L homme immobile et trois autres romans - Tome 1 Tibari
164 pages
Français

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L'homme immobile et trois autres romans - Tome 1 Tibari , livre ebook

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Description

"J'ai beaucoup appris en enseignant : la grammaire et sa finesse, la littérature et les textes : j'ai appris à lire, à dire, à jouer, à expliquer, à définir, à comparer, à analyser, à faire parler, à mettre en scène, à écouter ( les voix, les intonations, les accents, les inflexions) et, par-dessus tout, je lisais mes élèves : pendant vingt-cinq ans de pratique professorale, j'ai appris le Maroc, sa langue profonde sous-jacente au français, ses réalités, verbalisées et surtout non-verbalisées. Ce métier de professeur de français au Maroc me préparait à celui d'écrivain français du Maroc. Je ne dirai jamais assez quelle dette j'ai envers ces trois ou quatre mille jeunes gens qui ont jalonné ma carrière. mes romans qui allaient naître sont profondément marqués de leur empreinte" Jean-Pierre Koffel

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 janvier 2019
Nombre de lectures 11
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Préface
El Mostafa Bouignane
 Avec les trois romans réunis dans ce volume, nous découvrons un Jean-Pierre Kofel diférent de l’auteur de polars bien connu. Décidément, l’auteur deNous l’appellerons Mehdi et dePas de visa pour le paradis d’Allah, entre autre, a plus d’une ressource et excelle dans plus d’un registre.
Argaz Izyan, qui donne son titre au recueil, est l’histoire de Jean Eychenne, un veuF qui élève son Ils unique à Varilhes, Face aux Pyrénées. C’est un homme qui vit avec ses souvenirs, un homme « semblable à ces bêtes capables d’inertie pendant des heures ». Au-delà de l’histoire ordinaire de Jean Eychenne, c’est une méditation sur le temps que nous livre Jean-Pierre Kofel dans une langue puissante et imagée. La citation de Sénèque, mise en exergue à ce roman en donne le ton et illustre cette réexion sur la vie et la mort qui le parcourt. DansL’Art du roman, Kundera dit à propos de Joyce qu’il arrive à analyser quelque chose de plus insaisissable que le « temps perdu » de Proust : le moment présent. DansArgaz Izyan, Kofel réussit, à l’instar de l’auteur d’Ulysse, à arrêter ces instants FugitiFs qui nous coulent entre les doigts, à les saisir pour nous les Faire voir. Ce n’est rien d’autre que ces petits moments de la vie ordinaire, avec leurs bruits Familiers : la rumeur de la rue, le bruissement d’un arbre, etc.
Rien d’extraordinaire donc, mais grossis au microscope de l’art, ces petits détails prennent un sens insoupçonné. Je suis plus
tenté de comparer le style de Kofel ici à celui des Ilms de Bergman qui, par certains procédés dont la redondance, l’alternance de moments de bruit et de moments de silence, arrive à donner une signiIcation inquiétante aux objets et aux gestes les plus banals. Cette comparaison est particulièrement valable pourTibariqui est écrit pour le cinéma. La stratégie du regard, chère à Orson Welles, y est très remarquable. Elle l’est aussi, quoiqu’à un degré moindre, dansYves, la poignante histoire d’un enFant aigé d’une mère tyrannique.Le jeune homme et les chevaux, lui, se démarque par un ton virulent mais en accord avec l’esprit soixante-huitard dont le héros est imprégné. Mimoun Amil, un garçon très cultivé mais qui se déInit lui-même comme un « racinien de carte postale », rencontre Sylvie à Marrakech, l’épouse et part avec elle en rance. Là, le couple commence à déchanter.
 Sylvie ne voit plus en Mimoun qu’un « personnage sinistre qui sème le malheur partout où il passe » et lui ne voit plus en son épouse qu’une snob qui « ne comprend rien à Wagner qu’elle écoute Igée dans une attitude de vierge du Rhin ». Lorsque Mimoun comprend qu’il est entrain de perdre son âme, il rue dans les brancards comme les chevaux qu’il aime, et rejette l’Occident et sa culture. Sa diatribe contre cette culture aliénatrice est un moment Fort du roman. Le couple se sépare après avoir eu une Ille, Mériem, que sa mère rebaptise…Marie. Mériem ou Marie, quelle diférence ? Ce ne sont que des mots après tout. Sans doute, mais souvent, de simples mots sont à l’origine du choc des cultures. Sur l’importance des mots, relisons ce qui est dit dansArgaz Izyan: « En vérité, il n’y a que les mots : les objets, les lieux, les gens, ce n’est rien d’autre que des mots Inalement (…) C’est avec les mots qu’on a dans la tête qu’on vit. » ?
TIBARI
Roman
Jean-Pierre KoFel
1. Plage de Ameur Haouzia. En face, l’océan. À gauche, la ville d’El Jadida, le port. Un petit feu de bois est allumé sur le sable.
Par-dessus les vagues à crêtes blanches, quelques mouettes. Toute proche, juste là, derrière, la forêt de mimosas et de tamaris. D’ailleurs ce qui brûle dans ce petit feu de camp ce sont des branches de mimosas et de tamaris.
Lumière douce du matin. Tibari est assis devant le feu, immobile, le dos à la forêt, découpé en ombre chinoise sur le ciel bleu lavande. Il remue les braises à l’aide d’un rameau souple. Le feu crépite. L’haleine de la mer est calme, régulière.
Au loin une barque sur le sable et la silhouette d’un homme. C’est Bouazza le pêcheur. Ddounya hanya, le monde est tranquille, tout est calme comme le chant de la mer et léger comme l’air.
Tibari se lève d’un seul coup et se retourne vers la forêt. Le vent soue dans ses cheveux et fait jouer sur son front les longues mèches noires. Il ébroue sa chevelure. Il a l’œil profond, un peu sombre et les traits îns. Il a vingt ans. Il est mince et pas très grand. Il aime la solitude. Surtout très tôt le matin, quand le jour naït à peine de la nuit.
Doucement, faute d’être alimenté et entretenu, le feu s’éteint. Ddounya hanya, dit tout bas Tibari en se dirigeant vers le douar de Ameur Haouzia.
2.Tibari se fraie rapidement un chemin à travers la forêt. Il écarte les branches basses sur son passage qui fait fuir un lézard, un lapin ou un rat. Le moelleux tapis de feuilles mortes craque parfois sous ses pas.
La route nationale n’est pas loin ; à gauche le pénitencier de l’Adir, Azemmour, puis Casablanca ; à droite, El Jadida.
Il traverse la route : un camion, une Mercedes, une jeep de gendarmes dans un sens ; dans l’autre, cinq voitures légères qui vont vite, dont deux d’immigrés et une de touristes. Zmagriya ou l’gwar, dit Tibari entre ses dents.
Au bout de la piste, on voit les premières maisons, blanches – la région est vouée au blanc –, de Ameur Haouzia. Devant l’école qui n’est pas encore ouverte, des enfants jouent.
Une maison blanche, basse, toute simple, une porte bleue. La porte bleue s’ouvre en grinçant un peu. Il faudra huiler les gonds, pense Sad, et rafraïchir la peinture. Sad sort de la maison, une petite moto à la main. C’est une Peugeot 103. Il referme la porte, met la moto en marche et démarre. Il va rejoindre son travail à El Jadida.
SadSad Rahoulc’est le grand frère de Tibari, le frère aïné ; il a 24 ans. Il est peintre en bâtiment. Son patron, c’est Haj Bouchab, entrepreneur de peinture rue Carpozen, à El Jadida. Il a le teint plus clair que son frère Tibari, l’air plus fragile et plus doux.
La porte bleue est refermée.
3.Sad sur sa moto débouche de la piste qui vient de Ameur Haouzia, traverse de biais et s’engage dans la direction d’El Jadida. Il voit Tibari et s’arrête à son niveau. Derrière eux, la mer, les crêtes blanches des vagues. Sad ne descend pas de moto et n’arrête pas le moteur, au bruit duquel s’ajoute, par intermittence, celui de la circulation. Les gens vont vite et le nombre des véhicules s’accroït ; il va être sept heures et demie.
«Tu t’es levé de bonne heure ce matin, mon frère, dit Sad souriant. Où est-ce que tu étais ?
J’ai fait un petit tour sur la plage.
Attention de ne pas avoir allumé un feu comme l’autre fois que tu l’as laissé allumé et que le forestier...
 Non, je l’ai éteint, mon frère, rassure-toi. J’ai ma tête, je sais ce que je fais
 Je sais, mon frère, je sais. Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui... ce matin ? »
 Tibari baisse la tête, pour éviter de regarder Sad en face.
«Rien que je vais faire un tour sur la plage. », dit-il.
 Sadporte la main droite à son bas-ventre et fait une grimace de douleur, qu’il réprime vite.
 « Tu devrais venir avec moi, mon frère. On fait la peinture de la maison de Si Berrada. Et on a toujours besoin de mains pour nous aider. Tu sais, c’est un travail à la tâche. Haj Bouchab te donnera sûrement un petit quelque chose à faire. C’est que tu te débrouilles bien quand tu veux. Il t’aime bien, Haj Bouchab, tu sais. »
Tibari relève la tête et fait une mimique moqueuse.
 « Ouais ! Il m’aime bien, Haj Bouchab. Tout le monde m’aime bien, moi, sauf ceux qui ne m’aiment pas. »
 Sad fait une deuxième grimace de douleur, laisse échapper un « Ae ! » et porte à nouveau la main droite à son bas-ventre. Tibari le îxe intensément, avec beaucoup de sérieux et d’inquiétude.
 « Allez, monte, dit Sad, je t’emmène. Ça ne te fera pas de mal d’apprendre le métier. Tu ne peux pas rester chômeur toute ta vie.
Tu as encore mal ?
Non, non, ça va, répond-ilense redressant et en souriant gentiment. Alors, tu viens ?
Je t’ai encore entendu cette nuit.
Alors, tu viens, mon frère ?
Ouais ! Vas-y. Roule. »
 Il a dit cela en français, roulant le r, le faisant comiquement vibrer, enfourchant le siège arrière de la moto.
La 103 démarre, direction El Jadida, chaloupant un peu dans les premiers mètres. Le vent plaque en arrière les cheveux lisses et longs de Sad qui sourit. Tibari enlace son frère et pose la tête sur son dos.
4.Une jeep de la gendarmerie avec quatre gendarmes à bord, dont une jeune femme, elle aussi en uniforme, arrive à l’embranchement de la piste qui conduit au douar Ameur Haouzia, ralentit, s’engage sur la piste. Elle s’appelle Maria Haîdi. Elle a 26 ans. Elle vient de l’Oriental et El Jadida est son premier poste.
5. La jeep des gendarmes freine devant la porte bleue de la maison de la famille Rahoul. Bruit de pneus sur le sable. Des poules se sauvent en gloussant.
6. C’est une pièce rectangulaire, à peu près six mètres sur trois, chaulée. Trois murs aveugles. La porte et les deux fenêtres grillagées donnent sur le préau de la cour centrale. Par la porte ouverte, on voit des poules et des poussins, une jarre, une brouette, une vieille bicyclette jaune. La pièce est meublée de divans bas très simples revêtus de couvertures de couleurs, où dominent le jaune et le vert. Par terre, une grande natte de la région, les Doukkala. Au mur, deux cadres ; dans l’un, la photo d’un vieux paysan, le père de Tibari et de Sad, entre autres ; dans l’autre, celle du grand-père. Une grosse armoire. Une table ronde basse, en bois. Sur la table, une théière et des verres à thé, du pain de maison et des conîtures dans une assiette, le tout sur un plateau en plastique. Dans une autre assiette, des hernys (déformation du mot Henrys, qui est une marque de petits-beurre) et une soucoupe, avec du beurre de la campagne.
Sont assises autour de la table ronde Acha Hammou et Maria Haîdi, la gendarme. Acha Hammou, la mère de Tibari et de Sad, a la cinquantaine. Elle est habillée comme les campagnardes de la région, un foulard jaune sur la tête, les mains passées au henné, des bracelets. Elle a le visage calme, le front lisse, beaucoup de dignité et la voix douce. Maria Haîdi rayonne de jeunesse ; on peut dire qu’elle est jolie, avec des traits doux, îns, réguliers. L’uniforme et la coiFure
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