L homme immobile et trois autres romans - Tome 3 Yves
160 pages
Français

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L'homme immobile et trois autres romans - Tome 3 Yves , livre ebook

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Description

"J'ai beaucoup appris en enseignant : la grammaire et sa finesse, la littérature et les textes : j'ai appris à lire, à dire, à jouer, à expliquer, à définir, à comparer, à analyser, à faire parler, à mettre en scène, à écouter ( les voix, les intonations, les accents, les inflexions) et, par-dessus tout, je lisais mes élèves : pendant vingt-cinq ans de pratique professorale, j'ai appris le Maroc, sa langue profonde sous-jacente au français, ses réalités, verbalisées et surtout non-verbalisées. Ce métier de professeur de français au Maroc me préparait à celui d'écrivain français du Maroc. Je ne dirai jamais assez quelle dette j'ai envers ces trois ou quatre mille jeunes gens qui ont jalonné ma carrière. mes romans qui allaient naître sont profondément marqués de leur empreinte" Jean-Pierre Koffel

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 janvier 2019
Nombre de lectures 8
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

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Jean-Pierre Koffel
YVES 1949
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Préfa
ce
El Mostafa Bouignane
 Avec les trois romans réunis dans ce volume, nous découvrons un Jean-Pierre Koffel différent de l’auteur de polars bien connu. Décidément, l’auteur deNous l’appellerons Mehdiet dePas de visa pour le paradis d’Allah, entre autre, a plus d’une ressource et excelle dans plus d’un registre.
Argaz Izyan, qui donne son titre au recueil, est l’histoire de Jean Eychenne, un veuf qui élève son fils unique à Varilhes, face aux Pyrénées. C’est un homme qui vit avec ses souvenirs, un homme « semblable à ces bêtes capables d’inertie pendant des heures ». Au-delà de l’histoire ordinaire de Jean Eychenne, c’est une méditation sur le temps que nous livre Jean-Pierre Koffel dans une langue puissante et imagée. La citation de Sénèque, mise en exergue à ce roman en donne le ton et illustre cette réflexion sur la vie et la mort qui le parcourt. DansL’Art du roman, Kundera dit à propos de Joyce qu’il arrive à analyser quelque chose de plus insaisissable que le « temps perdu » de Proust : le moment présent. DansArgaz Izyan, Koffel réussit, à l’instar de l’auteur d’Ulysse, à arrêter ces instants fugitifs qui nous coulent entre les doigts, à les saisir pour nous les faire voir. Ce n’est rien d’autre que ces petits moments de la vie ordinaire, avec leurs bruits familiers : la rumeur de la rue, le bruissement d’un arbre, etc.
Rien d’extraordinaire donc, mais grossis au microscope de l’art, ces petits détails prennent un sens insoupçonné. Je suis plus tenté de comparer le style de Koffel ici à celui des films de Bergman qui, par certains procédés dont la redondance, l’alternance de moments de bruit et de moments de silence, arrive à donner une signification inquiétante aux objets et aux gestes les plus banals. Cette comparaison est particulièrement valable pourTibari qui est écrit pour le cinéma. La stratégie du regard, chère à Orson Welles, y est très remarquable. Elle l’est aussi, quoiqu’à un degré moindre, dansYves, la poignante histoire d’un enfant affligé d’une mère tyrannique.Le jeunehomme et les chevaux, lui, se démarque par un ton virulent mais en accord avec l’esprit soixante-huitard dont le héros est imprégné. Mimoun Amil, un garçon très cultivé mais qui se définit lui-même comme un « racinien de carte postale », rencontre Sylvie à Marrakech, l’épouse et part avec elle en France. Là, le couple commence à déchanter.
Sylvie ne voit plus en Mimoun qu’un « personnage sinistre qui sème le malheur partout où il passe » et lui ne voit plus en son épouse qu’une snob qui « ne comprend rien à Wagner qu’elle écoute figée dans une attitude de vierge du Rhin ». Lorsque Mimoun comprend qu’il est entrain de perdre son âme, il rue dans les brancards comme les chevaux qu’il aime, et rejette l’Occident et sa culture. Sa diatribe contre cette culture aliénatrice est un moment fort du roman. Le couple se sépare après avoir eu une fille, Mériem, que sa mère rebaptise…Marie. Mériem ou Marie, quelle différence ? Ce ne sont que des mots après tout. Sans doute, mais souvent, de simples mots sont à l’origine du choc des cultures. Sur l’importance des mots, relisons ce qui est dit dansArgaz Izyan: « En vérité, il n’y a que les mots : les objets, les lieux, les gens, ce n’est rien d’autre que des mots finalement (…) C’est avec les mots qu’on a dans la tête qu’on vit. » ?
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CHAPITRE I
Lundi 26 septembre 1949.Jacques Le Terrier redescendait le sentier. À quoi vais-je bien pouvoir jouer ? pensait-il. C’est bien beau la montagne, mais, quand on n’a vu qu’elle toute la journée, le soir on est un peu lassé. Je suis vanné ; j’ai les joues brûlées de soleil. J’ai certainement blondi aujourd’hui… Eh bien, je vais revenir au chalet ! Ce n’est pas que cela m’enchante. Tous ces gens qu’il va falloir saluer. Quelle idée papa a-t-il eue d’inviter la femme de son nouveau comptable à venir passer avec nous cette dernière semaine ! Une semaine, ce n’est pas long, mais j’aurais préféré être seul avec maman, pendant ces jours qui précèdent la rentrée des classes. Mais non ! Il faut que nous soyons toujours encombrés de gêneurs, de raseurs, de gens sans intérêt. C’est une habitude de la famille d’avoir toujours des boulets de traîner. Je suis sûr que maman n’est pas contente que cette Mme Fonteneau soit venue la troubler. Et encore, je crois qu’elle a une mère et deux enfants, cette Mme Fonteneau ! Pourvu q’elle n’ait pas amené toute sa smala avec elle ! Elle seule suffit à notre malheur. Que je suis bête à me parler tout seul. De là, je dois voir le chalet. Oui. Il y a la voiture de papa ; quel ennui ! Il est donc arrivé. Et avec lui sa Madame Fonteneau. Si jamais il y a la grand-mère et les gamins, c’est à désespérer d’avoir un père. Évidemment, il y a M. Fonteneau. Mais M. Fonteneau repart demain pour Marrakech. Et puis c’est un homme de valeur. Ce n’est pas parce qu’il a fait la guerre que je dois le mal considérer. D’abord, s’il a fait la guerre, ce n’est pas de sa faute. Mais quand même, moi, j’aurais refusé. Je
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pense que M. Fonteneau n’a tué personne. Il n’a pas l’air d’un monsieur qui aime se battre. Je pense qu’il s’est constitué prisonnier dès les premiers jours ; il le dit lui-même : cinq ans de captivité. Et je crois bien que la guerre a duré cinq ans. M. Fonteneau n’a pas eu le temps de tuer. Mais quand même ! Et puis il a lu Musset, M. Fonteneau, et Charles Morgan. C’est un monsieur bien. Mais je voudrais bien savoir à quoi ressemble sa femme. Je parierais qu’elle est énorme et qu’elle fait vieille. Toutes les femmes ne peuvent pas être belles comme maman. Cette Mme Fonteneau doit être une femme très ennuyeuse. Elle doit se prénommer Constance ou Clémence. À moins qu’elle soit grande et dégingandée…
Jacques arrivait devant le chalet, il ralentit son allure, et regarda par la fenêtre ce qui se passait à l’intérieur. « Comment est-elle, se disait-il ? Quelle fiole a-t-elle, la raseuse ? » Il ne pouvait la voir que de dos. « Tiens. Ni grosse ni dégingandée ! Elle a l’air élégante et jeune. Pas de grand-mère ; un seul gosse. Mais il est grand, son gosse ! J’ai dû le voir, sans le remarquer, dans la cour du lycée. M. Fonteneau aurait pu m’en parler. J’entre. » Il ouvrit la porte du chalet et entra. « Voici Jacques. » Mme Le Terrier souriait. Jacques posa un baiser sur le front de son père. « Bonjour p’pa. Bon voyage ? » M. Le Terrier ronchonna : « D’où viens-tu encore ? ─ J’étais dans la montagne. ─ Tu es bien peigné, mon fils, fit Mme Le Terrier. ─ Ben ! Dans le vent ! ─ Tu as raison ! Excuse-moi ! Je vous présente mon fils Jacques. Mme Fonteneau. »
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Mme Fonteneau sourit à peine. Elle était toute différente de ce qu’avait imaginé Jacques. Ses yeux étaient noirs, très grands ; mais durs. Elle était sobrement habillée en noir. Jacques serra la main de Mme Fonteneau et se planta devant son fils. « Eh bien, vous ne nous connaissez pas, fit Mme Le Terrier étonnée ? ─ Mais non. ─ Yves. » Ils se serrèrent la main. Mme Le Terrier souriait, amusée. « Yves a 14 ans. Un an de moins que toi, Jacques. Je pense que vous serez bons amis. » Soudain Yves leva vers Jacques son regard noir ; le même regard que sa mère, mais en moins dur. Il ne prononça pas un mot. Mme Fonteneau haussa les épaules et dit d’une voix sèche : « Il faudra que vous fassiez connaissance, car vous partagerez le même lit. » Jacques eut la politesse de ne pas faire paraître combien cela le dérangeait. « Encore heureux qu’elle n’ait pas amené la grand-mère et l’autre gosse, se dit-il tout bas pour se consoler. »
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CHAPITRE II
Jeudi 29 septembre 1949.« Je te gène ? » C’était les premières paroles directes qu’Yves adressait à Jacques. Il y avait comme de la rage dans sa voix. « Mais non ! Tu dois être fatigué. Déshabille-toi vite et couche-toi. Je finis un livre ; cela ne t’ennuie pas que je laisse la bougie allumée ? ─ Non. Que lis-tu ? ─ Poil de Carotte. De Jules Renard. C’est l’histoire d’un enfant malheureux. » Yves releva la tête. « Pourquoi était-il malheureux ? ─ Parce que sa mère ne l’aimait pas. » Yves approcha son visage de la bougie et fixa la flamme vacillante. « Sa mère ne l’aimait pas, répéta-t-il lentement. Et pourquoi ne l’aimait elle pas ? ─ J’en sais rien. ─ Et bien moi je le sais. Elle t’aime, ta mère, toi ? ─ Mais oui. Quelle question ! Ces histoires-là n’arrivent que dans les livres. » Yves s’approcha davantage de la bougie. « Dans les livres. Non. Écoute une histoire qui n’est pas dans les livres. C’est histoire d’un garçon. Le père revient de son travail, indifférent et souriant, il se met à table et n’en bouge plus. Il faut le servir. Changer le verre qui ne lui plaît pas. Enlever l’assiette sale. Prendre une assiette propre. La sœur non plus ne bouge pas de sa chaise. C’est son frère qui doit (il y est forcé) se déranger lorsqu’elle veut quelque chose. Il est toujours de toutes les corvées. Sa mère est injuste avec lui. Pour un rien elle le roue de coups. Elle aime le vexer devant les étrangers. Alors il se tait. Mais il a le cœur qui se soulève. Ah ! Quand il voit les autres garçons parler avec leur mère ─ leur mère, tu entends ─ il se révolte. Il comprend maintenant. Il n’est plus
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un enfant. Il voit qu’elle ne l’aime pas. Alors il lui dit ce qu’il pense. Il lui dit qu’il la déteste et elle le force à aller au cachot. Elle l’y force et il obéit, honteux d’obéir. Je h ais l’obéissance. ça fait plaisir à un imbécile ; et cet imbécile voit celui qui lui obéit faire ce qu’il a voulu qu’il fasse… la sale idée… qui lui est née. ─ Yves ? ─ Pardon ! ─ Qu’est-ce que ce cachot ? ─ C’est un débarras obscur et sale plein de vieilles choses. Et quand on m’y parque, je me considère comme ces riens du tout, ces rebuts qui sont devenus mes amis. Tu vois, j’aime mon cachot. Mais c’est tout de même une humiliation pour moi ; je dois me plier. Et je souffre. Et je rage. ─ Mais ton père, il ne fait rien pour toi ? Il est gentil, si compréhensif. ─ Avec toi. Mon père est un inconnu. Non, il ne fait rien pour moi. Ma mère est là pour lui dire que je ne vaux rien. ─ Je crois que tu dramatises. Tu as dû lire un de ces livres ou le malheureux héros est le souffre-douleur d’une vieille tante, d’une mégère, ou de quelque chose d’approchant. Tu es impressionnable. ─ Quel drôle de mot ! Peut-être. ─ Crois-tu vraiment que personne ne t’aime ! Ta grand-mère ? ─ Aimer ! Je n’ai pas besoin qu’on m’aime. » Il passa ses doigts dans ses cheveux et baissa les yeux. Jacques tenait sa bougie à la main. « Regarde. J’ai les doigts pleins de bougie fondue ! ─ Pourquoi ne l’as-tu pas posée ? ─ Je t’écoutais. Tu en veux un morceau ? ─ Oui j’adore la bougie, bien qu’elle dise qu’on la fait avec des os de chien. » CHAPITRE III
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 Yves et Jacques escaladaient, en devisant joyeusement. Il semblait qu’ils eussent oublié leur discussion de la veille. Yves courait en avant comme un jeune fou, les cheveux en désordre. Jacques le suivait en souriant. Le soleil était déjà haut dans le ciel et rien n’était plus majestueux que ces longs plis de velours, tantôt éclairés, tantôt dans l’ombre. Les chênes verts, pas plus haut qu’un homme, étaient la seule végétation. Le sol, sec et rocheux, témoignait bien de la présence de l’été. Essoufflés, Yves et Jacques étaient arrêtes et regardaient la grande étendue qu’il dominaient. « Quelle joie d’être si haut, s’écria Jacques. L’air est plus vif ici, mais l’on sent bien la chaleur. Que ce sol est nu. Et dire qu’il y a herbe et fleur au printemps ! Imagine-toi. Yves, comme cela doit être agréable alors de courir, de se jeter, de rouler sur ce gazon. Les animaux ont vraiment de la chance de vivre toujours là. « Mais il y a aussi des hommes qui y vivent toujours », dit Yves. Sa voix est limpide et haute. « C’est dommage que je ne sois pas l’un d’eux. C’est si grand la montagne. On est plus près du ciel… la nuit. ─ Yves. Je te vois bien déguisé en berger d’Arcadie, en pâtre solitaire chantant le soleil sur sa lyre. ─ Tu connais Orphée ? ─ Bien sûr. Tu ne sais ni le latin, ni le grec ? ─ Non. ─ Quel dommage ! ─ Dis, Jacques, et de la neige, est-ce qu’il y en a ? ─ Oui en hiver. ─ Comme j’aimerais voir la montagne toute blanche…, ces petits arbres scintiller de givre. J’adore
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