Feuillevineuse
185 pages
Français

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Description

Cinq personnages, un manoir de famille au milieu des herbes folles. Au fil des lettres qu’ils s’échangent, tous battent et rebattent les cartes de leur passé, fuient ce qu’ils sont et rejettent sur les autres la responsabilité de leurs choix. On erre alors dans les méandres de la mémoire, des non-dits, des secrets, des chimères.
À l’origine, Flateurville, lieu artistique du 10e arrondissement de Paris, bric à brac d’objets hétéroclites, ancienne usine envahie par des créatures imaginaires.
Sous la plume du collectif Barsacq, Flateurville est devenu Feuillevineuse.

Informations

Publié par
Date de parution 29 juin 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312041193
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Feuillevineuse
Collectif Barsacq
Feuillevineuse













LES ÉDITIONS DU NET 126, rue du Landy 93400 St Ouen
Nouvelle édition

© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04119-3
Ma feuille vineuse

Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de cette flotte composée d’unités rétives, et le temps d’un grain, son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés.


René Char, Sept saisis par l’hiver, dans Chants de la Balandrane .
Première partie
Lorsque l’enfant était enfant,
Il marchait les bras ballants,
Il voulait que le ruisseau soit rivière
Et la rivière, fleuve,
Que cette flaque soit la mer.
Lorsque l’enfant était enfant,
Il ne savait pas qu’il était enfant,
Tout pour lui avait une âme
Et toutes les âmes étaient une.

Peter Handke
J EAN -B APTISTE , F EUILLEVINEUSE
« Oyez, oyez, Mesdames et messieurs, et demoiselles, et damoiseaux… Paroles d’un pauvre bateleur, qui s’arrime à toutes les rives et charrie des histoires… On dit parfois : ‘Vous ne le regretterez pas ! Vous en aurez pour votre argent !’ Ah, je ne connais pas la fibre de vos regrets, et je ne suis pas prophète… Loin de moi donc cette prétention-là, de m’immiscer entre vous et vos amertumes, de me mêler de vos sous, de vos soucis, de vos thunes… Mais venez m’écouter malgré tout ! »
Parfois je leur dis cela. Parfois je leur dis autre chose. Cela dépend. Du lieu, des circonstances, de leurs têtes aussi, si elles me reviennent ou non, bien que j’essaie en général de ne pas en tenir compte, de m’abstenir de tout jugement. Il persiste toujours quelque chose que je ne peux m’empêcher de respirer, un fumet, en quelque sorte, de bienveillance ou d’hostilité, d’intelligence ou de crasse bêtise ; et il se peut que je me trompe… Néanmoins le fumet rentre dans mes pores et s’y installe avec la force de l’évidence. Quand il me dit : basse bêtise, je frémis ; quand il me dit : moquerie, rires gras, persiflages, je me raidis. J’essaie ensuite de contrer ce premier mouvement induit par le fumet, et de rester, malgré tout, pour proposer mes histoires.
Parfois je dis : « C’est par ici ! C’est par ici, et non par là-bas, qu’il faut pousser votre chemin, Mesdames-Messieurs, et vous autres, tous, ni Sieurs ni Dames… C’est par ici, le sac-à-histoires, venez y jeter un coup d’œil de plus près. De loin, on ne voit rien. D’ailleurs le soleil vous aveugle, venez y fourrer votre nez. N’ayez pas peur. Il ne mord pas… Il est tout à fait docile… »
Je ne suis pas sûr en fait qu’il soit si docile (mais il faut bien mentir un peu, pour ne pas leur faire peur). Il y a là-dedans des histoires terribles, des histoires véritablement ahurissantes, mauvaises, qui se tapissent avec tous leurs piquants au-dehors (et tout leur fiel au-dedans) au fond du sac. Mais si je leur disais cela, pour la plupart ils fuiraient de toutes leurs jambes. Non, ce n’est même pas vrai. Si je leur disais cela, de toute façon ils ne le croiraient pas, ils me regarderaient d’un petit air narquois, l’air de dire « cause toujours » ; certains dresseraient l’oreille, intrigués, et s’approcheraient peut-être, mus par une curiosité malsaine ; mais même eux, on peut dire qu’ils n’y croient pas, à la force mauvaise des histoires ; car s’ils y croyaient, ils devraient fuir à toutes jambes, le plus loin possible, courir à tout rompre, s’échapper coûte que coûte. Mais non, ils ont la peau dure, les histoires, c’est bon pour les amuseurs publics ou les gamins, eux cela fait longtemps qu’ils n’y croient plus. Ils diront : « c’est une belle histoire » ou « c’est amusant », ou « c’est triste » ou « c’est terrible, tout de même », et puis ils oublieront tout aussi sec. Ils ne laisseront pas l’histoire les pénétrer jusqu’à la moelle, leur chatouiller le creux des os, se glisser dans toutes les nervures de leur être. Ils n’y croient pas, et c’est assez pour faire que les histoires glissent sur leur chair comme sur la peau luisante d’un serpent.
Parfois je dis : « Venez ! Venez ! Venez donc ! Et laissez venir à vous les paroles d’un conteur, raconteur, griot, affabulateur, tisseur de mots, brodeur d’histoires, tailleur d’intrigues, modeleur de personnages, bâtisseur de villes et sculpteur de lieux, qui a traîné sa bosse un peu partout. N’ayez pas peur, c’est un chat de gouttière qui ne griffe pas, un chien errant qui ne mord pas, au pire il vous crachera des mots à la figure ! Laissez-vous emberlificoter dans les fils de ses histoires ! Messieurs-Dames, ne fuyez pas, surtout, ne passez pas votre chemin ! Les histoires ont un lieu et un habitat, et ce lieu c’est ici, leur habitat ce sac que vous voyez là, et je vais en sortir une… Attention ! Elle frétille ! Prenez garde qu’elle ne s’échappe ! Rapprochez-vous encore un peu… Mais oui, comme ça, le chien ne mord pas je vous dis, ses crocs sont émoussés, les histoires à force d’être remâchées les ont lissés comme la peau d’un nouveau-né… »
C’est que les gens ne s’approchent pas spontanément. Il faut les convaincre, avec force cris et soubresauts, de tendre l’oreille et de prêter un peu de leur temps à l’exercice de l’écoute. Alors je me démène comme un beau diable. Je racole, comme on dit. J’appâte le client. Les pêcheurs préparent leurs vers, mouches, que sais-je, avant de balancer l’hameçon dans les flots. Moi, je travaille mes accroches.
M ARCEL À J EAN -B APTISTE , F EUILLEVINEUSE -L E -B OURG , 4 FÉVRIER
Jean-Baptiste,

Cela fait bien longtemps que tu n’as pas eu vent de moi, à moins que tu n’aies eu quelques nouvelles par Juliette ou Suzanne.
Me voilà de retour à Feuillevineuse. Je suis enfin sorti.
J’imagine que je n’ai guère occupé tes pensées. Tu avais d’autres chats à fouetter. Nous étions tous deux occupés à lécher nos blessures. Maintenant que les plaies ont cicatrisé, nous pouvons repartir sur des bases plus saines.
J’ai entendu dire que tu n’avais pas changé, que tu étais toujours aussi friand des vieux objets. Je me souviens, lorsque nous étions gamins, comme tu faisais parler les sabots usés que nous avions trouvés avec Antoine. Tu leur demandais si les pieds qui les avaient chaussés les avaient bien traités, s’ils n’avaient pas trop souffert d’avoir été à chaque pas de leur propriétaire, projetés violemment face contre terre sur le pavé.
Tu as toujours su communiquer avec les choses mortes pour leur rendre leur âme. Et comme le chercheur d’or, tu as toujours su dénicher la pépite au milieu de la boue, du sable et des cailloux.
Moi, au contraire, les épaves du passé m’entraînent avec elles par le fond. Or, j’ai décidé de faire de la place à la vie.
Alors je te propose un marché qui nous conviendra certainement à tous les deux. Va dans l’atelier, le hangar et le grenier, dans lesquels tu trouveras des monceaux de ces vieilleries. Débarrasse-m’en. En échange, trie, prends, jette, casse, répare, emporte, donne ou vends ce que tu veux du moment qu’il ne reste plus rien.
Je ne doute pas que tu mèneras cette tâche à bien. J’attendrai que tu aies terminé pour pouvoir m’installer. Préviens-moi lorsque c’est fait.
Merci.

Marcel

P.S. Il y a ce juke-box que mon père s’était acheté quand l’invention était sortie. Je pense que cela pourrait amuser P’tit Louis. Donne-lui de ta part.
Si tu vois d’autres objets qui pourraient lui plaire, mets-les de côté. Je sais que tu le connais bien, tu sauras quoi garder.
J ULIETTE À M ARCEL , P ARIS , POSTÉ DE B ERLIN LE 5 FÉVRIER
Cher Marcel,
Le train vient de quitter la gare de l’Est. Les immeubles de banlieue défilent à grande vitesse. Je suis collée à la vitre. C’est beau, ces formes informes, ces couleurs qui se mélangent.
Je pourrais rester des heures comme cela, à regarder les paysages passer. C’est eux qui traversent ma vie. Moi je suis immobile. Je savoure. Voyager c’est prendre le temps finalement, et ce trajet sera long. J’arriverai à Berlin dans huit heures environ. J’ai hâte, Marcel, hâte de me retrouver sur la scène. Je rencontre demain Hans, le patron du club de jazz « Schlot ». C’est un nouveau lieu qu

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