J irai mourir à Odessa
35 pages
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J'irai mourir à Odessa , livre ebook

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Description

Odessa : ville ukrainienne au bord de la mer Noire, mais surtout ville mythique que les Russes idéalisent depuis toujours... Viviane Campomar s’empare de ce rêve-là pour nous entraîner dans un voyage entre les années 70 et aujourd’hui, et entre l’Union Soviétique, l’Allemagne de l’Est, Paris, et une Odessa résolument contemporaine... Une Odessa entre réel et imaginaire, au coeur d’un tourbillon de danse, de musique, de poésie, de peinture. Dans ces sept nouvelles, l’autrice pose un regard amusé sur une galerie de personnages savoureux qui se jouent de la réalité et sur les petits travers de sociétés prises dans la folie de l’Histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782366511352
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Titre
Viviane Campomar
J’irai mourir à Odessa
nouvelles



 
à Catherine, ma tsarine
à Irina Alexeev
 
 
 
Toute ressemblance avec des personnes réelles n’est pas fortuite, mais quand des personnages s’emparent de leur histoire…


Le Domovoï
Alliocha avait enfin accepté que nous partions en voyage de noces. Il était temps : cela faisait deux ans que nous étions mariés. Si nous attendions encore deux ans, nous serions bloqués à cause des Jeux olympiques. Moscou s’y préparait déjà avec fébrilité et incitait tous les Moscovites à l’euphorie. Les petites broches avec des Michka, 1980 représentant l’ours dévot accroché aux cercles des Jeux étaient déjà en vente dans les kiosques, à la place de nos Taras Boulba et de nos Dourak , nos idiots traditionnels. Le gouvernement envoyait dans tout le pays des messages subliminaux d’apaisement, fallait-il s’en méfier ou y prêter une oreille indulgente, avec le monde occidental qui braquait sur nous un regard optimiste et bienveillant, notre Soïouz lustrait son image. En tout cas, nous avions pu obtenir notre autorisation de déplacement sans aucune difficulté.
Pour Odessa c’était encore raté. J’aurais bien aimé, mais Alliocha m’avait fait comprendre que j’étais trop exigeante, qu’à demander l’ours je n’aurais que la peau. Je crois plutôt qu’il n’avait pas envie d’entreprendre un trajet en train de plus de vingt-quatre heures, il est un peu trouillard et casanier. Si je n’avais pas insisté, nous aurions continué à arpenter la campagne aux alentours de Moscou, les bois, la plaine, les collines avec nos skis sur les épaules l’hiver, le monastère de Zagorsk dès le printemps, où l’air de rien, Alliocha ferme les yeux pour une petite prière et adresse des signes de connivence aux popes gardiens du lieu, sait-on si ça ne va pas servir un jour, se justifie Alliocha. Il a fini par écouter un collègue qui lui conseillait la région de Kalouga, à trois cents kilomètres de Moscou, avec ses datchas bon marché au seuil des forêts de bouleaux, tu verras, l’a instruit le collègue, en juillet, les jardins foisonnent de framboisiers, de cassis et de groseilliers. Nous n’en sommes pourtant pas privés, des iagody , ces baies noires rouges blanches que vendent les vieilles babas mal fagotées à chaque coin de rue à Moscou, c’est bien une des rares denrées abondantes en été.
Et voilà – Kalouga. De la ville nous avons pris un car pour Iatskoïe, et notre présence éveilla la curiosité de tous les voyageurs – des babouchkas à fichu pour l’essentiel.
—Mais qu’est-ce que vous allez faire là-bas ?
—Personne ne s’y rend jamais, à part frotti-frotta, ah ! rendre visite à sa sainte lignée.
—C’est un vrai trou. Pourquoi choisir Iatskoïe pour des vacances ?
Je percevais une certaine hostilité, ou, plus exactement, une disposition de toutes ces grand-mères à se replier sur leur monde très fermé. Nous, les Moscovites, ne faisions pas partie de leur Russie.
—Et vous allez loger chez qui ?
—Dans une maison que Konstantin Pavlovitch nous loue.
—Konstantin Pavlovitch ? Jamais entendu parler.
Les babouchkas se mirent alors à zonzonner, à s’agiter, à échafauder entre elles de multiples hypothèses sur cet individu possédant voiture et datcha. Je crus bon de rajouter que le logement se situait en pleine nature, à cinq kilomètres du village, et que notre locateur nous y conduirait en voiture.
—Ce n’est tout de même pas sur la route de la Poliana ? s’inquiéta l’une des grand-mères.
—Si, justement, c’est bien sur la route de la Poliana, confirma Alliocha en toute innocence – il ne percevait rien de l’animosité croissante à notre égard.
Une ombre d’effroi passa dans les regards, les murmures se firent inaudibles, les babouchkas se figèrent sur leurs sièges et se détournèrent. Nous étions brusquement devenus indésirables. Seule la baba assise à notre hauteur, plus jeune que les autres, bourdonna à voix haute, en fixant le siège devant elle :
— Bojé moï , ce n’est pas une bonne idée. Ce n’est pas une bonne idée. Bojé moï .
Bojé moï , Seigneur Dieu, la voix creuse, les lèvres violettes.
Le trajet nous parut interminable, d’autant que le dégel, au printemps, avait dû particulièrement abîmer la route. À l’arrivée, les passagers s’égaillèrent avec la discrétion des samizdats. En fuyant mon regard, notre voisine de voyage me glissa : « N’allez pas à la Poliana, la maison est hantée. » Je n’eus pas le temps de commenter, elle avait disparu. Alliocha, bien sûr, n’avait rien remarqué. Je balayai d’un haussement d’épaules cette superstition rurale. ...

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