Il y a longtemps que je t'aime

Christiane Charvet Bernard

Description

Rescapé d'une enfance morose marquée par la perte d'un frère jumeau, la violence d'une mère et la lâcheté d'un père, marié sans passion, Thierry Levesque a anesthésié sa
détresse en s'enfermant dans le tombeau insipide de sa vie professionnelle.
Au cours d'une mission en Inde, il se trouve confronté à un monde si étranger à celui qui avait été le sien que tous ses sens en sont brutalement ranimés. En plongeant avec lui
dans cet inconnu entre rêve et réalité, on suit sa tumultueuse recherche du frère perdu.

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Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 07 janvier 2019
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782140109638
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

Christiane CharvetBernard

Il y a longtemps que je t’aime Roman

/ Littérature

Rue des Écoles

IL Y A LONGTEMPS QUE JE T ’ AIME

Rue des Écoles La collection « Rue des Écoles » est dédiée à l’édition de travaux personnels, venus de tous horizons : historique, philosophique, politique, etc. Elle accueille également des œuvres de fiction (romans) et des textes autobiographiques. Déjà parus

Albaterra (François),Les fausses routes du siècle, roman, 2018. Bitaine de la Fuente (Marie-Thérese),Horizons tremblés, nouvelles, 2018. Kalifa (André),Histoire de Samuel. Entre l’Algérie et la France, récit, 2018. Robène (Laurent),La chambre de derrière. Pechbonnieu 1940-1944, 2018.

Astier (Soline),Loukoums sanglants, roman policier, 2018. Abeille (Franck),Chroniques d'un mouzoungou enRépublique démocratique du Congo,récit, 2018. Arlet (Jacques),Le siècle de Jean et Marie, récit, 2018. Arnaud (Gilles),Résonance madrilène, roman, 2018.

Pardini (Gérard),Et le vent me traversa, roman, 2018. Perthuis (François-Xavier),Blessures, roman, 2018. Becquet (Alain),Jusqu’à ce que la vie…, roman, 2018. Mencès (Marianne),Les exils contrariés, roman, 2018.  Ces douze derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le site www.editions-harmattan.fr

Christiane Charvet-Bernard Il y a longtemps que je t’aime Roman

© L’H ARMATTAN , 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr/ ISBN : 978-2-343-16467-0 EAN : 9782343164670

CHAPITRE I

Il a le front pressé contre le hublot et l’estomac noué par la crainte. Lorsque, quelques mois auparavant, monsieur Bartoldi, son directeur, lui a proposé cette mission d’étude en Inde, il a accepté avec un tel élan qu’il a répondu oui sans y avoir réfléchi, mais dans les semaines qui ont suivi, la peur qu’il a sentie monter en lui était à la mesure de cette force incoercible qui l’entraînait vers l’inconnu. Pour se rassurer, il s'est efforcé de convaincre sa femme de l'accompagner. Elle a refusé. Il aurait dû ne pas y attacher d'importance, se satisfaire de son refus. Il n'a pu cependant s'empêcher d'insister : – Tu ne veux vraiment pas venir avec moi ? – Je t'ai déjà dit non, soupirait Mathilde d'une voix qu'elle voulait conciliante, mais qui trahissait son agacement. – Je ne te comprends pas. Je te propose un voyage fabuleux, dans un pays de rêve. Toutes les femmes voudraient être à ta place ! – Je ne prendrai jamais l'avion, j'en ai trop peur. – De quoi as-tu donc peur ? – Je t'ai dit non. Elle était peut-être sincère. C'était peut-être vraiment la peur de l'avion qui la paralysait, ou la peur de perdre ses repères. Son monde seul l'intéressait et son monde c'était son mari, ses parents, ses beaux- parents, ses voisines avec qui elle entretenait des relations faites d'altercations, de ruptures, de réconciliations, qui auraient pu paraître houleuses si elles ne s'étaient pas toujours déroulées selon le même rituel. Il a décollé par un temps maussade et, depuis son départ de Paris, il a d'abord survolé une mer de nuages, floconneuse, hermétique, qui l'isolait de la terre. À présent, ce mur de mousse opaque se déchire. Le tapis bleu de la Méditerranée, que des frémissements violets, argentés ou émeraude tordent lascivement, s'enroule autour de petits îlots où le vert sombre des pinèdes le dispute au blanc éclatant des maisons, au rouge ou au parme des bougainvilliers.

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– C'est tellement important pour moi de lier l'une à l'autre mes deux mères patries ! Cela fait des armées qu'avec Changdev, mon beau-frère, nous rêvions de travailler ensemble ! Étant tous les deux dans la soie, cela aurait été dommage de ne pas en profiter ! Je n'aurais pas cru que j'aurais eu autant de mal à persuader le conseil d’administration ! s’exclame dans son dos monsieur Bartoldi. Il se retourne et regarde son directeur replier le dossier qu'il vient d'étudier, quitter ses lunettes, les glisser dans la poche de sa chemise et sourire d'un air heureux. Discrètement, il jette un coup d’œil à sa montre. Il a encore cinq heures à patienter. Il épie les bruits du moteur, cherche dans ce ronronnement continu, routinier, les signes précurseurs d'une catastrophe. – N’est-ce pas Thierry ? Il sursaute. Monsieur Bartoldi, bonhomme, hoche la tête : – Ces voyages en avion endorment toujours un peu. Mais ne parlons plus de travail ! Je vous laisse regarder le paysage. Cela en vaut la peine, nous sommes en train de survoler l'Égypte. Sous leurs pieds, toutes les nuances de l'ocre se marient, se distinguent, se fondent, créent des fantasmagories de formes échevelées et aussitôt dissoutes. Il n'y a pas de routes, mais des colonnes humaines, lignes en pointillés, y implantent un relief. Fasciné, il regarde se nouer et se défaire sans raison apparente ce lacis de brun, de rouge et de jaune à perte de vue. Jusque-là, il avait imaginé le désert comme un vide incolore que le soleil écrase, comme un lieu minéral privé de mouvements et d'existence. Il est surpris de découvrir ce jaillissement de couleurs dans la lumière, cette symphonie de tons qui s'élèvent comme un hymne ardent à la vie. – Nous allons bientôt survoler des pyramides ! Nous y avons fait notre voyage de noces avec ma première femme. Une croisière sur le Nil ! C'était féerique. Depuis, j'y retourne au moins une fois par an, dit, par-dessus son épaule, Georges Roux, l’attaché commercial. Pour la première fois depuis le décollage, Thierry sent poindre en lui un frisson de curiosité, d'exaltation peut-être. Enfant, il a été fasciné par ces Dieux étranges à têtes d'animaux qui se nommaient

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Isis, Osiris, Anubis. Il a rêvé de ce pays mythique où la nature et l'homme se mêlent étroitement. L’Égypte était la première escale du tour du monde qu'il avait projeté. Insidieusement, sans qu'il en ait conscience, ses études l'ont détaché de la vie. Son diplôme obtenu, il s'est retrouvé marié sans l'avoir vraiment souhaité. Son voyage de noces a consisté en une semaine à Noirmoutier, chez la tante de Mathilde. Durant trois jours, ils y ont essuyé une tempête et ont passé la plus grande partie de leurs journées devant la télévision. Sa joue presque contre la sienne, Georges Roux parle encore : de sa première femme intelligente, mais capricieuse qui a fait enrager tout le personnel du navire, de la vénalité des guides qui leur faisaient visiter les monuments, de leur voisin de cabine qui a eu une crise d'épilepsie devant leur porte. Son haleine forte de bon vivant et de fumeur, sa voix aux accents suraigus sécrètent une nasse de sons pénibles et d'odeurs répugnantes. Pour s'en dégager, il se penche davantage du côté du hublot. La masse d'une pyramide émerge lentement comme une émanation de la terre. Ses lignes droites, ses angles, sa géométrie absolue sont un véritable défi à ce lacis de rondeurs, de courbes sans but, de formes étranges qui l'ont engendrée. Sa tête pointée vers le ciel semble proclamer : "Ici est la main de l'homme". Tout converge vers cette main. Elle devient le départ et le but de chaque vague brune, elle ordonne le désordre, le soumet à ses arêtes. La tête contre le dossier de son siège, monsieur Bartoldi s'est endormi. Il a gardé la bouche légèrement ouverte ; ses mains abandonnées sur ses cuisses semblent figées dans un geste inachevé. Thierry s'installe à son tour commodément et ferme les yeux, contraignant ainsi Georges Roux à reprendre sa place et à se taire. Il a peu dormi la nuit précédente. Sa femme l'a accompagné jusqu'à Paris. Ils ont passé la soirée chez une sœur de Mathilde. Le repas a été bruyant et pénible. Il supporte mal les criailleries de ses turbulents neveux et plus mal encore les altercations incessantes de son beau-frère et de sa belle-sœur qui, à tour de rôle, le prennent à témoin de leurs différends.

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