L herbe folle de l envie
160 pages
Français

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L'herbe folle de l'envie , livre ebook

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160 pages
Français

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Description

Dix ans après, Julie revient sur son adolescence, une période incertaine de sa vie, jalonnée par la présence intermittente d'un poète dilettante, séducteur hésitant, et celle de ses textes. Malraux et Céline, l'Italie de Léopardi, le Père-Lachaise forment un arrière-plan bigarré à ce récit en forme de long préliminaire amoureux, un brin nostalgique d'un temps où les poèmes s'écrivaient encore sur des bristols.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2012
Nombre de lectures 49
EAN13 9782296487451
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’herbe folle de l’envie
Jean-Luc Ferrandi


L’herbe folle de l’envie

Roman
Du même auteur


Le sublime égaré , Editions Caractères, Paris, 1997


Que reste-t-il du big bang, Editions Caractères, Paris, 2001


© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-96699-4
EAN : 9782296966994

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
« Je n’ai jamais vraiment cru au coup de foudre. Le plus souvent on tombe amoureux comme on attrape un virus. Quand il existe une faiblesse de l’état sentimental. Une fissure. »
Il disait de belles choses, parsemait sa conversation de pépites délicates, émergeant çà et là d’un tamis balancé entre ses longues mains qui volaient dans l’espace. Précises et cadencées comme celles d’un chef d’orchestre. Ses propos ciselés, ses mots griffés, ses regards raffinés, il les offrait avec désinvolture et un humour aussi subtil que calculé pour envoûter son auditoire. Et toujours il avait ce sourire, mi-naïf, mi-ravageur des hommes sûrs de leur capacité à séduire.
Il venait se promener dans ma vie, chercheur d’or égaré, dandy halluciné, marchand de friandises oratoires emballées dans du papier doré. Il débarquait à l’improviste, jouait sa mélodie fugace, puis il disparaissait, me laissant seule, vaguement enivrée sous le charme. Et moi, je savourais ses phrases avec une gourmandise juvénile et émerveillée, sans prendre garde au pouvoir insidieux de sa petite musique. Une sérénade en équilibre constant entre la composition et l’improvisation, aux variations imprévisibles, mais toujours pénétrante.
C’est sans doute pour ça que j’aimais nos rencontres. Avec lui j’entrais dans un autre monde. Un ailleurs déconnecté du réel où chaque phrase était construite, pensée, pesée comme si elle était destinée à s’inscrire à jamais dans ma tête comme dans un livre.
Chapitre 1
I ls étaient tous là, les artistes. Dans des costumes sombres tout juste sortis des armoires où ils dormaient depuis des siècles dans l’attente de la grande occasion. Une vague odeur de naphtaline mêlée d’after-shave bon marché flottait parmi les rayonnages. Dans un coin, au bout de la salle de lecture dont l’accès avait été fermé au public par des plantes artificielles, on avait dressé une table nappée de blanc. Le micro était installé juste devant et les poètes se tenaient tout autour, d’âge canonique pour la plupart, émus et droits comme des écoliers à une distribution des prix. A dix-neuf heures pile, le maire flanqué de ses adjoints fit une entrée fracassante : crâne chauve, ventre en avant et sourire scotché sur les lèvres. De près, il avait l’air encore plus porcin que sur les affiches, ses petits yeux brillants se noyaient dans un visage rond aux joues démesurées. Un murmure a traversé la petite foule, suivi d’un silence martial, puis tout le monde s’est bousculé pour lui serrer la louche, le sourire ému et la tête baissée en signe d’allégeance. Il a savouré sa popularité avec l’air calme, paternel et un brin blasé du vieux professionnel rompu à l’exercice.
Cette année-là, le printemps avait le plus grand mal à s’émanciper des frimas de l’hiver. La pluie, tombée à seaux depuis le début de l’après-midi, venait juste de s’arrêter, mais le ciel était encore d’un noir pas très rassurant. A six heures il faisait presque nuit. Comme en décembre alors que mai commençait à peine. Entre les lunettes de soleil et le parapluie je n’avais donc pas hésité. Il n’était pas question que j’arrive au cocktail avec une tête de chien mouillé. Les frisures, c’est beau lorsque c’est sec. Mouillées, les boucles frisent le vulgaire. Et ça, il n’en était pas question. L’occasion était trop rare : une réception officielle et pas n’importe laquelle, une manifestation littéraire : la présentation d’un livre.
La bibliothèque municipale n’en croyait pas ses yeux : à la place des jeunes en jeans et baskets qui y zonaient d’ordinaire, des vieux, raides et endimanchés, suivaient sagement les flèches en papier vers la salle de lecture. Le bouquin en question était un recueil d’œuvres des poètes les plus talentueux de la ville, du moins ceux qui s’étaient fait connaître… Il avait été financé par les deniers municipaux : « cette initiative généreuse s’inscrivant dans la politique culturelle très ambitieuse de la ville », dirait l’article du lendemain. Initiative qu’il convenait de médiatiser pour assurer quelques voix supplémentaires aux prochaines élections plus que pour gonfler les ventes de l’opuscule, promis dès sa naissance à passer le reste de sa vie dans des cartons de greniers.
Dans ce groupe fleurant le troisième âge, un homme ne semblait pas à sa place. Polo à manches longues et pantalon à pinces, il était tout en noir lui aussi. La quarantaine décontractée, l’aisance naturelle de ceux qui ne se laissent impressionner en aucune circonstance, il regardait autour de lui avec une curiosité amusée le manège des mondanités. J’observai de loin cet extra-terrestre séduisant en me demandant ce qui l’avait fait atterrir là. Comme tous les martiens, il avait un sixième sens : il sentit que des yeux le scrutaient. Il se retourna et son regard croisa le mien. Un dixième de seconde. Vous ne me croirez pas mais je n’ai pas encore oublié cet instant furtif, infinitésimal, où je fus évaluée par ces yeux bleus, doux et chargés d’une détermination à toute épreuve. Je ne sais plus si j’en fus amusée, flattée ou troublée mais cette aimable réunion promise à l’ennui prit alors un tour imprévu.
Il fut le seul à ne pas prendre part à la lecture qui suivit. Ils déclamaient à tour de rôle leurs vers laborieux. Lui, regardait dans le vague, la tête ailleurs. Le maire assurait avec stoïcisme, il faisait semblant d’apprécier en connaisseur et, à la fin des tirades, baladant ses yeux dans l’assistance, hochant la tête en signe d’admiration, il applaudissait le premier entraînant en écho une petite salve de battements de mains qui résonnaient dans la petite salle. C’était aussi décoiffant qu’une réunion d’anciens combattants, mais émouvant aussi de voir ces écrivains d’appartement, ces solitaires de la rime, passer, à la fin d’une vie obscure d’anonymat littéraire, le bout du nez à la fenêtre de la reconnaissance avant qu’elle ne se referme à jamais.
Le type en noir était poli. Il applaudissait du bout des doigts sans que son visage traduise la moindre émotion. Il avait une certaine classe, une distinction naturelle qui répugnait au mélange des genres. Personne ne faisait attention à lui, debout près du coin de la table où étaient empilés les recueils flambant neufs, il attendait je-ne-sais-quoi. Lors de la séance de signature, il prit pourtant son stylo et paya enfin de sa personne. Pour la première fois je le vis sourire. Il apposa sa griffe, exécutée d’un geste précis et appliqué auprès de celle de ses camarades poètes, sur l’exemplaire remis solennellement au maire. Ce dernier promit très diplomatiquement qu’il occuperait une place de choix dans sa bibliothèque personnelle.
Moi, ce livre était le cadet de mes soucis. J’étais focalisée sur le poète en noir et je cherchais qui pourrait me renseigner sur l’identité du mystérieux inconnu. Je finis par tomber sur Lucette, une ancienne amie de maman, une pédante que je n’aimais guère. Elle avait apporté une pierre majeure à l’œuvre poétique qui nous valait cette soirée d’anthologie. Très entourée, virevoltante, elle recevait des compliments appuyés, des accolades et des poignées de mains de toutes parts. Quand elle me vit, elle vint vers moi, agaçante avec son « Ma chère » et demanda des nouvelles de mes parents. Je la rassurai sur leur santé et, pour faire bonne mesure, je balbutiai un compliment sur ses vers que j’avais pourtant trouvés du dernier ringard quand elle les avait déclamés, rouge de fierté. C’était tout de même à elle que je devais mon invitation… Après l’échange des politesses, je m’enquis, l’air de rien, de l’identité de l

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