La grande Josée
95 pages
Français

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La grande Josée , livre ebook

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Description

La vie de Josée, née au début de la Seconde Guerre mondiale, a suivi son cours dans la région de Huy. Elle s'étale tel un portrait pointilliste, laissant entrevoir ses petites manies, ses intimes petits secrets. Josée aime se glisser au bord des gens. Elle se faufile dans les files, attentive à lorgner un geste, à surprendre un mot. Elle ne dédaigne pas oser l'escapade tout en regardant passer ses jours au milieu de ses collègues de la Poste, d'Oscar, de Tim, de son petit mari.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 juillet 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782806122742
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Copyright



















D/2019/4910/38
EAN Epub : 978-2-806-12274-2
© Academia — L’Harmattan s.a.
Grand’Place, 29
B-1348 Louvain-la-Neuve
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.
www.editions-academia.be
Titre

Francis Stapelle








La grande Josée


Roman
Du même auteur

Du même auteur
Seize , nouvelles, Tournai, Chloé des Lys, 2017.
Tu & moi , roman, Louvain-la-Neuve, Academia, 2018.
Dédicace
À Marie, à Julie
À Léona
Exergue
Tous les personnages de ce roman sont imaginaires et ne peuvent être en aucune manière assimilés à des personnes existantes, ayant existé ou allant exister.
Il s’appelait Émile. Elle, c’est Josée
Josée.
Mais en réalité Joséphine.
Joséphine parce que c’était le prénom de la grand-mère du côté de sa maman. Elle avait été sa marraine. On faisait comme ça dans le temps question prénom, question marraine.
De l’autre côté, ça aurait pu être Adèle. Mais Adèle avait déjà disparu pour toujours, dû à une embolie à ce qu’on disait ou à autre chose que ça ne se dit pas, au moment, un 23 juin, où Joséphine était apparue au grand jour, vers 14 heures, d’entre les jambes, tout en haut, de sa maman. On l’appela vite « la petite Josée », rapport à la vieille Joséphine, pour marquer la hiérarchie due au temps qui distribue les âges, qui distribue les rôles, qui générationne . Marraine Joséphine s’en est allée à septante-neuf ans, quand la petite Josée en avait treize et mesurait dans les un mètre soixante. Déjà. L’âge a ajouté des années, la taille a augmenté les centimètres, d’une bonne vingtaine. « Elle a poussé comme une mauvaise herbe ! », disait-on. « La petite » est tombée. « Josée » est restée. Pour le quotidien, pour les gens, les voisins, la famille. Dans l’univers du fisc, des attestations, des cartes d’identité, de la paperasserie, seule « Joséphine » est connue. Seule « Joséphine » peut être certifiée.
Émile est né à Havelange et, depuis l’avant-veille, est mort à Tihange. Entre les deux, nonante et un ans. Et deux mois et quelques jours.
Havelange-Tihange, un parcours, une classique, son Liège-Bastogne-Liège, l’unique étape – un contre-la-montre – de son grand tour. On pourrait lui souhaiter d’être maintenant parmi les « anges », à pédaler en roue libre pour l’éternel et pour la rime. Il n’y croyait plus, Émile, aux anges et à leur dieu, à l’éternel. Tout ça ne rime à rien. S’il était né à Ferrières et mort à Courrières, on l’aurait bien envoyé en « enfer ». Et à l’enfer peut-être aurait-il pu y croire, pour l’avoir vécu. Statistiquement parlant, il y en a eu des hommes et des femmes, à un âge datant d’avant la dernière guerre, qui l’ont connu l’enfer sur terre. C’est bien assez ainsi pour en vivre encore un autre ailleurs.
Émile a beaucoup travaillé toute sa vie. Maintenant il peut se reposer. Ce sont, sur l’annonce funéraire, les mots qui parlent de lui, résumant sa classique, son contre-la-montre. On ne dit pas ce qu’il faisait comme métier.
Émile avait une épouse, Mariette, qui devient une veuve. Ils ont eu deux enfants, un Didier et une Chantal, deux prénoms qui sentent les années cinquante, l’après-libération, la sortie de l’enfer. À leur nom, Delcuve, est adjoint le nom du conjoint, derrière pour Didier, devant pour Chantal, le tout suivi de « leurs enfants et petits-enfants ». Une famille prolifique.
La cérémonie est annoncée pour demain vendredi à l’église Sainte-Marguerite de Tihange. À 10 heures 30.
Émile, qui a été baptisé, qui a fait sa petite première communion, qui a fait sa grande communion, qui s’est marié à l’église, n’a pas dit qu’il voulait ou qu’il ne voulait pas d’enterrement catholique. Il n’a rien dit. Mariette n’a rien demandé. Il n’avait pas l’air de croire encore beaucoup à tout ça mais ne voulait rien bousculer. Mariette fait comme elle veut, comme on a toujours fait. En attendant d’être étendu dans le caveau familial, Émile se repose, déjà, au funérarium de Tihange, où la famille reçoit de 17 à 19 heures.
Josée a décidé d’aller se recueillir devant le cercueil d’Émile. On en est au deuxième jour pour les visites, celui pour celles des voisins, des connaissances, le premier étant plutôt, sans que ce soit dit, réservé à la proche famille. C’est bien connu.
Elle est dans la file, attendant qu’elle avance. Une dizaine de personnes la précède dans un couloir étroit, sombrement éclairé. Une file de circonstance, chuchoteuse, disciplinée, légèrement funèbre, qui regarde ceux et celles qui en ont fini et qui sortent, les croisant avec des visages fermés.
Émile a eu une belle vie quand même. Il a aussi eu une belle mort, comme on aimerait tous en avoir une, sans précipitation, sans grande catastrophe. Josée entend qu’il n’a pas souffert. C’est encore mieux. Une dame derrière elle dans la file parle beaucoup à quelqu’un qui ne dit rien, qui doit écouter. Émile, heureusement qu’il avait Mariette, parce que, surtout à la fin, il perdait un peu sa tête. Mais il n’a pas souffert. C’est le principal.
On avance, pas sur ordre ni dans le désordre, machinalement. Les files ne sont pas des attroupements.
Il allait quand même sur ses nonante-deux Émile. La voix continue à parler bas dans les environs de l’omoplate de Josée mais ça ne veut pas dire que la dame derrière est petite. Elle est juste plus petite. C’est souvent ainsi.
Décéder en allant sur ses nonante-deux, ça atténue la peine pour ceux qui continuent. Josée, elle va sur ses septante-huit. Elle a vite fait la différence. Encore quatorze ans avant de rejoindre Émile, le rattraper sur sa ligne d’arrivée. Josée fut une rapide avec les calculs. Puis elle dépassera Émile. Il paraît que les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Mais de moins en moins. Les femmes fument, les femmes boivent. Elles partent en fumée, dans les vapeurs d’alcool.
Havelange, Tihange, deux localités en Wallonie au sud de la Meuse.
Havelange dans le Condroz, à une bonne quinzaine de kilomètres du fleuve.
Tihange, qui en est plus proche, même en plein au bord, fait partie, depuis les fusions de communes, de la grande entité de Huy, juste accolée contre sa droite. Un événement les fusions de communes. 1976. Josée s’en souvient.
Sur la carte de la Belgique, Huy se trouve sans trop de difficultés, sur la ligne bleue de la Meuse entre Namur et Liège, à peu près à mi-chemin. Vu du dessus, la Meuse à Huy ne tourne pas à nonante degrés comme à Namur, s’acoquinant avec une Sambre, mais quand on y regarde bien, de pas trop bas au-dessus, on ne peut nier qu’elle serpente, qu’elle fait une boucle, un arrondi, une crolle, une glissade comme un coup de frein à main léger, maîtrisé.
Avant de poursuivre sa descente vers Liège, elle passe aux pieds d’anciennes collines à vin blanc tournées dans le bon sens question soleil mais qui, avec les années et le phylloxéra, ont succombé dans la broussaille, sous les arbustes anonymes, improductifs et urticants. Hormis en quelques parcelles où des courageux ont replanté du cépage. Une aventure.
Devant Josée dans la file, deux hommes chuchotent de pigeons. Un des deux tient une casquette derrière son dos.
Il la triture comme si, sans s’en rendre compte, il voulait lui faire mal. L’autre l’a toujours sur la tête. Des casquettes de colombophiles aux âges avancés, en tissus feutrés et gras, pour l’été comme pour l’hiver, et sous lesquelles quelques dernières poignées de cheveux plaquées contre le crâne affrontent l’étouffement. Josée s’étonne que des casquettes ainsi existent encore, que des colombophiles existent encore. Elle se souvient de l’époque où, comme un roucoulement répétitif et ronronnant qui donnait à penser aux cou

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