La Figure de l intrus
260 pages
Français

La Figure de l'intrus , livre ebook

-

260 pages
Français

Description

L'intrus est à la fois ce qui modifie le domaine qu'il occupe tout en devenant constitutif de son identité. Cette étude propose d'aborder la problématique postcoloniale franco-maghrébine à travers la figure de l'intrus comme outil d'analyse inédit au-delà de la fracture coloniale. L'auteur s'y emploie à travers l'étude, dans des romans de Driss Chraïbi, d'Assia Djebar ou encore de Tahar Ben Jelloun mais aussi dans un film d'Haneke et une bande dessinée de Lax et Giroud.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 février 2016
Nombre de lectures 51
EAN13 9782140002212
Langue Français
Poids de l'ouvrage 12 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

B��
Taïeb B��
La gure de l’intrus Représentations postcoloniales maghrébines
Ap p r o c h e s li t t é r a i r e s
La figure de l’intrus
Représentations postcoloniales maghrébines
Approches littéraires Collection dirigée par Maguy Albet Dernières parutions Magda IBRAHIM,Le personnage de Charlotte dansLe Testament français(1995) d’Andreï Makine, 2015. Claire CARLUT,Entre Poésie et Philosophie : l’œuvre de Christian Bobin, 2015. Jean-Philippe PETTINOTTO,À Marguerite Duras : L’écriture comme un fleuve asiatique, Représentation narrative de la vie familiale dans les œuvres de l’auteur, 2015. Petra KUBÍNYIOVÁ,À la recherche de l’identité dans l’œuvre de Frédérick Tristan, 2015. Ramona MIELUSEL,Langue, espace et (re)composition identitaire dans les œuvres de Mehdi Charef, Tony Gatlif et Farid Boudjellal, 2015. Rafik DARRAGI,Hédi Bouraoui. La parole autre. L’homme et l’œuvre, 2015. Youssef ABOUALI,Yasmina Khadra ou la recherche de la vérite,2013. Zohir EL MOSTAFA,Hommages à Driss Chraibi,2013. Mokhtar ATALLAH,Études littéraires algériennes, 2012. Sous la direction de Mokhtar ATALLAH, Le Culte du Moi dans la littérature francophone,2012. CALISTO,Lou Andreas-Salomé ou le paradoxe de l’écriture de soi,2012. Florence CHARRIER,Le Procès de l’excès chez Queneau et Bataille, 2012. Mansour DRAME,Poésie de la négritude, 2012. Mamadou Abdoulaye LY,La Théâtralité dans les romans d’André Malraux, 2012. Dominique VAL-ZIENTA, Les Misérables, l’Évangile selon “saint Hugo” ?, 2012.Yannick TORLINI,Ghérasim Luca, le poète de la voix, 2011. Camille DAMÉGO-MANDEU,Le verbe et le discours politique dans Un fusil dans la main, un poème dans la poched’Emmanuel Dongala, 2011. Agnès AGUER,L’avocat dans la littérature de l’Ancien Régime,2011. Christian SCHOENAERS, Écriture et quête de soi chez Fatou Diome, Aïssatou Diamanka-Besland, Aminata Zaaria,2011. Sandrine LETURCQ,Jacques Sternberg,Une esthétique de la terreur,2011.Yasue IKAZAKI,Simone de Beauvoir, la narration en question,2011. Bouali KOUADRI-MOSTEFAOUI,Lectures d’Assia Djebar. Analyse linéaire de trois romans :L’amour, la fantasia,Ombre sultane,La femme sans sépulture, 2011.
Taïeb BERRADALa figure de l’intrus
Représentations postcoloniales maghrébines
Iconographie intérieure : Lax, Giroud © DUPUIS, 2016. En couverture : Sans titre, Maroc, 2002 © Laurent Aït Benalla. © L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-08166-3 EAN : 9782343081663
Introduction
« J’ai remarqué à ce moment que tout le monde se rencontrait, s’interpellait et conversait, comme dans un club où l’on est heureux de se retrouver entre gens du même monde. Je me suis expliqué aussi la bizarre impression que j’avais d’être de trop, un peu comme un intrus. »
Albert Camus,L'étranger
Qui n’a pas éprouvé à un moment ou à un autre l’impression de se sentir intrus, de trop, mal à l’aise quelque part, à un dîner, en société, dans un lieu, une communauté ou même un pays ? C’est la sensation humaine de s’apercevoir que l’on dérange, mais aussi que quelque chose en nous nous trouble et nous rend importun parmi « nos semblables », mais telle est la question du semblable, suffit-il d’être « humain » pour se déclarer semblables ? Cette question quasi rhétorique n’est posée que pour constater que ce sont ces mêmes semblables qui peuvent à leur tour nous déclarer indésirables, intrus en leur compagnie parce que peut-être, soudainement, on ne nous perçoit plus comme faisant partie du lot, on ne rassure plus, on inquiète pour ce qu’on dit, pour ce qu’on représente, ou pour une partie de ce qu’on est.
L’intrus est une figure ambivalente de la relation : l’intrus produit son intrusion, affecte, trouble l’unité du groupe et en même temps il s’en trouve changé: lorsqu’on est perçu comme indésirable, importun dans un groupe de personnes, on se sent exposé et l'on ressent étrangement tout autant l’intrusion soi-même, qui est comme une ouverture mais aussi une blessure dans une intimité qui se trouve menacée par ce qui est émis de l’extérieur et par d’autres. Le groupe ressent, désigne l’intrus et c’est cette suggestion qui s’introduit en nous. C’est une figure que l’on retrouve d’ailleurs à un niveau primordial du développement humain.
5
En psychanalyse, Bernard Duez explique que « la figure de l’intrus apparaît dans tous les moments où un sujet est confronté au remaniement de la scène corporelle, première scène de rencontre avec 1 l’autre . » C’est ce que Lacan a appelé « le complexe de l’intrusion » qui représente l’expérience que réalise le sujet primitif lorsqu’il voit un ou plusieurs de ses semblables, ses frères, participer avec lui à la relation domestique. Selon Lacan les conditions et effets de la fraternité sont représentés ainsi :
« Le rôle traumatisant du frère au sens neutre est donc constitué par son intrusion. Le fait et l’époque de son apparition déterminent sa signification pour le sujet. L’intrusion part du nouveau venu pour infester l’occupant ; dans la famille, c’est en règle générale le fait d’une naissance 2 et c’est l’aîné qui en principe joue le rôle de patient . »
On constate que l’intrus surgit avant tout à l’intérieur, dans l’intimité du cadre familial, tout en étant de l’extérieur. Pour ainsi dire, l’autre vient du ventre de la mère et « l’intrusion part du nouveau venu pour infester l’occupant ». Ceci produit une image de l’intrus et tandis que le sujet subit cette suggestion émotionnelle ou motrice, il ne se distingue pas de l’image elle-même. Dans cette phase, Lacan parle de discordance où l’image ajoute « l’intrusion temporaire d’une tendance 3 étrangère » et c’est justement l’unité qu’elle introduit dans les tendances qui contribuera à la formation du moi. Or, avant que ce moi affirme son identité, « il se confond avec cette image qui le forme, 4 mais l’aliène primordialement . » Il s’agit donc d’éprouver l’intrusion pour pouvoir constituer l’unité du moi. Le groupe nécessite, malgré les réticences, de ressentir, voire d’endurer l’intrusion de l’intrus bien que celui-ci soit perçu comme menaçant. Duez souligne bien que « l’intrus comme dans tout temps originaire, menace les consistances imaginaires et notamment l’enjeu topique entre intérieur et extérieur, 5 soi et autre » et ajoute plus loin que « cette figure de l’intrus, qui se
1 Duez, Bernard, “Destins du transfert : scénalité et obscénalité, les scènes de o l'autre”,Adolescence893-904. URL : www.cairn.info/revue-, p.  4/2006 (n 58) adolescence-2006-4-page-893.htm. 2 http://aejcpp.free.fr/lacan/1938-03-00.htm. 3 Ibid.4 Ibid.5 Duez, B.,op. cit., p. 893-904.
6
décline souvent sous la forme de menace de l’étrange et de l’étranger, est une constante dans les différents moments de remaniements de la vie d’un sujet, d’un groupe de sujets, d’une collectivité, voire d’une société. L’intrus appartient aux éléments transformationnels qui 6 organisent les groupes internes . » On constate ainsi que l’on peut étendre le domaine d’application de la figure de l’intrus pour comprendre de quelle manière cette figure transforme le groupe.
Les critères d’exclusion de celui qui est entré sans droits ni lois ou de celui qui était déjà là de plein droit, mais qui devient à un moment donné dissocié des autres, vont se fonder sur certains aspects de cet intrus qui va prendre lui-même différentes figures sous lesquelles il va paraître. La figure de l’intrus présente ainsi des 7 caractéristiques similaires au mimétisme et au mythe dans le sens où elle est une présence partielle et incomplète: ce n’est que selon certains critères et à cause de certains aspects seulement que l’intrus est désigné comme intrus. Dans le cas de celui qui s’est introduit dans un lieu habité, cela peut être sa provenance ou ses traits physiques, sa langue, son ethnicité, son étrangeté qui vont constituer cette présence partielle qui est aussi une image appauvrie. Il en est de même pour celui qui est « déjà-là » : cela peut être son discours, son opinion, son genre, son statut social, sa culture, sa religion ou même une ethnicité « révélée » qui vont en faire un intrus vis-à-vis des autres. Là également, l’ambivalence de l’intrus se manifeste : l’intrus peut être perçu comme « Autre », mais ce sont aussi les autres qui deviennent pour l’intrus soudainement « Autres » et donc d’une manière paradoxale « semblables » à lui dans le sens où les deux entités se rejoignent. Or, il y a « Autres » et « Autres » dirons-nous. Il s’agit donc d’une affaire de perception et en même temps d’un processus ambivalent qui se répète et qui remet en question l’idée de cette 6 Ibid.7 Le concept du mimétisme de Homi Bhabha semble ici particulièrement pertinent et rejoint l’intrus dans son ambivalence commune et dans la forme de relation qui existe entre l’intrus et le domaine du même. L’intrus fait l’objet d’une différence du sujet qui est presque le même mais pas tout à fait, mais il introduit de plus chez le sujet qui subit une tendance étrangère qui va constituer son nouveau moi. Bhabha nous rappelle également que le mimétisme est une présence partielle, incomplète, virtuelle. Pour être efficace, l’intrus doit produire également ses excès, ses dérapages qui sont les signes de son intrusion et qui l’empêchent d’être réformé, reconnaissable, autorisé dans le désir du domaine où il est intrus. Voir Bhabha, Homi, « Du mimétisme et de l’homme : l’ambivalence du discours colonial »,Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007, p. 147-157.
7
frontière, de cette différence qui sépare l’intrus des « autres », ces « semblables » devenus « non-semblables ». Comme nous le rappelle la psychanalyse, « si l’intrus partage avec d’autres sujets le même objet c’est qu’ils sont semblables. Le lien de parité se constitue sur la 8 base du partage du même objet . » Autrement dit, « le même objet partagé » pour le sujet primitif représente la mère appropriée par l’intrus. Par extension, l’objet peut être l’espace occupé, partagé, en commun de la communauté ou de « la mère patrie ». Duez met l’accent sur l’importance centrale de l’intrus dans le processus de constitution même du groupe, du collectif ou de la société qui, selon lui, ne peut passer par une politique protectionniste de la similitude :
« L’histoire nous montre comment la figure de l’intrus, sous celle de l’étranger, de l’immigré, voire du monstre, est convoquée dans le groupe social et utilisée dans les temps de crise par des leaders pervers qui ruinent ainsi les liens paritaires d’identification, assignant les relations d’identi-9 fication à une répétition de l’identique . »
C’est dans cette perspective que la figure de l’intrus, sous ses différentes formes, est convoquée non seulement dans le groupe social, mais également dans tout domaine de la représentation où ces liens paritaires sont pervertis et où une répétition du même a lieu. Il s’agit également de voir non seulement la figure de l’intrus au niveau de l’individu et de sa subjectivité en relation avec le groupe qui l’exclut, mais aussi au niveau des différents dispositifs représentatifs mis en place et de leurs fonctionnements. L’intrus remet en cause les consistances imaginaires de la représentation oppositionnelle et binaire de l’intérieur et de l’extérieur, de soi et de l’autre, mais aussi du sujet et de l’objet.
La figure de l’intrus dans la représentation
La figure de l’intrus et de l’intrusion portent sur ce qui se produit lorsqu’un sujet ou un objet concret ou abstrait s’introduit et/ou est désigné et perçu comme intrus quelque part, dans un ensemble ou une série dont les éléments constitutifs partagent une affiliation
8 Duez, B.,op. cit., p. 893-904. 9 Ibid.
8
commune, une certaine forme de similitude partielle à laquelle l’intrus ne correspond pas ou plus, à laquelle il n’adhère pas ou plus et à laquelle il n’est pas ou plus associé. Cette situation ou configuration se traduit par le ressenti d’une intrusion et d’un sentiment de rejet vis-à-vis de cet intrus qui devient importun et indésirable. Cet ensemble ou domaine peut prendre la forme d’un lieu, une communauté, un pays, une langue, un discours, une conscience ou une mémoire, mais aussi une représentation textuelle ou visuelle. Il n’existe pas d’intrus sans ensemble défini, car dès lors qu’on parle d’intrus, celui-ci doit être inclus quelque part. De ce fait, la figure de l’intrus est indissociable de l’idée de seuil, de frontière ou de limite au sein desquels l’intrus doit être révélé et désigné comme tel. Si l’altérité de l’intrus a quelque chose à avoir avec l’identité, elle n’y est pas directement liée, mais l'est à la forme de relation qui existe avec le domaine du même et des limites proposées. C’est le positionnement ambigu de l’intrus qui peut être pris pour de l’identité qui permet de révéler les critères idéologiques de constitution du domaine du même sans l’exclure. L’intrus ne vient jamais seul et inquiète, trouble l’espace qu’il occupe. L’intrus doit faire sentir son intrusion, il faut qu’il produise un dérangement, un trouble de l’intimité créée par une affiliation commune où on se sent « chez-soi ».
 Si le sens d’intrus a d’abord été une personne qui s’est introduite contre le droit, illégitimement, dans quelque charge, fonction ou dignité (le plus souvent ecclésiastique), le terme est devenu par extension synonyme de celui ou celle qui s’introduit dans un lieu ou une société sans y être invité, attendu ou sans en avoir le droit. Dans ce cas, le rapport entre l’espace occupé et l’intrus relève d’un rapport d’effraction. Le sens qui s’en suit devient, comme on l’a vu, une chose concrète ou abstraite dont la présence est importune, indésirable. Le sens qui échappe à l’effraction se trouve dans l’expression courante « cherchez l’intrus ! » que l’on trouve généralement dans le registre du jeu où il s’agit de déterminer les critères d’exclusion. Dans ce cas, ce que l’on considère comme pertinent est la reconnaissance d’un élément non représentatif d’une série. L’intrus est considéré comme étant l’élément qui, selon des critères définis à l’avance, mis à côté des autres, ne partage pas un rapport particulier avec ces éléments. Cela ne veut pas forcément dire que l’intrus vient de l’extérieur, il peut être tout à fait familier, de l’intérieur et même faire partie de la série, tout dépend des critères de sélection et du moment où cette sélection a lieu.
9
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents