L alphabet des absentes
59 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'alphabet des absentes , livre ebook

-

59 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Dans un monde où il n'y a d'ordonné que les lettres de l'alphabet, le plus simple est de décliner son existence de A à Z. D'autant que chaque femme, dans son dictionnaire familial, est par définition fille des précédentes. L'occasion est belle de donner la parole à cette lignée d'absentes. Fragments d'émotions, échos décapants, trésors personnels, voici vingt-six lettres pour ne pas être à soi-même une éternelle absente, pour savoir d'où l'on vient, aimer ce qu'on aime, et apprendre à rire de soi.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2010
Nombre de lectures 73
EAN13 9782296934207
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’alphabet des absentes
Nicole Ambourg


L’alphabet des absentes


L ’ H ARMATTAN
© L ’ H ARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11759-4
EAN : 9782296117594

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
A Max
A Lémy
A priori l’enfance est courte, mais en fin de compte, comme on passe sa vie à s’en remettre, elle dure très longtemps.
N’ayant que lui pour tout bagage, chaque bébé est une œuvre d’art. Moderne, évidemment, il vient d’arriver. L’ensemble est déconcertant et les détails n’arrangent rien, on doit faire connaissance, aussi intimidé que devant le premier tableau cubiste de Picasso. Les crèches sont pleines de demoiselles et damoiseaux d’Avignon, surtout les deux personnages à droite, ceux de gauche sont plus abordables. Ce ne sont pas eux qui ont une drôle d’apparence, c’est notre œil qui n’est pas adapté. Pour n’avoir pas été compris, ou du moins pas sous tous les angles, on peut rester cabossé jusqu’à sa mort. Il y a les grands cabossés, les petits cabossés, et ceux qui ne laissent rien paraître, les pires. Ca explique bien des choses, enfin, selon moi. Les grands cabossés font de grands dégâts, les petits un peu moins, et les pires, pire. C’est vous dire l’état du monde. Il faut parfois une existence entière pour trouver une partie épargnée ou pour en créer une avec les débris qu’on a sous la main.
Personnellement, si on avait daigné me consulter, j’aurais prévenu que m’attribuer un rôle de vivante était une formidable erreur de casting. Je n’étais pas faite pour ça, bon, je ne vais pas en faire un plat, j’essaie de m’adapter, mais on vous refile un contrat sans qu’on puisse émettre la moindre réserve. En fait, dès qu’on commence à respirer, c’est l’engrenage. Le malentendu s’installe à la seconde près, quand un simple réflexe est pris pour un acquiescement. Et pourtant, à peine né, on crie, la protestation devrait être entendue : pensez-vous, dans tous les films d’accouchement, aussi violents que les films de guerre, médecins et parents jouent les ravis de la crèche, sans oublier le figurant qui vous tape sur les fesses sur l’air du « C’est parti ! ». Même les petits malins qui ont réussi à s’étrangler avec le cordon ombilical, eh bien, dans l’enthousiasme, même ceux-là on les désétrangle. Aucune voix ne doit manquer dans le chœur.
Le cri est le signe du vivant. De toute évidence, la douleur figure au générique.

J’y étais aussi, comme les autres, mais je ne me souviens de rien. Je parle de ce qui est cueilli par la conscience, bien sûr, ce qui vient avec la tige, tout le monde sait qu’en-dessous, c’est le bazar.
A fleur de mémoire, la prime enfance est un passage en fraude, l’entourage au complet dans le trou du souffleur : « tu étais comme ci, tu as fait ça, regarde la photo… ». Trop de pièces rapportées, la base n’est pas fiable. Après, on s’étonne que l’édifice branlicote. Même les premiers événements marquants, je n’arrive plus à savoir si on me les a racontés ou si je les ai vécus de manière authentique. De toute façon, le scénario est bâclé : quelques-uns – deux jusqu’à présent, mais la science va très vite – quelqu’un, donc, vous commence, ce qui est déjà particulièrement hasardé, surtout si l’acte a entraîné la vie sans intention de la donner, la nature vous finit, 3 kg, 50 cm, elle ne s’est pas foulée, et ensuite tout reste à faire. Non seulement chaque personne est en kit, mais il n’y a pas de mode d’emploi, ou alors genre Ikea, illisible. En résumé, il faut tout monter soi-même et quand les autres s’en mêlent, souvent ça gâche le travail.
Alors, va pour le bric, va pour le broc, mais quand est-on terminé ? Après des décennies de tâtonnements, je viens de comprendre.
La réponse est : jamais. Jusqu’au dernier moment, il manque un tour de vis.
B izarrement, quand « Téou ? » a remplacé « Allo », j’ai eu une bouffée métaphysique.
Tous ces gens qui se cherchent, dans la rue, dans le métro, dans les magasins, tous ces dialogues avec l’invisible, ça vous transporte dans une autre dimension. S’adresser sans arrêt à quelqu’un qui n’est pas là, il y a du religieux là-dedans. C’est même la première question qu’on ait envie de poser à Dieu : « Téou ? ». Injoignable. On devrait y penser, surtout au supermarché, quand on demande à l’absent la marque de biscuit qu’il préfère. L’esprit est affamé. Elever le débat, ça ne coûte rien, la transcendance peut voleter au-dessus du caddie sans passer par la caisse.
J’ai la flemme de vérifier mais je suis à peu près sûre que Malraux en a parlé quelque part, dans une formule définitive comme les vrais écrivains les aiment, pas le panier de la ménagère, non, non, la phrase gravée dans l’airain qui vous assomme pour deux générations, « le XXI e siècle sera religieux ou ne sera pas », ce style-là. Ça cloue le bec, n’est-ce pas ? C’est ce qui fait travailler les méninges.

Prenons le bébé cubiste de tout à l’heure, l’ancien vous, l’ancien moi, celui qui vient d’arriver dans un siècle qui sera religieux ou qui ne sera pas.
Cubiste ou non, il a les yeux ronds comme des billes. Les autres commencent à s’y faire, mais lui, aux autres ? On met si longtemps à habiter son corps, moi-même je ne suis pas encore certaine d’occuper toutes mes pièces, alors, le monde extérieur, à six mois, vous pensez.
Le problème, c’est qu’à cet âge la réalité débarque avant les mots. Quand on est capable de la nommer, le mal et le bien sont faits, on entérine, au lieu d’intégrer correctement les choses au fur et à mesure, sans compter ce qui échappe à l’inventaire. On est bâti sur des trous, je me tue à vous le dire. Après, tout est bon pour les combler, c’est par là que l’irrationnel s’infiltre. Par peur du vide, on arrive à croire n’importe quoi. Par-dessus le marché, même plein, on ne se suffit pas, la porte reste ouverte aux courants d’air.
Avant l’apparition d’une poignée de dieux uniques, trois à tout casser, la terre entière était squattée ou en sous-location, esprits des eaux, esprits des bois, une nymphe par chêne, les Grecs et les Romains étaient champions pour ça, pas un nuage de vacant, on remplissait la nature comme on remplit aujourd’hui son caddie. On en trouvait pour tous les goûts, dieux et déesses en tête de gondole – la parité, déjà ? – héros ou demi-dieux soldés toute l’année, des bienveillants, des mal lunés, on choisissait, on échangeait, même le vent emportait son offrande.

A Königsberg, un homme ne consultait que son horloge interne. Par quel miracle celui-là avait-il pu trouver, au tréfonds de lui-même, un mécanisme fiable ? Dans son cerveau aux rouages d’acier, soixante minutes étaient toujours une heure de vérité. Sans mettre le nez dehors, il colmatait des brèches bien au-delà de la Prusse orientale. C’est simple, il avait tellement foi en la raison humaine qu’il voulait l’exporter. La transformer en loi universelle, chacun faisant de soi son seul maître à penser. Un philosophe peut nous bricoler ça.
Vrai citoyen du monde sous la voûte céleste – même plus peur ! – un ex-enfant émerveillé pose ses petits pieds sur des siècles de pas. J’arrive, je suis neuf et je vais vous apprendre. L’avenir, c’est par là, il a été viabilisé.
Stop.
Arrêt méditatif sur pierre tombale.
« Der gestirnte Himmel über mir und das moralische Gesetz in mir ». Ce n’est sûrement pas la peine, mais je traduis au cas où : « Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ».
Sous terre, il gardait son royaume.
Ce n’est pas l’imagier du Père Castor, c’est Kant qu’on devrait étudier à la maternelle.
C’est moins illustré, mais on peut toujours dessiner les étoiles.
C roire cette maladie mortelle, encore un truc de fille.
Le soir, je pleurais dans mon lit.
Ma m&

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents