seaux. Au début les seaux remontaient l’eau puis la pompe remplaça les seaux. A peu près toutes les deux heures elle aspirait l’eau qui sourdait d’une petite galerie que nous creusions en direction du sud, vers la montagne qui dominait la plaine. Nous étions arrivés au dernier plan et l’eau était présente. Dangereusement présente! Le puisatier sourcier me demandait de surveiller l’arrivée d’eau pendant qu’il creusait. Il ne maçonnait plus rien, il s’engouffrait dans son trou à rats, creusait et préparait déjà une autre galerie quand je l’ai quitté. Il me racontait qu’il avait déjà maçonné de grandes galeries dans des orangeries mais que là où nous creusions, trois quatre mètres «en étoile» suffisaient. Il avait beau me rassurer je savais qu’en remontant à l’air libre je remontais des Enfers. Nous n’avions aucune sécurité et rien pour interpréter «une bulle d’eau», comme il disait, sinon que je savais nager. C’était la première phrase qu’il avait prononcée le jour où j’avais été affecté à son chantier. La seconde phrase qui me resta en mémoire fut celle qu’il prononça quand une de ces « bulles d’eau »faillit me gagner alors que je restais seul au fond. Je criais et il actionna la pompe. Ensuite il me rejoignit, garda un instant de silence, me jeta un regard de commisération, leva la tête vers la margelle et dit « que nous étions tous des fourmis ». Il répéta le mot une autre fois en espagnol, hormigas , et l’incident fut clos. Je mis longtemps à me le rappeler.
J’ai encore dans l’oreille le grincement de la poulie semblable au grincement de la noria. Quand les seaux descendaient du ciel nous arrêtions tout et levions la tête, nous étions toujours à la merci d’une brique mal arrimée. Un jour il en prit une sur l’épaule, devint blême et sans un mot remonta le long de la corde à nœuds. Sa silhouette disparut et réapparut aussi rapidement. « Il a son compte » fut sa seule explication. Il avait un œil fixe et noir. A part nos «donnades» des sorties d’école, ritualisées et mises en scène pour l’honneur de l’honneur, c’est-à-dire sans produire de grands dommages physique

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