L homme immobile et trois autres romans - Tome 2 Youssef et les chevaux
75 pages
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L'homme immobile et trois autres romans - Tome 2 Youssef et les chevaux , livre ebook

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Description

"J'ai beaucoup appris en enseignant : la grammaire et sa finesse, la littérature et les textes : j'ai appris à lire, à dire, à jouer, à expliquer, à définir, à comparer, à analyser, à faire parler, à mettre en scène, à écouter ( les voix, les intonations, les accents, les inflexions) et, par-dessus tout, je lisais mes élèves : pendant vingt-cinq ans de pratique professorale, j'ai appris le Maroc, sa langue profonde sous-jacente au français, ses réalités, verbalisées et surtout non-verbalisées. Ce métier de professeur de français au Maroc me préparait à celui d'écrivain français du Maroc. Je ne dirai jamais assez quelle dette j'ai envers ces trois ou quatre mille jeunes gens qui ont jalonné ma carrière. mes romans qui allaient naître sont profondément marqués de leur empreinte" Jean-Pierre Koffel

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 janvier 2019
Nombre de lectures 4
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

1
JEAN-PIERRE KOFFEL
YOUSSEF ET LES CHEVAUX
RECIT
2
Préface
El Mostafa Bouignane
 Avec les trois romans réunis dans ce volume, nous découvrons un Jean-Pierre Koffel différent de l’auteur de polars bien connu. Décidément, l’auteur deNous l’appellerons Mehdiet dePas de visa pour le paradis d’Allah, entre autre, a plus d’une ressource et excelle dans plus d’un registre.
Argaz Izyan, qui donne son titre au recueil, est l’histoire de Jean Eychenne, un veuf qui élève son fils unique à Varilhes, face aux Pyrénées. C’est un homme qui vit avec ses souvenirs, un homme « semblable à ces bêtes capables d’inertie pendant des heures ». Au-delà de l’histoire ordinaire de Jean Eychenne, c’est une méditation sur le temps que nous livre Jean-Pierre Koffel dans une langue puissante et imagée. La citation de Sénèque, mise en exergue à ce roman en donne le ton et illustre cette réflexion sur la vie et la mort qui le parcourt. DansL’Art du roman, Kundera dit à propos de Joyce qu’il arrive à analyser quelque chose de plus insaisissable que le « temps perdu » de Proust : le moment présent. DansArgaz Izyan, Koffel réussit, à l’instar de l’auteur d’Ulysse, à arrêter ces instants fugitifs qui nous coulent entre les doigts, à les saisir pour nous les faire voir. Ce n’est rien d’autre que ces petits moments de la vie ordinaire, avec leurs bruits familiers : la rumeur de la rue, le bruissement d’un arbre, etc.
Rien d’extraordinaire donc, mais grossis au microscope de l’art, ces petits détails prennent un sens insoupçonné. Je suis plus tenté de comparer le style de Koffel ici à celui des films de Bergman qui, par certains procédés dont la
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redondance, l’alternance de moments de bruit et de moments de silence, arrive à donner une signification inquiétante aux objets et aux gestes les plus banals. Cette comparaison est particulièrement valable pourTibariqui est écrit pour le cinéma. La stratégie du regard, chère à Orson Welles, y est très remarquable. Elle l’est aussi, quoiqu’à un degré moindre, dansYves, la poignante histoire d’un enfant affligé d’une mère tyrannique.Le jeunehomme et les chevaux, lui, se démarque par un ton virulent mais en accord avec l’esprit soixante-huitard dont le héros est imprégné. Mimoun Amil, un garçon très cultivé mais qui se définit lui-même comme un « racinien de carte postale », rencontre Sylvie à Marrakech, l’épouse et part avec elle en France. Là, le couple commence à déchanter.
 Sylvie ne voit plus en Mimoun qu’un « personnage sinistre qui sème le malheur partout où il passe » et lui ne voit plus en son épouse qu’une snob qui « ne comprend rien à Wagner qu’elle écoute figée dans une attitude de vierge du Rhin ». Lorsque Mimoun comprend qu’il est entrain de perdre son âme, il rue dans les brancards comme les chevaux qu’il aime, et rejette l’Occident et sa culture. Sa diatribe contre cette culture aliénatrice est un moment fort du roman. Le couple se sépare après avoir eu une fille, Mériem, que sa mère rebaptise…Marie. Mériem ou Marie, quelle différence ? Ce ne sont que des mots après tout. Sans doute, mais souvent, de simples mots sont à l’origine du choc des cultures. Sur l’importance des mots, relisons ce qui est dit dans Argaz Izyan: « En vérité, il n’y a que les mots : les objets, les lieux, les gens, ce n’est rien d’autre que des mots finalement (…) C’est avec les mots qu’on a dans la tête qu’on vit. » ?
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I
La nuit tombe. Une nuit française. On ne regarde même pas le ciel.
Quelques lumières. * Il marche sur le bascôté, soufflé par les voitures qui passent. Voûté, rentré, dur. Dents serrées, poings crispés.
Il a vingtdeux ans. La nuit tombe. Il marche.Je marche comme un personnage de cinéma.est un Il personnage de cinéma. Il représente un jeune Nord Africain bachelier qui est venu échouer en France. Derrière lui, Montpellier qui clignote.Je me fous de Montpellier qui vit ses sept heures du soir. Il se fout de Montpellier ; il ne se retourne pas.
*
5
Amil. Youssef Amil. Né à Essaouira, à l’époque Mogador, en 1946. Il marche dans le vent sur la plage. Le vent que le dédale des petites rues arrête. Le port ; masse trapue des constructions. Un fanal vert fait signe.
*  En 1946. En hiver. Il n’y avait pas d’état civil pour les pauvres. L’âge des gens est très extensible. On a dix huit ans pour passer le certificat d’études secondaires et vingt et un pour le permis de conduire. Un toubib, au vu de votre zizi et pour mille cinq cents balles, vous fait naître un ou deux ans après ou avant votre naissance. Ce serait plus simple de n’être pas né du tout.
*  Condamné à vivre. Maudite route qui tourne le dos à Montpellier. Il franchit la porte du café. Deux routiers attablés. Un énorme chien sous une chaise. Les chiens français sont bien portants, calmes ; ils savent traverser et ne gênent pas la circulation. Tout semble naturel aux chiens. Celuilà ne répond pas à ma caresse. Dans ce pays, chez ces genslà, monsieur, même eux boudent le sentiment. La tendresse, c’est bon pour les sauvages.
6
 « Tiens ! vous voilà de retour ! » C’est Zizi, justement. Une quinquagénaire grincheuse. Voix râpeuse. La commerçantetype. L’accent montpelliérain. Il aimait, au début. Avant.
« Tiens vous voilà de retour ! » Fausse surprise, indifférence ; elle s’en fout, Zizi. Un meuble du décor qui était revenu. Un client, un objet.
« Qu’estce que vous prenez ? »
C’est ça les rapports entre individus. « Vous voilà de retour ! Qu’estce que vous prenez ? » Qui estu, pauvre gars ? Où étaistu ? Plus rien ne les étonne, ces genslà. Aveuglés par l’habitude. Ils ne vous regardent pas. Vous n’existez pas plus que le chien... Et encore le chien, il existe à leurs yeux. Intelligent, de penser ça ! Ils ont même appris leur indifférence à leurs bêtes.
« Alors, pour vous, qu’estce que ce sera ? » Qu’est ce que ce sera ? Et avec ça, qu’estce que je vous mets ? Elle les accumule, les poncifs. Elle s’impatiente. On ne peut plus penser. On n’est pas libre. On n’est libre nulle part.
« Un café. »
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