Histoires de vieillir
186 pages
Français

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Histoires de vieillir , livre ebook

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186 pages
Français

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Description

Vieillir, est-ce une histoire qui peut se raconter ? Dix-huit histoires de vieillir montrent, avec sensibilité et humour, comment des femmes et des hommes engagent une dernière partie. Ils vivent à la campagne ou à la ville, seuls ou en maison de retraite. Parfois, ils se parlent à eux-mêmes, parfois leurs enfants, leur docteur, leur banquier parlent d'eux. Sympathiques, odieux, lucides, tous vieillissants, chacun livre bataille, chacun cherche et trouve des alliés. Entre fiction et témoignage, ces nouvelles donnent un visage à la vieillesse en ce début de siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2010
Nombre de lectures 38
EAN13 9782296696549
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Histoires de vieillir
Catherine Artous
 
 
Histoires de vieillir
 
 
Entre fiction et témoignage
 
 
L'H ARMATTAN
 
 
 
© L'HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
 
Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
 
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
 
ISBN : 978-2-296-11491-3
EAN : 9782296114913
 
LE COQ
 
 
À Sophie
 
Ce n’est pas si simple de remplacer un médecin de campagne ! D’abord la défiance des adultes : une jeune, une femme, elle va manquer d’autorité sur notre vieux ou notre enfant. Puis, si les adultes sont malades (ce qui arrive malgré tout), comment se laisser examiner par quelqu’un qui pourrait être notre fille. Et le plus difficile, trouver les chemins des hameaux et des fermes quand les repères sont inexistants.
 
Jousse ? La ferme des Jousse ? On lui avait dit : après le pont, le premier chemin à droite, pas la route, le chemin, vous allez jusqu’en haut de la côte et à gauche, vous verrez, c’est indiqué, le Puech Haut, la ferme est là.
 
D’habitude, elle conduisait vite : de vastes champs, pas de haies, la visibilité était bonne et, à quatorze heures, elle commençait les consultations. Ce jour-là, en quittant la départementale, elle vit au-dessus d’elle le piton rocheux et mesura l’épaisseur des bois qui menaient au sommet. Belle campagne, escarpée, sauvage, des bois denses troués d’échappées qui créent un suspense visuel jusqu’au panorama. En haut, plusieurs bâtiments autour d’une place. Elle laissa la voiture sur la place. Vous traversez la place et vous prenez le chemin à l’opposé, vous tournez à gauche, le premier chemin à gauche, jusqu’au bout. Le chemin longeait la crête. Il était large et sec. La roche affleurait par endroits. À gauche, les jardins et les poulaillers des maisons qui ouvraient sur la place, à droite, des prés broussailleux en pente vive. Elle regardait par-dessus les murets les alignements des choux et des rames, les glaïeuls et les hortensias. Des marguerites fleurissaient.
 
Elle entendit un coq chanter. Elle reconnut le chant immédiatement. Il chantait avec persévérance et conviction. Comme les sonneries des réveils, il s’interrompait puis reprenait, encore et encore.
 
En approchant, elle entendit un écho, non pas un autre coq (ni le même qui aurait fait une sorte de canon) mais un écho sans que pourtant le timbre soit identique, un écho. Ce chant ressemblait à s’y méprendre à celui que produisent les dessins animés ou les imitateurs. Seulement, chaque phrase était légèrement différente. Que peut bien dire ce coq en plein milieu de la journée ? Elle savait que les coqs comme tous les animaux sont perturbés par la modification de la lumière terrestre, la nuit a disparu, le soleil ne se lève plus. Les coqs chantent à des heures improbables.
 
Quand elle atteignit le bas du jardin au coq, elle se dressa le long du muret pour le voir. Il était là, au milieu de la basse-cour. Les poules picoraient quelques touffes d’herbes survivantes sans émotion particulière. Il lui tournait le dos. Il tournait le dos au soleil. Il avait un plumage magnifique, un port de tête royal. Il regardait vers la maison. À l’autre bout du jardin, dos au mur de la maison, il y avait un fauteuil d’infirme et, assis dans le fauteuil dont elle distinguait les grandes roues et les longues poignées, un très vieux monsieur avec sa casquette sur la tête. Il faisait face à la basse-cour et regardait le coq. Il se mit à chanter.
 
Quand le vieux monsieur se tut, le coq répondit avec des notes glorieuses et chaudes, il déployait sa gorge et sa crête vers le fauteuil et ce fut le tour du vieux.
 
La ferme des Jousse était juste là, et elle les entendit chanter en traversant la cour jusqu’à ce qu’elle entre dans la maison.
 
MADAME ANDRÈS
 
 
Il était temps : bien au-delà des racines, ses cheveux sont d’un blanc terne, des écailles blondâtres collent à leurs extrémités. Elle a pris rendez-vous pour la coiffeuse. La coiffeuse vient une fois par semaine, il faut prendre rendez-vous. Dans dix jours, a dit l’employée qui tient le cahier.
 
Elle est à sa place, le dos au couloir, balayant du regard l’espace qui se remplit de fauteuils roulants. La coupe tient, elle retrouve sa tête grâce à la crème vitaminée qu’elle utilise tous les jours. Blonde, blond eau oxygénée, depuis qu’elle a pu les décolorer elle-même. Pas quand elle s’est mariée, châtain frisé comme une paysanne malgré la robe d’organdi. Blonds toujours, courts, effilés sur la nuque. Elle sait ce qu’elle veut. L’employée a dit Jeudi.
 
Madame Andrès notait deux fois par jour ce qu’elle faisait. À chaque page, un jour, une date : son carnet - ciel clair, piqué de nuages duveteux. Dumont est venu à onze heures, resté jusqu’au repas. Une lettre de Mathilde : elle va venir.
 
Elle tâta les accoudoirs du fauteuil pour vérifier : les deux sacs avec les lunettes, le carnet, le livre, les stylos bille, les mouchoirs en papier, la trousse en tissu dont les motifs rappelaient ceux de la Dame à la licorne qu’elle adorait. Elle vit surgir le mur blanc, la tapisserie sombre, la salle de séjour de sa maison. La trousse, le peigne, le miroir, la pince à épiler, le rouge à lèvres ; plus de fard à paupières, ses yeux étaient trop irrités. Elle ouvrit le carnet, relut la page de la veille et chercha le bic bleu et le bic rouge.
 
Les résidants étaient roulés tous les matins jusqu’à une grande salle panoramique. De petites tables de quatre étaient disposées dans le vaste espace, des fauteuils le long des fenêtres -pour ceux qui pouvaient circuler de leur table au fauteuil. De l’autre côté du ravin, toute la ville se dressait : ses églises, ses écoles, son séminaire, ses remparts. Les visiteurs disaient : quelle belle vue ; les résidants n’étaient pas toujours en état de donner leur avis ; le personnel trouvait commode le vaste parking à l’écart de la ville ; la navette (pour les visiteurs et quelques rares pensionnaires) partait quand elle était pleine.
 
– Monsieur Pichon, monsieur Pichon, votre journal !
 
Madame Rémi le déplia devant monsieur Pichon. Il était dix heures trente, le repas serait servi à douze heures et monsieur Pichon était assis immobile sous son chapeau orné d’un ruban plus foncé. Ses grandes mains étaient posées devant lui, immobiles, les ongles bien formés, bombés. On voyait ses pantoufles fourrées, neuves ; il ne s’en servait pas pour marcher. Le bord de son slip de coton dépassait entre les bretelles de son pantalon et les boutons de son gilet gris étaient mal attachés. Il n’avait probablement pas entendu : elle secoua le journal puis lui donna une tape sur l’épaule :
 
– Hé ! Monsieur Pichon ! Alors, on dort ?
 
À travers l’écran déformant et sale de ses verres, monsieur Pichon la regarda ; elle tapota du doigt le journal :
 
– Là ! Monsieur Pichon, là ! Ça se passe là !
 
Elle jeta un coup d’œil à madame Andrès et à madame Perrotti. Il n’y avait que trois résidants à cette table parce que madame Perrotti ne cessait de s’agiter sur son fauteuil, un fauteuil beaucoup plus complexe que les autres, dossier plus haut, accoudoirs formant barrières, et, rabattu sous le siège, un troisième élément qui devait s’allonger en forme de lit. Madame Perrotti était attachée à son fauteuil par une ceinture souple, elle se penchait à droite et à gauche sur les mécanismes, passait une vitesse, accélérait, agitait les pieds, tournait le volant avec un bruit de moteur.
 
– Ça y est ! J’y vais, je pars ! Mon gars l’a conduite chez le garagiste… Dans la pente, ça va, mais en haut de la côte, rien, plus rien.
 
Tout était normal, aussi madame Rémi, la plus mince des soignantes, entra-t-elle dans le bureau préparer les médicaments.
 
Mademoiselle Ida allait arriver à quatorze heures. À la résidence, elle ne soignait personne ; elle était une sorte de dame de compagnie ; bouclée, fardée, rouge des ongles assorti à celui des lèvres. Madame Rémi la regardait de haut : elle n’avait pas de compétence. Quant à mademoiselle Ida, elle désapprouvait souve

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