Esplanade Avenue
294 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Esplanade Avenue , livre ebook

-

294 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Pourquoi Gwen avait-il entrepris ce voyage à la Nouvelle-Orléans avec sa compagne ? Etait-ce le besoin de confronter ses choix d'artistes en proie au désenchantement en se laissant prendre au filet d'un ailleurs radical ?
En faisant dialoguer les deux fins de siècles, dans un jeu de miroirs qui restitue par fragments le Paris de la Belle Epoque, Esplanade Avenue propose une fresque historique bigarrée, un voyage à travers l'espace et le temps (de la Bretagne à la Louisiane, de la France à l'Amérique) et une réflexion sur la condition faite à la sensibilité contemporaine.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 289
EAN13 9782296224278
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www. librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-08249-6
EAN : 9782296082496

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
ESPLANADE AVENUE
Annick LE SCOËZEC MASSON


ESPLANADE AVENUE

Roman


L’HARMATTAN
Du même auteur :

AUX ÉDITIONS DE L’HARMATTAN :

RAMÓN DEL VALLE-INCLÁN ET LA SENSIBILITÉ « FIN DE SIÈCLE », essai, 2000.

MÉLANCOLIE AU SUD, roman, 2004.


AUX ÉDITIONS GARAMOND :

SUITE INDIENNE, poèmes, 2001.
CHAPITRE PREMIER L’HOMME QUI MARCHAIT
Versailles, novembre 1899.

Vue de loin, l’allure pouvait tromper. Comme pouvait le faire l’énergie qui lançait les jambes et propulsait le corps vers ce qui semblait être l’idée fixe du but. Car, à y regarder de près, la silhouette qui cheminait dans le levant manifestait bien autre chose que de la détermination ou de la hâte. Les épaules lestées d’une charge invisible, la tête qui tirait vers le bas, le tronc incliné et la taille lourde, pesant sur les hanches, trahissaient plutôt un excès de peine, une forme ambiguë de la résignation, comme si le malheur avait trouvé à s’incarner pour faire de celui qui marchait un symbole vivant des batailles perdues.
Un point de soleil dégivrait le parc, jetant sur l’herbe de brefs éclats, sur les bassins aussi, avant de disparaître dans l’œil d’un neptune boudeur.
Sans doute était-il trop tôt. Les dernières feuilles se poursuivaient sur le bord de l’allée. Des moineaux folâtraient, résorbant le brun sale de leur plumage dans le fouillis de la végétation, explorant l’humus avant de repartir étourdiment. « Et ce siècle !, se dit le promeneur, – il continuait d’avancer sans modifier son rythme, vigoureux et faussement décidé Comment va-t-il… Comment allons-nous tous finir ? »
Il releva son col sur ses tempes. Le frottement contre sa joue et le bruit mécanique de ses pas dans l’allée ne laisseraient rien pourtant, se fit-il sans émotion, rien dans l’air vif de ce matin-là, rien dans le film muet des derniers souvenirs : « Le plus accablant, c’est le poids de tous les instants morts ! » Autour de ses lèvres, flottait une vapeur blanche comme le tracé d’une plume.
« Au bord du gouffre. Nous marchons tout au bord. » Cette fois, il avait parlé à voix haute et le ton était ferme comme pour un verdict. Tâchant de s’en remettre aux vertus de l’heure – tout aurait pu dormir encore s’il n’y avait eu ce joyeux charivari d’ailes et de feuilles –, il s’arrêta. L’envol d’oiseaux migrateurs faisait dans le loin une ronde de points noirs comme un adieu. Il ferma les yeux, prit une longue inspiration, s’efforçant de faire face au séisme qui se préparait à l’intérieur.
Il ne pouvait s’empêcher d’en trembler encore. C’était ridicule mais violent, sans doute en raison du caractère aussi soudain qu’imprévisible de l’aventure. Alors qu’il longeait l’enceinte du château peu auparavant, un animal ou, plutôt, une gueule énorme avait surgi en se ruant sur lui. La rue était déserte encore et, s’il n’avait eu le réflexe de raidir ses muscles et de hurler à son tour, s’il ne s’était mis à beugler comme un cabot en rage, peut-être ne serait-il plus qu’un tas de chairs broyées dans une mare de sang. Mais, par miracle, la menace s’était évanouie. La bête avait fini par abaisser son échine pour s’éloigner en trottinant. Plus qu’une forme mobile, un point de fuite à l’arrière-plan. L’incident, toutefois, avait laissé sa trace et la croyance que le marcheur nourrissait en la force de l’irrationnel avait trouvé là une nouvelle justification. L’épisode du molosse en constituait le motif privilégié, mais il allait rejoindre un climat général – le lieu, la saison, ces mornes fins d’automne, leur goût de sanglot sans objet –, pour conforter en lui une puissante appréhension. Toutes les fins de siècle s’étaient soldées par une catastrophe. Il le sentait confusément. Quelque chose se préparait.
Il y avait, pourtant, dans le silence matinal, lointains et funèbres comme l’illusion, peut-être, d’un reste d’harmonie, la cognée du bûcheron à Forée du bois, le son d’un cor, le bourdon d’une cloche dans la brume. Alors pourquoi, tandis qu’il marchait, que les battements de son cœur s’étaient apaisés et que la nostalgie ambiante aurait pu lui procurer un paradoxal sentiment de plénitude, – tout va finir, je vais mourir, cet instant n’est rien, un instant mort dans la progression des temps, mais il est tout – pourquoi était-elle revenue, la vision qui le harcelait depuis des mois ? Était-ce le bruit mécanique, ce cheminement orienté, sans but véritable, vers un horizon où la lumière peinait à rayonner ? En effet, superposée à ses propres pas, comme fondue en eux, c’était une autre marche qui peu à peu lui revenait – comme si, bizarrement, il avait déjà vécu cette situation, comme s’il était aussi, en cet instant, le jouet d’une mémoire involontaire, non plus tournée vers les faits du passé, de son passé, mais laissant affleurer de tragiques événements à venir. Et cette marche, non plus isolée, errante comme la sienne mais, de ses mots mêmes, rude et massive comme le destin, c’était celle d’un groupe d’hommes foulant l’herbe d’un matin brut, le pas d’une troupe avançant machinalement, dans un fondu de ramures et de bleu, avec la promesse d’un grand fracas.
Il s’immobilisa de nouveau en réprimant un frisson, frotta vivement ses mains engourdies. La morsure de l’air lui procurait une douleur aussi vive que lorsqu’il pensait au jeu dérisoire du hasard sur le cours de sa vie. « Je ne peux pas continuer comme ça ! », fit-il encore, prenant à témoin le vent, les neptunes et les feuilles. L’hiver venait de faire sa première apparition. Une dernière clarté baignait les jardins de Versailles, lui procurant l’envie soudaine de ne plus exister.
Lui, Marvillèse, un patronyme qui ne rendait pas plus compte de ses origines que de son « être profond », ce qui l’amenait le plus souvent à se présenter comme Don Juan, « un homme sans nom ». « Il plut à mon père de ne rien me léguer, pas même un sobriquet ! », avait-il pris l’habitude de répondre comme pour fermer la porte aux indiscrétions. La dérobade avait pour fonction de jeter un écran de fumée sur ce qui le minait. Jamais il n’en dirait davantage. Car, malgré toutes les ébauches, les pochades, les autoportraits inachevés, entassés depuis plus de vingt ans dans ses cartons à dessin, Marvillèse n’était pas parvenu à juguler le monstre. Il préférait s’en remettre à l’opinion commune. Est-ce que le mal dont il souffrait ne résultait pas d’une hypertrophie de l’imagination ? En quoi cela le menaçait-il vraiment ? Après tout, il en avait eu la preuve. Le masque du créateur valait mieux que son chaos. C’était le masque qu’il fallait cultiver. L’ère, d’ailleurs, n’avait jamais été plus somptueusement joueuse, baroque, extravagante. Jamais l’on n’avait mieux su travestir la morne réalité. Renvoyé à lui-même, à ce qui deviendrait la plus torturante de ses ignorances, Marvillèse échangerait, pourtant, chaque fois plus l’apparence contre l’ombre. Au bout du compte, il aurait beau faire, il n’aurait pas plus accès au sens, à la vérité de l’histoire – la sienne était-elle plus ténébreuse que celle des temps ? – que le naufragé qui, par des mouvements anarchiques, s’écarte chaque fois plus de la lueur posée pour lui sur le rivage.
« Elle ne viendra pas ! » Il envoya un coup de pied dans quelque chose de dur dressé sur son chemin, une bogue de marron hérissée comme une griffe. Lui, Eugène Marvillèse, il sentait le froid incisif du petit matin passer sous son veston défraîchi, lui humecter les narines et les yeux, faire gonfler ses mains rugueuses, malgré les longues poches où ils les avait enfouies avec la promptitude d’un gueux.
Il enfonça brutalement ses ongles dans ses paumes refermées. « À qui pourrais-je confier ce dont elles sont cap

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents