Général Zin-Zin et les étourneaux de Djinn-Djinn
128 pages
Français

Général Zin-Zin et les étourneaux de Djinn-Djinn , livre ebook

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128 pages
Français

Description

"Le génral Zin-Zin était un malade "du tout sécuritaire", et sa démence "de la sûreté sans faille" s'affichait comme des épaulettes sur son uniforme. Des dispositions génétiques trouvèrent leur plein épanouissement dans un esprit dérangé, d'autant plus tourmenté que l'homme était superstitieux. Des croyances d'un autre âge l'agitaient depuis sa naissance. Cela était resté dans sa tête..."

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Informations

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Date de parution 01 mai 2012
Nombre de lectures 28
EAN13 9782296491410
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le général Zin-Zin et les étourneaux de Djinn-Djinn
Mahmoud Turki Khedher
Le général Zin-Zin et les étourneaux de Djinn-Djinn
L’HARMATTAN
© L'HARM ATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96387-0 EAN : 9782296963870
Le général Zin-Zin ouvrit la fenêtre et se pencha dehors comme pour tâter le pouls d’une foule cosmopolite s’activant, pressant le pas, sur les trottoirs, de part et d’autre de la grande allée centrale. On venait de toutes les régions pour faire affaire. Le flot des voitures ne cessait de se déverser sur la prestigieuse avenue de la capitale. Comme d’habitude, les terrasses des cafés étaient noires de monde. Point de narguilé mais des exhalaisons de jasmin, de rêves. Les consommateurs se plaisaient à 1 regarder les banlieusards de la ligne TGM qui desservait les stations balnéaires du Nord. Le va-et-vient était incessant. On se croisait, les uns remontant vers la brise bleue du large et son écume, les autres se dirigeant vers les rues commerçantes et vers le souk de la médina. Le général Zin-Zin promena son regard sur les bâtiments aux façades un peu décrépites. L’usure. Un peu comme le raïs assis sur le trône de l’ancien bey. « L’histoire se répète », se disait-il, comme pour se donner du courage et vaincre une peur qui le tenaillait depuis qu’il s’était mis en tête de s’emparer du pouvoir. Une idée de dingue, mais la tentation était grande et l’occasion unique pour inscrire son nom sur les tablettes de Carthage. Le lendemain serait éminemment, autrement, historique s’il parvenait à occuper le palais de la ville millénaire. Mais pour devenir grand, il fallait oser s’engager dans un boulevard d’incertitudes et s’attaquer à la citadelle. Ce n’était pas Rome mais Monastir quand même. Ne pas la détruire, mais destituer le chef illustre de l’indépendance qui était venu à bout des Gaulois et assigner à résidence son ombre, dans le mausolée même, construit par le 1 Tunis, La Goulette, La Marsa.
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combattant suprême. Grandeur et épopée, gloire et immortalité ! Et si cela tournait mal ? Le général Zin-Zin ne pouvait occulter une telle éventualité. Une idée sombre. Il avait peur d’être pris, emprisonné comme un rat, jugé comme un traître et pendu comme un vulgaire renégat, un minable putschiste. La révolte du pain – et il en savait quelque chose – lui traversa l’esprit. Il avait exécuté les ordres. Les blindés avaient sillonné la ville et les chars s’étaient postés sur la place de la République. Les balles avaient atteint au cœur la famine. On tirait en plein jour. Des hommes étaient tombés pour des miettes. La dictature ne faisait pas l’aumône, un précepte de l’islam, bafoué, ignoré par une autre religion : la politique. Le général, nommé depuis peu ministre de l’Intérieur, ne cessait de gamberger. Il ne tenait plus en place. Ses nouvelles fonctions lui donnaient une réelle possibilité d’agir, de renverser le régime et de s’emparer de la magistrature suprême. Il ouvrit une énième fois la fenêtre. Un épais nuage d’étourneaux se livrait à une dernière curée, nettoyant l’azur du ciel de ses moustiques, de sa vermine. Cela lui rappela les invasions de criquets. Le soleil déclinait très vite. Il était fasciné, ne quittant pas des yeux cette armée volante, réglée comme un métronome, se livrant à une parade de haute voltige, effectuant une approche de son lieu de base : les ficus. Les étourneaux s’abattirent par groupes, dans un boucan abominable, sur des arbres malades, vieillissants, les racines enfouies dans l’humus du protectorat. Puis ce fut le silence. Un calme étonnant dans la nuit qui s’épaississait. Là-haut, le croissant islamique projetait sa lumière crue sur la statue du combattant suprême. Elle ne semblait plus coulée dans du bronze. Le métal avait éclaté sous le feu des prières. Fondues quelque peu, les mains du guide ne tenaient plus fermement les rênes laïques de la nation.
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Soudain, il crut voir un signe du destin. Le ciel lui venait-il en aide en lui offrant les ailes de ces nuées d’étourneaux qu’il voyait évoluer tous les jours dans le ciel, avec une maestria époustouflante ? Voulait-il faire de lui le nouvel Hannibal qui redonnerait son lustre à l’ancienne Carthage ? Il se crut un instant dans la peau du grand stratège carthaginois qui se bâtit une légende en défiant Rome. À défaut de pachydermes, le général Zin-Zin pensa utiliser une armée, à l’image même de ces nuages d’étourneaux voraces, à la présence maligne. Des brigades d’assaut, une artillerie légère, mouvante, prête à intervenir, à régler sur-le-champ tout problème, à contrer toute velléité, à faire taire tout grincement de dents, à écraser toute tentative de subversion. Elle serait d’une impunité totale, le bec dirigé directement vers la fourmilière des hommes, planté profondément dans la chair des gêneurs et des trouble-fêtes, des rabat-joie et empêcheurs de tourner en rond. Elle aurait pour tâche de décontaminer la ruche de la République, de la nettoyer de ses parasites religieux, de ses opposants et de ses résistants, de ses fanatiques et de ses terroristes.
Le général Zin-Zin était un malade « du tout sécuritaire », et sa démence « de la sûreté sans faille » s’affichait comme des épaulettes sur son uniforme. Schizophrène, l’homme de caserne voulait devenir le général « des ruines de Carthage ». Des dispositions génétiques trouvèrent leur plein épanouissement dans un esprit dérangé, d’autant plus tourmenté que l’homme était superstitieux. Des croyances d’un autre âge l’agitaient depuis sa naissance. Cela était resté dans sa tête. La sage-femme qui avait aidé sa mère à le mettre au monde s’était penchée sur lui, longuement, attirée par ses cheveux noirs comme du jais et coupés à la perfection. « Il est né avec une perruque sur la tête », dit-elle. L’événement se propagea à travers les rues de la ville. Les
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femmes de Hammam-S accoururent. Dans le flot des commentaires, les avis étaient parfois partagés, parfois différents. – On dirait qu’il vient de sortir d’un salon de coiffure. – Fabuleux signe ! – Il ne faudrait pas que sa perruque tombe. – Une perruque ne colle pas au crâne. – Elle ne blanchira jamais. – Le petit ange. – Il épousera une coiffeuse pour veiller sur une aussi belle coiffure. 2 – Unehajamadjinn ! – Le divin enfant. – Il vivra une légende. – Sa carrière est toute tracée. – Il sera président. Une voix coupa court aux youyous qui avaient commencé à fuser tout autour du berceau. – Il sera coupeur de têtes ! Les femmes se retournèrent. La folle du village fixait d’un regard de sphinx l’assistance choquée par tant de malveillance et de méchanceté à l’encontre du petit ange. Des savates volèrent à la face de l’ignoble inconsciente, qui partit en courant. Interrogé, le cinglé savant et patron de la ville avait prévenu que, si des événements graves venaient à faire basculer la vie future de l’enfant prodige dans un cauchemar abominable, sa perruque pourrait blanchir au terme d’une semaine. Une réserve qui n’était pas forcément bon signe ! Pour éloigner le mauvais sort, les parents du général, durant sept jours, offrirent le couscous aux pauvres.
2 Coiffeuse.
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Bâtir une légende et instaurer une nouvelle dynastie. Tenter l’aventure, marcher sur Carthage et décrocher le drapeau qui flottait au-dessus du palais présidentiel. Insensé ? Non. Il n’y avait plus qu’un fantôme errant parmi des vestiges. Il appela son fidèle Alloulou, l’homme de confiance, l’aide de camp qui ne demandait qu’à se sacrifier pour lui, pour le porter au pouvoir et écrire une nouvelle page d’histoire. – Oui, mon général. – Tu as vu tous ces étourneaux dans le ciel de la ville ? – Une calamité. – Leur vol m’inspire. – Pour effectuer le hold-up historique. – Ils seront les gardiens du nouveau régime qui s’annonce. Carthage sera protégée par une armée d’oiseaux capables de défilé et de parade, de défi et de gloutonnerie abominable. – Une épée de Damoclès au-dessus des têtes. – Que le destin nous aide, mon cher Alloulou. – Le vôtre sera unique, mon général. – La vieille folle de Hammam-S avait dit que je serais coupeur de têtes. – Alors, on coupera les têtes ! Le général n’arrivait pas à trouver le repos. Il avait travaillé très tard. Le poids de la charge était énorme sur ses épaules. Être l’auteur d’un coup d’État et se voir propulsé à la tête d’un pays étaient des faits exceptionnels, déterminants, dans un sens ou dans un autre, dans la vie d’un officier. C’était jouer à quitte ou double. La crainte était d’autant plus vive, plus difficile à gérer, qu’il ne pouvait revenir sur sa décision. Une reculade pouvait le perdre. Il n’avait d’autre alternative que de réussir ou
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d’échouer. L’épreuve qu’il allait vivre était terrible. Il lui fallait l’affronter, obligatoirement. Garder sa perruque intacte ou se voir condamné à la pendaison. Vaincre ou mourir. Cette dernière perspective l’affola. L’horreur ! Le général s’était finalement assoupi sur son dossier ultra-secret. Il vivait le cauchemar des dés pipés et cela avait tourné court. La situation était désespérée. Il sentit une pression insupportable envahir sa tête. Il plongea lourdement dans les profondeurs de l’abîme du passé, un gouffre de cinquante ans où se répercutait encore l’écho terrible des paroles du saint patron de sa ville natale. « Sa perruque pourrait blanchir en sept jours, s’il n’arrivait pas à maîtriser les événements exceptionnels qui se présenteront à lui. » Sept… Sept… Sept… Un chiffre redoutable, étroitement lié à sa vie, à sa destinée. La redondance finit par le réveiller. Complètement affolé, il se précipita vers le miroir qu’il consultait quotidiennement, à chaque réveil. Il crut voir une manifestation du destin, un signe d’autant plus visible qu’il crut déceler un mal gris naissant dans sa perruque. Elle ne semblait plus avoir la teneur ni la brillance du cirage noir ébène. Le général était hagard, pétrifié. Il avait la foi du charbonnier, vivant avec la hantise de voir sa perruque blanchir en sept jours. Exorciser, conjurer le péril et éloigner le traumatisme d’une transformation physiologique qui le ferait devenir vieillard, en une semaine, avant l’heure. Un mauvais signe. Jamais l’actualité ne parut aussi brutale et la détresse aussi insoutenable. Il devait mener à bien l’opération du coup d’État qu’il préparait dans le plus grand des secrets. Il lui était absolument nécessaire de se décider au plus vite et de porter l’estocade finale. Tergiverser, c’était l’assurance d’un échec, se voir traduit devant une cour martiale puis se trouver devant le peloton d’exécution.
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