Instants de voix
190 pages
Français

Instants de voix , livre ebook

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190 pages
Français

Description

Pourquoi Beau Stillwater, après une intervention réussie au-dessus de l'Irak, déclare-t-il au psy de service qu'il veut retourner à Bagdad ? Pourquoi celui-ci le laisse-t-il filer ? Pourquoi, après la vingt-septième nuit de ramadan, une maisonnée vit-elle des moments inhabituels de paix et d'harmonie ? Voilà le genre de questions que posent les événements les plus simples que nous vivons, quand nous nous donnons la peine de les décrire et de les expliquer.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2012
Nombre de lectures 14
EAN13 9782296503502
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Instants de voix
Lettres du monde arabe Collection dirigée par Maguy Albet et Emmanuelle Moysan VLADIMIR,Le Nain amoureux, etc., Nouvelles, 2012. Sami AL NASRAWI,La récompense, 2012. Mokhtar SAKHRI,L’illusion d’un espoir romain, 2012. Ahcène AZZOUG,Le destin sans frontière, 2012. Gérard BEJJANI,La parenthèse, 2011. Abdelkader BENARAB,La bataille de Sétif, 2011. Mohamed ARHAB,Les Aumônières de Dieu, 2011.Ridha SMINE,Tout lecteur est un ennemi, 2011. Sami AL NASRAWI,Fissures dans les murailles de Bagdad, 2011. Fouzia OUKAZI,L'Âge de la Révélation,2011. Rachida NACIRI,Nanna ou… les racines, 2011. Abdelaaziz BEHRI,Moha en couleurs, couscous light et autres récits…, 2011. Myriam JEBBOR,Des histoires de grands, 2011. Moustapha BOUCHAREB,La troisième moitié de soi, 2011. Ahmed-Habib LARABA,L’Ange de feu, 2011. Mohamed DIOURI,Chroniques du quartier, 2011. Nadia BEDOREH FAR,Les aléas de ma destinée, 2010. Sami Al Nasrawi,L'autre rive, 2010. Lahsen BOUGDAL,La petite bonne de Casablanca, 2010. El Hassane AÏT MOH,Le Captif de Mabrouka,2010. Wajih RAYYAN,De Jordanie en Flandre. Ombres et lumières d'une vie ailleurs, 2010. Mustapha KHARMOUDI,La Saison des Figues, 2010. Haytam ANDALOUSSY,Le pain de l’amertume, 2010. Halima BEN HADDOU,L’Orgueil du père, 2010. Amir TAGELSIR,Le Parfum français, 2010. Ahmed ISMAÏLI,Dialogue au bout de la nuit, 2010. Mohamed BOUKACI,Le Transfuge, 2009. Hocéïn FARAJ,Les dauphins jouent et gagnent, 2009. Mohammed TALBI,Rêves brûlés, 2009. Karim JAAFAR,Le calame et l’esprit, 2009. Mustapha KHARMOUDI,Ô Besançon. Une jeunesse 70, 2009. Abubaker BAGADER,Par-delà les dunes, 2009. Mounir FERRAM,Les Racines de l’espoir, 2009.
Hocéïn Faraj Instants de voix L’HARMATTAN
© L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96438-9 EAN : 9782296964389
LE NOËL DE BEAU STILLWATER
Beau Stillwater ne comprenait pas. Tout s’était si bien passé. Sans un seul accroc. Il ne comprenait pas d’où venait subitement son malaise. Malaise, le mot était trop fort. Il ne s’agissait pas exactement de cela. Plutôt une gêne indéfinie, un pressentiment qu’il n’arrivait ni à saisir, ni à chasser. Il était en parfaite santé. Le médecin de bord l’avait examiné juste avant qu’ilne reprenne l’hélico. Un examen de routine, obligatoire: les garçons devaient revenir au pays sains et saufs. Aucune négligence n’était permise. Le praticien l’examinait: Beau se sentait en pleine forme. Il n’était pas loin de penser que les règlements étaient excessifs. Pourquoi passer son temps à surveiller sa santé? Il n’avait rien, bien entendu. Au moindre doute, il aurait été orienté immédiatement sur un laboratoire bourré d’ordinateurs et de scanners. Lesmédecins ne l’auraient « lâché dans la nature», comme ils le disaient, qu’après des tests aussi nombreux que fatigants. Peut-être, se disait Stillwater, ces praticiens nous considèrent-ils comme des fauves aux pathologies sournoises qui peuvent apparaître à n’importe quel moment.Il était bien. Il était heureux. Très heureux. L’interventions’était déroulée dans les délais prévus, pas un jour de plus. Les chefs l’avaient annoncé et promis: Oui, les gars, vous serez rentrés pour les fêtes. Sur le moment, il avait douté de ces affirmations. Les interventions, il commençait à en avoir une sacrée habitude. Un phénomène aléatoire. À la limite, on savait
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l’instant précis où elles commençaient même si l’annonce se faisait parfois sans ménagement. Il avait été réveillé par un coup de téléphone en plein sommeil. Destination : la Base, directement, puis un vol de nuit qui lui avait fait traverser les States et l’Atlantique, une escale à Francfort, le temps de prendre un café, debout devant le comptoir, avec pour compagnons, une dizaine de passagers silencieux et pressés. Boire un café était pour Beau Stillwater une habitude qu’il avait prise à l’université, avant d’affronter un examen. Plus tard, elle était devenue un rite qu’il pratiquait régulièrement, à la Base, avant de se lancer dans un nouvel exercice ou d’essayer un nouvel appareil. Beau s’était découvert une «règle » dont il ne parlait à personne. Ni à ses camarades, ni à Jane son épouse, encore moins à ses amis qui se seraient certainement moqués de lui s’ils avaient appris que pour rien au monde, il n’aurait manqué le «café avant l’épreuve». Cette pause, innocente et obligatoire, banale et régulière, devant le comptoir d’un mess ou d’un bistrot, avait une importance extrême: elle lui portait chance.Il s’en était persuadé en pensant aux footballeurs qui se signaient avant de shooter un penalty, aux skieurs de haut vol qui fermaient les yeux avant de quitter le tremplin. À Francfort, au milieu de ces voyages qui s’enchaînaient sans rupture nuit et jourjusqu’au point d’arrivée, il s’agissait avant tout de se prouver qu’il ne vivait pas un rêve. L’escale en Allemagne n’avait duré que quelques minutes. Il n’avait pas eu le temps d’avaler la dernière gorgée du café qui fumait encore dans la tasse de porcelaine (il aurait voulu connaître la maison qui fabriquait un objet si délicat pour un achat qui faisait partie de ses habitudes : Jane raffolait des services en porcelaine et le suppliait à chaque départ de ne pas l’oublier).Il n’avait pas eu le loisir de s’informer auprès du garçon: déjà on les embarquait dans une fourgonnette, qui roula à la vitesse réglementaire jusqu’au bout d’une piste située très loin des halls d’entrée. Un autre avion attendait. Cinq heures encore avant d’atterrir
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sur une base queStillwater ignorait et dont il n’avait pas envie de connaître le nom. Un hélico les avaient soulevés au-dessus de l’océan pour les déposer au petit jour sur le porte-avions. Le boulot avait repris.Business as usual.
Si, par un coup de fil ou par un alerteur qui descendait en courant d’une jeep de l’État-major, on avait la chance d’apprendrequandopérations commençaient, on ne les pouvait se fier à personne pour prédirecommentetquandelles se termineraient. Trop d’impondérables. La météo (ce que Beau appelait l’humeur du ciel), les décisions des politiques (un autre type de météo, qu’il n’arrivait pas à saisir ouà interpréter malgré les explications que lui fournissait son ami Doc, lequel connaissait desgens spécialisésilWashington ;  à était introduit dans les milieux de la télé) et puis le reste, tout ce qui pouvaitfaillirou vous fairetrébucher: une machine qui tombe en panne, un ordinateur qui se bloque, une fausse manœuvre, un oubli, les changements de l’opinion internationale (les chefs, sanstrop l’avouer, étaient sensibles à ce type de danger), le succès ou l’échec d’une campagne de presse, malgré toutes les précautions que l’on prenait de haut en bas de la hiérarchie pour éloigner ces maudits journalistes ou les informer à « titre préventif », comme s’il fallait guérir le mal par le mal.
On avait expliqué ça à Beau Stillwater, à lui et à ses collègues, mille et mille et une fois :à l’école, dans les stages, dans les briefings. Ils devaient être toujours prêts à faire face aux événements, à exécuter les ordres des supérieurs, frais et dispos pour agir ou attendre, démarrer au quart de tour pour unemission, n’importe laquelle, sur n’importe quel point du globe. L’Amérique était un pays tellement grand, tellement puissant qu’elle avait, par lades choses, des force responsabilités planétaires. L’Amérique, Beau en était fier, avait la charge de l’univers: garantir la paix, assurer la sécurité du commerce, défendre la démocratie, explorer l’espace, un immense programme pour un immense pays, une tâche si importante, si difficile que finalementseuls les
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Américains étaient capables de l’accomplir, ce boulot de gendarme universel, comme le disaient avec une nuance de dépit et peut-être d’envie, les hommes politiques européens, lesquels, d’après Doc,se consolaient pas de la perte de ne leurs empires.
Les moniteurs, eux, ne se hasardaient pas dans ces considérations beaucoup trop générales. Ils se contentaient d’expliquer qu’un «professionnel », un « vrai » ne pouvait se plaindre de faire des patrouilles dans des endroits dangereux, d’être réveillé en pleine nuit, d’enfiler l’uniforme à l’heure où les braves gens dorment tranquillement, en pyjama ou en caleçon ou à poil, entre deux draps, près d’une femme qu’ils aiment ou n’aiment plus. Lui, Beau Stillwater, eux, ses compagnons, étaient des gendarmes ou des flics, peu importe comment il vous chantait de les appeler, à la seule différence qu’au lieu de surveiller un petit morceau des States, à la ville ou à la campagne, à New York ou dans la Californie, dans un district bourré de Noirs ou un comté peuplé de cow-boys, ils gardaient une partie du monde. Dans le cas présent, c’étaitun morceau stratégique, coincé entre l’Iran et le Koweït, dangereux, malgré les deux zones d’exclusion aérienne qui dessinaient sur la carte deux bandes de sparadrap sur un furoncle prêt à éclater, un Irak qui risquait de s’enflammer et de brûler ses voisins pour un oui ou pour un non. Cette région était vraiment gâtée : des peuples imprévisibles, des dirigeants paranos, des sous-sols qui regorgeaient de pétrole, des conflits qui dataient de la préhistoire et, pour achever le tableau, des religions qui enivraient les peuples mieux qu’une drogue.
Les chefs, ses chefs à lui, Beau Stillwater les admirait beaucoup. C’étaient des gens exacts, précis, qui savaient tenir compte des aléas dans leurs prévisions. Pour eux, une intervention devait être analysée et préparée simplement, méthodiquement, comme s’il s’agissait de nettoyer la cour d’honneur et le parc, d’astiquer un hangar ou unréfectoire, de briquer un avion et un insigne, toutes ces besognes
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simples et domestiques que l’on doit se coltiner avant la visite d’un général. Pour une manœuvre, un exercice de nuit, une campagne militaire ou la gestion quotidienne, pour la guerre ou pour la paix, les chefs suivaient pas à pas les mêmes étapes d’un protocole qui avait été étudié, testé, validé et consigné. Consigné parécrit.Cette fois-ci le protocole avait été appliqué d’un bout à l’autre.Avant les fêtes, comme les chefs l’avaient dit et promis, Beau était de retour chez lui.Avantles fêtes,alors qu’il ne s’y attendait pas. On avait poussé le chic jusqu’à lui offrir, à partir de Francfort, la classe affaires sur une ligne régulière. L’uniforme était rangé au fond du sac, sa feuille de route pliée en quatre dans la pochette de sa chemise. Beau Stillwater se sentait déjà chez lui dans cet avion aux parois claires et aux lumières tamisées, où les passagers étaient pour la plupart des touristes qui se dépêchaient de rentrer chez eux avant Noël, en se racontant leurs aventures dans ces pays européens, étranges et minuscules, dont les capitales, malgré toute leur bonne volonté, n’atteindraient jamais la taille des cités de la côte Ouest et les villages, la simplicité des villes du Middle-west. Les hôtesses parlaient avec l’accent de New York, et vous servaient un café, léger, opalescent, du vrai café dans un vrai bol, ce qui vous changeait des liqueurs qu’on buvait en Europe dans des tasses minuscules qui refroidissaient entre le percolateur et le comptoir. Rien à voir non plus avec ces sirops que les gargotiers du Moyen-Orient faisaient mijoter des heures entières sur des braseros et daignaient vous servir une fois qu’ils avaient terminé leur conversation avec un passant. Still, comme l’appelait Doc, son ami médecin qui officiait à la Base, avait eu l’occasion de voyager autour de la Méditerranée, des permissions très courtes, au Caire ou à Tunis ou encore à Palerme, des occasions de faire le plein de bibelots, que Jane avait la patience de ranger sans détruire l’harmonie de leur home. Jamais très longues ces tournées en terre ferme, les chefs
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veillaient à ce que les « garçons » ne prennent pas de risques. Dès qu’un Américain sortait du pays, il devait savoir qu’il affrontait des risques. Des risques que les chefs avaient mesurés et codifiés. En Europe, rien à craindre ou presque, ailleurs, le « taux de risque » augmentait et variait en suivant des bandes compliquées qui traversaient les continents, l’Afrique, l’Asie et le l’Amérique latine. Pour retrouver un risque minimum, il fallait aller au bout du monde jusqu’en Australie ou en Nouvelle-Zélande.
Sur le porte-avions, il avait retrouvé ses compagnons. Il ne parlait pas beaucoup. Pourtant il était très populaire. Peut-être bien parce qu’il était taciturne de nature et surtout parce qu’il savait se taire au bon moment, maintenir une distance entre lui et eux, naturellement, sans se forcer. Il ne les méprisait pas, loin de là :c’étaient des gens compétents et serviables, qui avaient beaucoup de mérite à vivre sans se heurter dans la promiscuité d’un porte-avions et ce, en accomplissant jour après jour, avec le même détachement, le même sang-froid, la même bonne humeur, des manœuvres d’autant plus épuisantes qu’elles relevaient de la routine à l’état pur: la plupart du temps, il ne se passaitrien. Surveillance totale et permanente, obligatoire et absolue, dans un ciel vide et pur où passaient de légers nuages qui n’amenaient jamais de pluie, de simples flocons inutiles et dansants auxquels se mêlaient les traînées que laissaient les réacteurs des avions de ligne, des engins que l’on avait prisla peine d’annoncer, d’identifier et de suivre jusqu’àcequ’ils disparaissent de la zone de contrôle. Une observation systématique à 360°, un cercle infiniment recommencé par des radars impassibles dont les écrans brillaient nuit et jour dans la pénombre des salles d’écoute. Un océan où la moindre embarcation était repérée avant qu’elle ne prenne le large. Beau plaisantait avec ses compagnons en disant que les vigies connaissaient l’âge du capitaine avant que n’apparaisse, au bord de l’horizon, l’étrave des cargos chargés de containers empilés sur le pont comme les étages d’un
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