L INSTANT D APRES ROMAN
283 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

L'INSTANT D'APRES ROMAN , livre ebook

-

283 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Face à l'épreuve suprême, -la mort annoncée de l'un d'entre eux-, les personnages de ce roman ressentent la brûlante nécessité de se resituer dans leur vérité profonde, et de savoir vers où va pointer désormais la flèche de leur désir pour aimanter ce qu'il leur reste à vivre jusqu'au dernier à-pic des limites du temps qui leur est imparti...ŠLes questions graves qui se posent à chacun au cours de l'existence, l'auteur les aborde avec le sourire tendre et lumineux d'une écriture qui, comme une épée de feu, tient en retrait les dragons jumeaux du pessimisme et du désespoir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 102
EAN13 9782296465428
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’instant d’après
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55202-9
EAN : 9782296552029

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Christine-Colombe Gallardo


L’instant d’après


roman


L’Harmattan
À mes ombres chères
Chapitre I
C e petit frémissement de l’âme au moment de découvrir une nouvelle exposition de son ami Édouard, elle l’avait toujours connu… Édouard, sa silhouette frêle, sans âge, son visage encore empreint d’une candeur d’enfance malgré la sombre aura de tristesse, le cerne noir qui ourle ses yeux, trace indélébile de la crue de chagrins anciens. Elle a choisi de rester un peu à l’écart, près de la porte d’entrée, occultée à son regard par un groupe d’invités qui sirotent leurs boissons. Elle s’imprègne de l’atmosphère assez indéfinissable du lieu, mélange surprenant de rusticité âpre, de virginité pastorale et d’inquiétant mystère. Une composition corsée, comme on le dit de certains alcools ou extraits de parfum, qui envoûte et aussitôt impose une sensation bizarre d’étrangeté et de reconnaissance, similaire à celle dont on est saisi en entrant dans une grotte préhistorique. Une sorte d’évidence brutale, dernier vestige peut-être de notre vieux cerveau reptilien, qui déclenche un état d’alerte dans tout l’être, au rappel imminent de notre condition misérable, – funambules chétifs en équilibre sur un fil tendu entre la vie et la mort… Car, hormis l’excès de poussière et les toiles d’araignée, elle observe que rien ici ne semble avoir été touché depuis des siècles : attelages aux peintures écaillées, rangés comme ils ont dû l’être après leur dernière sortie, harnais de chevaux en cuir buriné négligemment accrochés à des poutrelles, râteliers dentés de lattes inégales, çà et là fendillées, en attente des prochaines rations de foin déversées à la fourche… Son trouble naît sans doute d’une vague perception de notre néant, qui remet notre existence en cause, corps et esprit confondus dans le même état d’impuissance, bien au-delà de la simple prise de conscience. Elle se sent oppressée, le souffle court, comme si elle craignait d’inhaler un air saturé des haleines de tous les morts qui ont passé là, contrainte de se frayer un chemin à travers une procession de spectres. Le présent s’est contracté en un point de jour infime, frêle aujourd’hui en fusion, bientôt laminé sur l’enclume épaisse du passé par la lourde presse du futur. Comme si la machine à fabriquer la temporalité, détraquée par l’usure des siècles, s’était mise à fonctionner en mode accéléré, brassant en désordre toutes les époques et brouillant leurs images… Drôle d’endroit, remarque-t-elle, en faisant effort sur elle-même pour chasser ces impressions dérangeantes.
Ce lieu fait partie des "communs", bâtiments annexes voués aux usages domestiques, d’une vieille demeure patrimoniale de belle allure, dont l’élégance discrète règne avec bonhomie sur l’ensemble de maisons modestes bordant avec elle la place du village. À l’arrivée de Flora, le soleil encore haut en cette fin d’après-midi de juillet changeait la toiture de briques anciennes en une palette vibrante, où les rouges sanglants, les bruns flammés d’éclairs magnétiques des toisons de fauves en chasse, – chers à Delacroix ou Géricault – se mêlaient à des beiges sages, conciliants comme un baiser de paix, ou aux nuances les plus délicates des roses de l’innocence... Le carton d’invitation précisait qu’il s’agissait de la maison natale de Déodat de Séverac. De ce compositeur, assez délaissé des répertoires de concert, tout au plus se souvenait-elle d’avoir entendu son " Chant de la Terre " , inconsciemment associé aux tableaux de Millet, – peut-être à cause de la lumière dorée qui voile d’un nimbe de mysticisme l’âpreté de ses scènes champêtres – et quelques mélodies, dont " Ma poupée chérie " , fredonnée sur tous les tons au long de ses années d’enfance. Le texte de présentation rappelait aussi que Debussy appréciait son contemporain, dont il aurait dit joliment : " sa musique sent bon ! " L’exposition d’Édouard s’inscrivait dans le cadre d’un festival d’été incluant concerts et spectacles en divers lieux de la région, dont un programme joint détaillait le déroulement. À n’en pas douter, pense Flora, il a dû être enchanté de venir accrocher ses œuvres dans un endroit si "habité", à l’opposé des salles cubiques, au blanc glacial, où l’on a trop souvent coutume de congeler l’art contemporain.
Toujours en retrait, depuis son poste d’observation elle le regarde, tandis que, les mains aux poches, si embarrassé, il écoute les questions et les commentaires de spectateurs médusés par ses tableaux. Il reste poli, attentif ; mais jouer à l’intellectuel, prendre la pose, ce n’est pas son genre. Elle sait qu’il est à la torture, qu’il voudrait bien, comme à chaque fois, esquiver ce déferlement d’interrogations indécentes, comme si exposer son œuvre n’était pas se livrer suffisamment en pâture à toutes les formes d’intérêt, de bon ou de mauvais aloi ! Elle sait aussi l’unique chose qu’il voudrait répondre à ses assaillants : "ouvrez donc les yeux, regardez ! C’est tout !"… Lui, le sens de sa vie, c’est bien simple, c’est d’embarquer comme les pêcheurs de nuit, tous feux éteints sur son improbable esquif, sonder les profondeurs abyssales pour remonter à la surface ces créatures étranges que nul ne vit jamais, parce qu’elles vivent dans les replis d’un temps hors d’âge, un no man’s land entre rêve et passé, où se font et défont toutes les histoires, individuelle et collective. "Et basta ! "… Surtout qu’on ne l’interroge plus !
Comment fait-il, hein ? Comment s’y prend-il ? Comment analyserait-il le processus de création à l’œuvre en lui ?… Ce journaliste au sourire redoutable d’aménité inquisitrice ose encore insister. " Analyser ! " "Processus ! "… Là, Édouard est passé de la stupeur au paroxysme de l’exaspération. Mais, campé fermement face à lui, le critique d’art ne lâche pas prise… Édouard se dandine d’un pied sur l’autre. Non, non… il ne sait pas ! Il a ses pinceaux, ses couleurs, ses toiles ; il entre dans le labyrinthe, alors commence le corps à corps, c’est tout.
Le journaliste reste là quand même, attendant encore quelque chose. Bon, le labyrinthe, ce sera pas mal, mais depuis Picasso la métaphore s’est plutôt démonétisée… Il lui faut plus original, plus sensationnel pour son article. Il coule vers Édouard un regard plus liquoreux encore. Alors Édouard, harassé par cette traque sans fin, Édouard qui voudrait se débarrasser définitivement de lui, accablé comme lorsque le maître d’école persistait à le questionner pour traverser coûte que coûte l’opacité de son silence, tisonner cette braise d’intelligence vive tapie au fond de ses pupilles sombres, Édouard lâche d’un coup, haletant :
Vous savez, un artiste, c’est quelqu’un qui se trouve posé là par hasard… au confluent du Bien et du Mal, au carrefour des Destinées… oui, c’est ça, vous savez bien, le carrefour maudit où Œdipe a croisé Laïos… Un artiste, c’est quelqu’un qui revit sans cesse dans son être tous les scénarios possibles de la Chute… Et il y en a tant !… Et il y en a tant ! répète-t-il d’une voix rauque comme l’exhalaison d’un râle, tandis que tout le monde a fait silence dans la salle.
Cette fois, il rayonne, le critique ! Il savoure les expressions, il le tient son papier, il essaie déjà quelques titres possibles… Pour le reste, il n’y aura plus qu’à broder autour des propos du peintre. Hum !… pas mal, vraiment pas mal !… Et il tourne les talons.
Soulagé, Édouard tamponne son front avec un mouchoir plié en quatre, un de ces mou

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents