Je n en veux pas à ma mère !
142 pages
Français

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Je n'en veux pas à ma mère ! , livre ebook

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Description

Et si Monette n’avait pas eu cette infection soudaine ce jeudi au sortir de la rivière, alors Léonie n’aurait pas prié son fils de se rendre chez le médecin, alors le médecin ne serait pas venu rendre visite à la petite fille, alors le médecin aurait choisi une infirmière à l’hôpital, alors Euzhan n’aurait pas eu cette blessure au doigt, alors les mauvaises langues n’auraient pas commenté cette union, alors Firmine aurait pu être soignée par la médecine moderne, alors les enfants ne se seraient pas rendus au cimetière, alors Cornélie n’aurait pas eu cette petite fille pour elle seule pendant cinq ans, alors Angeline aurait été une élève plus docile, alors tous les cousins n’auraient pas appris à vivre ensemble, alors toutes les femmes de cette famille n’auraient pas parlé de malédiction.

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312066455
Langue Français

Extrait

Je n’en veux pas à ma mère !
Emilia Tenghoc
Je n’en veux pas à ma mère !
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06645-5
À ma mère.
Première partie
Prologue
11 mars 1975
Elle se confiait à son frère, émue.
– J’ai tout essayé pour me rappeler son visage. Lorsque j’étais petite, je fronçais les yeux pour y arriver et ça me faisait pleurer. Dans la famille, Maman est la seule à ne pas avoir été photographiée. Je me demande pourquoi ? Je le regrette tellement.
Je revois très bien le visage de Papa. Mais, tu vois, quand tu es une fille, dans ta tête, tu descends forcément d’une femme. Il manque un maillon dans la chaîne.
En fait, je voulais me souvenir de sa chevelure, de sa corpulence. Personne ne sait rien nous dire. C’est comme ça chez les Liméra ? Était-elle grande ou petite, colérique ou calme, douce ou maladroite ? Je ne sais pas, je doute sans cesse de sa personnalité. J’ai même douté de son amour pour nous, par peine… par peur.
– Personne ne dit jamais rien. Tu sais bien, c’est un peu notre culture !
– Oui malheureusement ! J’en ai voulu à Maman de nous avoir laissé, je le reconnais. Lorsque j’avais mal, lorsque je ressentais le besoin de me faire câliner, elle n’était pas là. Dans la rue, devant l’école, j’enviais toutes ces petites filles gâtées qui se faisaient disputer par leur mère. J’ai oublié le goût de ses baisers. Aucune odeur ne me rappelle sa présence. Comment étaient ses mains ? Le timbre de sa voix, son rire, tout ce qui définit une personne, tu sais bien. Cela me manquera à jamais. J’ai connu et aimé d’autres visages. Mais voilà, au fond de moi, je resterai cette enfant privée de sa mère. Donc , non je n’ai pas envie de remuer tout cela, encore !
Chapitre 1
22 janvier 2018
Nous nous rendions en ville. Je devais aller à la bibliothèque Schoelcher avant mon départ pour la Métropole le surlendemain. Cela faisait pratiquement sept ans que je n’avais pas fait le voyage chez moi. Ma Martinique , mon île de cœur m’avait manqué. Le soleil brûlant avait réchauffé l’habitacle de notre taxi collectif. Par la fenêtre ouverte, je redécouvrais le décor si caractéristique de ce trajet. La végétation, la circulation infernale, les entrepôts éparpillés, les cyclistes en tenue de compétition, les panneaux publicitaires délavés.… Chacune de ces images livraient les essentiels du décor de ce déplacement. Je sentais le vent sur mon visage et dans mes cheveux. Le séjour était très court mais je savourais cette escapade avec ma mère. Je me détendais…
Les kilomètres défilaient. Un motard quasi dénudé, sans casque ni chaussures, avait surgit de nulle part. Il s’était faufilé à toute vitesse devant notre véhicule, sur la voie que nous empruntions. Panique à bord, signes de croix immédiats… freinage d’urgence. La médaille de Saint-Christophe accrochée au rétroviseur central s’était mise à trembler frénétiquement. Petite exclamation colorée de notre conductrice couverte par la puissante musique de sa stéréo ! Bienvenue chez moi ! Le fou du volant avait disparu comme il était venu.
Après cela, nous continuâmes notre route priant fort pour que le reste du trajet soit calme et sans autre mauvaise surprise !
Nous longions le port. Ma mère avait demandé l’arrêt à la Savane. La conductrice s’était garée sur le bas-côté pour nous faire descendre. Sur notre gauche, le Fort Saint-Louis. À droite, la Savane !
Nous étions les seules à nous arrêter à cet endroit. J’enjambais une petite dame pour sortir de la voiture. Le passager, assis près de la porte, s’était aplati sur le siège pour laisser descendre ma mère. J’avais souri.
Je me sentais chez moi. J’étais bien ! Quelques flaques d’eau sur le parking révélaient un récent orage. La chaussée humide nous renvoyait comme un jet continu de vapeur. Nous étouffions. Le soleil était de nouveau bien présent.
– Me voilà enfin à Fort-de France ! Je me demandais si nous y arriverions un jour ! Tu as vu le temps que nous avons mis pour trouver un taxi ! Le Robert n’est pas si loin tout de même ! Dis-je à ma mère.
– Et encore, nous avons eu de la chance Léonie, il ne pleut pas aujourd’hui ! Je peux te dire que ce n’est pas facile de se déplacer à la Martinique !
Je m’arrêtais un instant pour contempler la baie. Quelle beauté tout de même !
Au loin, j’aperçus un énorme paquebot. Quelques grappes de touristes sur le front de mer. Des groupes épars déambulaient sur le trottoir. Eux aussi avançaient dans la même direction.
Ma mère s’abritait sous son parapluie pour se protéger du soleil. J’avais chaussé ma paire de lunettes. Je profitais du soleil. J’attrapais mon smartphone dans mon sac.
Je notais que les infrastructures s’étaient développées. De nouveaux buildings avaient poussé. Quelques fast food Américains mais surtout, des voitures !
– Alors tu es contente d’être là ! Tu as vu ça, rien n’a vraiment changé, dit ma mère en s’arrêtant sur le trottoir.
Nous avions pratiquement atteint notre destination. Nous étions face à l’entrée de cette élégante bâtisse jaune et rouge. Elle enchaîna :
– Hormis les voitures, c’est comme quand j’étais jeune ! Notre chère bibliothèque est toujours aussi majestueuse. Regarde , tu peux la prendre en photo !
– Oui ! C’est ce que je voulais faire ! Il n’y a pas trop de monde devant. J’en profite !
– Il faut l’envoyer aux enfants. C’est notre patrimoine, Ma Chérie !
Je ressentais toute la fierté de l’enfant du pays. Ce monument incarnait l’histoire, son histoire.
Je l’admirais. Je trépignais. Je savais ce que je voulais et j’allais pouvoir parler de mon projet.
Cette fameuse idée de roman familial me trottait dans la tête. C’était sûr, j’allais pouvoir me documenter et avancer.
Je voulais redécouvrir le cadre dans lequel avaient évolué mes ancêtres pour reconstituer un petit bout de ce qu’avait été leur vie. Je me régalai d’avance. J’avais besoin de voir des photos de cette époque, de feuilleter des albums, d’échanger avec les gens du pays, pour mieux m’abandonner à cette narration.
Ma mère avait vécu plus de trente ans en France. Fidèle à ses racines, nostalgique de son passé, elle partageait sa retraite entre son île natale et la Métropole.
Bercée durant mon enfance par la narration de ses souvenirs, je souhaitais sincèrement que nous en conservions la trace. L’originalité et la fraîcheur des narrations de ma mère avaient attisé ce souhait de transmission. L’humour, l’amour de la vie étaient au cœur de son expression. Au détour d’une conversation, elle aimait répéter cette phrase en rigolant : « Je n’en veux pas à ma mère ! ». Elle donnait à entendre sa profonde reconnaissance à l’égard de ses aïeux et son acceptation de ce que la vie lui avait donné. Bien dans sa peau, elle était fière de son parcours !
Elle parlait si souvent de son passé. Moi qui n’avais rien connu de tout cela, je pouvais la solliciter inlassablement. Avec passion et enthousiasme, elle me livrait tous les secrets de son enfance. Ces paroles comme une caresse, un doux baiser me remplissaient d’amour et me faisaient du bien. L’histoire de mon arrière grand-mère, de mes grandes tantes, de ma grand-mère me transportait dans des abîmes de réflexion et d’admiration. Je voulais la retranscrire et rendre hommage à ces femmes courageuses et dignes.
À treize ans, alors que nous rentrions d’un long séjour à la Martinique, j’avais fait la promesse à ma mère d’écrire le scénario de sa vie. Fascinée par ses images, ses expressions antillaises, j’avais obtenu d’elle la traduction de chaque proverbe créole et nourri ma curiosité par les rencontres avec ses amis de jeunesse. Tous si enclins à me livrer leurs souvenirs d’enfance, me touchèrent par leur spontanéité et leur générosité.
Durant ce séjour, j’avais enfin compris que cette mixité culturelle enrichissait mon parcours et construisait mon identité. Je découvrais la végétation, apprenait les bruits de la campagne tropicale, dégustait les mets exotiques et les fruits. Je comprenais le créo

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