Fort comme la mort
109 pages
Français

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Fort comme la mort , livre ebook

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Description

Olivier Bertin, un artiste peintre renommé, tombe sous le charme de la comtesse de Guilleroy. Il lui propose alors de faire son portrait. Ils finissent par devenir amants et vivent une relation amoureuse secrète...

Informations

Publié par
Date de parution 30 août 2011
Nombre de lectures 163
EAN13 9782820606969
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0011€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fort comme la mort
Guy de Maupassant
1889
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0696-9
Partie 1
Chapitre 1

Le jour tombait dans le vaste atelier par la baie ouverte duplafond. C’était un grand carré de lumière éclatante et bleue, untrou clair sur un infini lointain d’azur, où passaient, rapides,des vols d’oiseaux.
Mais à peine entrée dans la haute pièce sévère et drapée, laclarté joyeuse du ciel s’atténuait, devenait douce, s’endormait surles étoffes, allait mourir dans les portières, éclairait à peineles coins sombres où, seuls, les cadres d’or s’allumaient comme desfeux. La paix et le sommeil semblaient emprisonnés là-dedans, lapaix des maisons d’artistes où l’âme humaine a travaillé. En cesmurs que la pensée habite, où la pensée s’agite, s’épuise en desefforts violents, il semble que tout soit las, accablé, dès qu’elles’apaise. Tout semble mort après ces crises de vie ; et toutrepose, les meubles, les étoffes, les grands personnages inachevéssur les toiles, comme si le logis entier avait souffert de lafatigue du maître, avait peiné avec lui, prenant part, tous lesjours, à sa lutte recommencée. Une vague odeur engourdissante depeinture, de térébenthine et de tabac flottait, captée par lestapis et les sièges ; et aucun autre bruit ne troublait lelourd silence que les cris vifs et courts des hirondelles quipassaient sur le châssis ouvert, et la longue rumeur confuse deParis à peine entendue pardessus les toits. Rien ne remuait que lamontée intermittente d’un petit nuage de fumée bleue s’élevant versle plafond à chaque bouffée de cigarette qu’Olivier Bertin, allongésur son divan, soufflait lentement entre ses lèvres.
Le regard perdu dans le ciel lointain, il cherchait le sujetd’un nouveau tableau. Qu’allait-il faire ? Il n’en savait rienencore. Ce n’était point d’ailleurs un artiste résolu et sûr delui, mais un inquiet dont l’inspiration indécise hésitait sanscesse entre toutes les manifestations de l’art. Riche, illustre,ayant conquis tous les honneurs, il demeurait, vers la fin de savie, l’homme qui ne sait pas encore au juste vers quel idéal il amarché. Il avait été prix de Rome, défenseur des traditions,évocateur, après tant d’autres, des grandes scènes del’histoire ; puis, modernisant ses tendances, il avait peintdes hommes vivants avec des souvenirs classiques. Intelligent,enthousiaste, travailleur tenace au rêve changeant, épris de sonart qu’il connaissait à merveille, il avait acquis, grâce à lafinesse de son esprit, des qualités d’exécution remarquables et unegrande souplesse de talent née en partie de ses hésitations et deses tentatives dans tous les genres. Peut-être aussi l’engouementbrusque du monde pour ses œuvres élégantes, distinguées etcorrectes, avait-il influencé sa nature en l’empêchant d’être cequ’il serait normalement devenu. Depuis le triomphe du début, ledésir de plaire toujours le troublait sans qu’il s’en rendîtcompte, modifiait secrètement sa voie, atténuait ses convictions.Ce désir de plaire, d’ailleurs, apparaissait chez lui sous toutesles formes et avait contribué beaucoup à sa gloire.
L’aménité de ses manières, toutes les habitudes de sa vie, lesoin qu’il prenait de sa personne, son ancienne réputation de forceet d’adresse, d’homme d’épée et de cheval, avaient fait un cortègede petites notoriétés à sa célébrité croissante. Après Cléopâtre,la première toile qui l’illustra jadis, Paris brusquement s’étaitépris de lui, l’avait adopté, fêté, et il était devenu soudain unde ces brillants artistes mondains qu’on rencontre au bois, que lessalons se disputent, que l’Institut accueille dès leur jeunesse. Ily était entré en conquérant avec l’approbation de la villeentière.
La fortune l’avait conduit ainsi jusqu’aux approches de lavieillesse, en le choyant et le caressant.
Donc, sous l’influence de la belle journée qu’il sentaitépanouie au-dehors, il cherchait un sujet poétique. Un peu engourdid’ailleurs par sa cigarette et son déjeuner, il rêvassait, leregard en l’air, esquissant dans l’azur des figures rapides, desfemmes gracieuses dans une allée du bois ou sur le trottoir d’unerue, des amoureux au bord de l’eau, toutes les fantaisies galantesoù se complaisait sa pensée. Les images changeantes se dessinaientau ciel, vagues et mobiles dans l’hallucination colorée de sonœil ; et les hirondelles qui rayaient l’espace d’un volincessant de flèches lancées semblaient vouloir les effacer en lesbiffant comme des traits de plume.
Il ne trouvait rien ! Toutes les figures entrevuesressemblaient à quelque chose qu’il avait fait déjà, toutes lesfemmes apparues étaient les filles ou les sœurs de celles qu’avaitenfantées son caprice d’artiste ; et la crainte encoreconfuse, dont il était obsédé depuis un an, d’être vidé, d’avoirfait le tour de ses sujets, d’avoir tari son inspiration, seprécisait devant cette revue de son œuvre, devant cette impuissanceà rêver du nouveau, à découvrir de l’inconnu.
Il se leva mollement pour chercher dans ses cartons parmi sesprojets délaissés s’il ne trouverait point quelque chose quiéveillerait une idée en lui.
Tout en soufflant sa fumée, il se mit à feuilleter lesesquisses, les croquis, les dessins qu’il gardait enfermés en unegrande armoire ancienne ; puis, vite dégoûté de ces vainesrecherches, l’esprit meurtri par une courbature, il rejeta sacigarette, siffla un air qui courait les rues et, se baissant,ramassa sous une chaise un pesant haltère qui traînait.
Ayant relevé de l’autre main une draperie voilant la glace quilui servait à contrôler la justesse des poses, à vérifier lesperspectives, à mettre à l’épreuve la vérité, et s’étant placéjuste en face, il jongla en se regardant.
Il avait été célèbre dans les ateliers pour sa force, puis dansle monde pour sa beauté. L’âge, maintenant, pesait sur lui,l’alourdissait. Grand, les épaules larges, la poitrine pleine, ilavait pris du ventre comme un ancien lutteur, bien qu’il continuâtà faire des armes tous les jours et à monter à cheval avecassiduité. La tête était restée remarquable, aussi bellequ’autrefois, bien que différente. Les cheveux blancs, drus etcourts, avivaient son œil noir sous d’épais sourcils gris. Samoustache forte, une moustache de vieux soldat, était demeuréepresque brune et donnait à sa figure un rare caractère d’énergie etde fierté.
Debout devant la glace, les talons unis, le corps droit, ilfaisait décrire aux deux boules de fonte tous les mouvementsordonnés, au bout de son bras musculeux, dont il suivait d’unregard complaisant l’effort tranquille et puissant.
Mais soudain, au fond du miroir où se reflétait l’atelier toutentier, il vit remuer une portière, puis une tête de femme parut,rien qu’une tête qui regardait. Une voix, derrière lui, demanda:
« On est ici ? »
Il répondit : « Présent » en se retournant. Puis jetant sonhaltère sur le tapis, il courut vers la porte avec une souplesse unpeu forcée.
Une femme entrait, en toilette claire. Quand ils se furent serréla main :
« Vous vous exerciez, dit-elle.
– Oui, dit-il, je faisais le paon, et je me suis laissésurprendre. »
Elle rit et reprit :
« La loge de votre concierge était vide et, comme je vous saistoujours seul à cette heure-ci, je suis entrée sans me faireannoncer. »
Il la regardait.
« Bigre ! comme vous êtes belle. Quel chic !
– Oui, j’ai une robe neuve. La trouvez-vous jolie ?
– Charmante, d’une grande harmonie. Ah ! on peut direqu’aujourd’hui on a le sentiment des nuances. »
Il tournait autour d’elle, tapotait l’étoffe, modifiait du boutdes doigts l’ordonnance des plis, en homme qui sait la toilettecomme un couturier, ayant employé, durant toute sa vie, sa penséed’artiste et ses muscles d’athlète à raconter, avec la barbe mincedes pinceaux, les modes changeantes et délicates, à révéler lagrâce féminine enfermée et captive en des armures de velours et desoie ou sous la neige des dentelles.
Il finit par déclarer

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