La Main blanche
225 pages
Français

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Description

Se faisant passer pour un peintre à la recherche de beaux paysages, Peter Burns s'installe chez la Finette, jeune veuve de guerre, et son fils Charly. Mais, en réalité, l'homme mène l'enquête.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 84
EAN13 9782812917790
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Table des matières
Couverture Table des matières Titre L'auteur Du même auteur I L'affaire II Guido Montanari III Théo Balaguier et Peter Burns IV Le visiteur et son tilbury V M. Burns s'installe VI Le curé et l'instituteur VII On s'intéresse à M. Burns VIII Les trois ours des Espares IX Première sortie de Peter Burns X Burns dans ses œuvres XI Calme trompeur XII Éclaircie XIII Rencontre ratée XIV Quand faut y aller, faut y aller ! XV Diversion XVI Drame inattendu à Pranlac XVII Surprises en tout genre XVIII Le retour de M. Burns XIX La Main blanche ressurgit XX Une bizarre mélodie XXI Affaire Main blanche classée XXII La couvée Pitaval XXIII Invraisemblable et dramatique découverte XXIV Bouleversements XXV M. Lee XXVI Peter Burns lâche le morceau 4e de couverture
Après une période professionnelle intense consacrée au commerce international,Roger Royerrepris par une passion de l’écriture datant de son fut adolescence. Très sensible à tout ce qui touche sa région, son patrimoine, sa culture, ses traditions, il traduit avec émotion et justesse cet environnement qu’il aime tant. Il signe son huitième roman aux éditions De Borée.
Titre
ROGERROYER LAMAIN BLANcHE
Copyright
Du même auteur
Aux éditions De Borée L’Envol du Choucas L’Or de Justin La Bastide rouge La Colline des Maures La Colombière, Terre de poche La Dame de la Callune Le Médecin de Maurevers
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. ©De Borée, 2015
I
L'affaire
UIDO MONTANARI avançait dans la neige poudreuse et glacée. La nui t allait le G prendre avant qu'il ne regagne son mas de Pranlac. Il était resté trop tard au bourg de Jarzas à discuter avec Fred Darbella, un a piculteur, un ami. Il connaissait les repères au long du chemin et n'avait aucune inquiét ude. Cependant, à cause de ce foutu temps, il lui faudrait simplement une heure d e plus pour parvenir sur l'autre versant de la montagne. Pour cela, il devait passer le col des Espares en traversant les terres des trois frères Pitaval, Achille, Firmin et Léon. Achille était l'aîné, la trentaine comme lui. Firmin son cadet de deux ans et le derni er, Léon, suivait avec trois de moins. Des célibataires pas commodes qui ne quittai ent pour ainsi dire jamais leur plateau, vivant dans une autarcie presque totale, f aisant leur pain, et, grâce à une vigne sur une terre qu'ils possédaient dans la bass e vallée, pressant quelque quatre cents à cinq cents kilos de raisins qui leur assura ient le vin pour l'année. Ce n'était pas 1 du velours, ces fruits, peut-être duclinton, qui pissaient un nectar violacé que d'aucuns nommaient du « vin de pigne », qui tachait irrémédiablement les verres. Quelques vaches, une quarantaine de brebis, une âne sse robuste pour tirer un charreton, et tout ce qu'il fallait en volailles, lapins et cochons. Guido Montanari et les Pitaval ne faisaient pas bon ménage. Jamais de bagarre, même pas de coups de gueule, mais les Pitaval n'aim aient pas celui qu'ils appelaient, entre eux, sans aménité « le Piémontais ». Xénophobie ridicule, Montanari étant issu d'une sou che transalpine francisée à la cession de Nice par le roi de Sardaigne en 1860. À de rares exceptions près, ils ne s'adressaient jamais la parole. À diverses reprises , Montanari les avait salués et tenté d'engager la conversation en passant devant leur ma s. S'ils étaient à travailler leur jardin, de loin, ils le regardaient venir et, sans répondre à son salut, ne le lâchaient pas des yeux. Les deux aînés durcissaient leur masque e n laissant tomber leur mâchoire noire de barbe, comme s'ils eussent été prêts à mor dre, le benjamin, sous la férule de ses frères, restait indifférent. Ils auraient été b ien en peine, les Pitaval, de justifier une telle hostilité, hors le fait que ces Montanari n'é taient pas des natifs. Leur aïeul, Urbino, pauvre journalier, avait réussi, à force de travail , à racheter quelques terres, pas les meilleures, pas les plus faciles à cultiver, mais q u'il avait travaillées avec rage pour faire un petit maraîchage permettant de sortir sa f amille de la faim, montrer que s'il n'avait pas de sous il ne manquait pas de courage. Guido se souvenait bien de son dernier passage au c ol des Espares, c'était en 1922, il rentrait de Clermont-Ferrand où il accomplissait son service militaire. L'autocar, un Hotchkiss, rescapé de la grande casse de 14, avec d es roues à bandage, l'avait laissé à Jarzas. Il était de la classe 21. Depuis 1905, le tirage au sort et les dispenses étaient abolies au profit de la conscription égalitaire. Ac hille, lui, y avait échappé en tant que soutien de famille. Firmin avait été exempté à caus e d'une jambe torse, résultant d'une fracture mal soignée qu'il s'était faite, enfant, e n tombant d'une grange. Le plus jeune n'était encore qu'un gamin. À cette époque, leur pè re venait de mourir. Il y avait encore la mère, Eugénie, handicapée par une mauvaise hanch e, et leur jeune sœur de six ans, la petite Paulette, fillette aux poumons fragi les. Elle ne devait pas atteindre ses dix
ans, emportée par une pneumonie contre laquelle la faiblesse de son organisme n'avait pu résister. Ici, la vie était dure et tout l'hiver les chambres étaient glaciales. Il y avait de quoi attraper la mort pour un corps sans t rop de sang. Les nuits où la 2 sibère prenait le mas de plein fouet, le vent était chez lui. Alors, des fois, la mère allait réchauffer sa fille grelottante ou lui apportait un e brique brûlante, tirée du four, enveloppée dans un torchon de lin épais qu'elle rés ervait à cet effet et qui présentait quelques traces rousses de brûlures. La mort de cet enfant avait été ressentie par les h abitants des deux côtés du col des Espares comme un crève-cœur, car, contrairement aux autres, elle était rieuse et plaisait. Mais, hors les frères et le fossoyeur, pe rsonne n'avait pu assister à son enterrement. Les Pitaval avaient récusé le curé de Pranlac comme celui de Jarzas. Achille avait dit : « Ça, c'est une affaire qui r'g arde que nous autres. » Ils avaient fait pareil pour le père et plus tard pour la mère, même pas une bénédiction. Il y avait belle lurette que Guido avait pris son p arti de cette défiance, c'était une vieille histoire, enkystée depuis déjà trop longtem ps. Depuis, de l'eau était passée sous les ponts. La France avait vengé la défaite de 1870 par la victoire de 1918, glorieuse bien que douloureuse pour certains, stupide et odie ux massacre pour d'autres. Guido n'était donc plus repassé au col des Espares depuis dix ans. Cet hiver 1932 était particulièrement neigeux. Par défi et en souv enir de son père qui l'avait franchi tant de fois, le plus souvent avec un sacré chargem ent sur le dos, il avait délaissé la route. Le Piémontais avançait en ouvrant le matelas duveteux avec régularité. Chaque fois qu'il approchait de la ferme des Pitaval lui r evenait le souvenir désagréable de ce stupide antagonisme entre eux, et toujours vivace. Dans moins d'un quart d'heure, Guido passerait deva nt les bâtiments. Les chiens allaient aboyer furieusement et les frères seraient peut-être derrière leur fenêtre à épier qui, à cette heure et par ce temps, pouvait bien mo nter au col. Il savait que pour rien au monde ils ne sortiraient et que, même s'il devait a voir besoin d'aide et appelait, ils resteraient dans leur tanière. À Pranlac, on disait , l'air dégoûté : « C'est guère plus que des bêtes, ces Pitaval. » Peu d'habitants des environs se seraient aventurés sur les terres des trois frères à la nuit tombante et par ce temps. La superstition, due à une affaire bizarre que l'on appelait la « Main blanche », possédait encore quel ques esprits. C'était vieux, ça remontait à la guerre franco-allemande de 70. La ca pitulation des troupes françaises à Sedan le 2 septembre, entraînant la chute de l'Empi re, suivie de l'invasion de Paris le 19 septembre et la reddition du général Bazaine à M etz le 28 octobre. Durant quelques années, à l'évocation de la Main blanche, les femme s se signaient et la marmaille en âge de comprendre allait se fourrer dans leurs jupe s. Les hommes, eux, bravaches, rigolaient, mais jaune. L'histoire avait survécu, s 'était transmise de décennie en décennie par le bouche à oreille, mais ne terrorisa it plus vraiment. Qu'était-il advenu ?
Le 11 février 1871, par un temps identique à celui que rencontrait présentement Montanari, mais à la nuit bien tombée, un vagabond, du nom de Marcelin Célarier, venait de Pranlac pour se rendre au gros bourg de J arzas en empruntant cette même coursière. Il connaissait bien l'endroit. Il était connu comme un pauvre bougre, souvent entre deux mauvais vins, qui se louait ici et là po ur des travaux de ferme, lorsqu'il parvenait à être à jeun. Ce soir-là, peut-être dessoûlé par l'air glacial, i l marchait d'un bon pas. Il ne neigeait pas, le ciel était dégagé, la lune dans son plein. Il faisait clair presque comme à l'aube,
avec cette luminosité laiteuse particulière que dif fuse l'astre nocturne. Le froid était intense et on pouvait entendre les arbres gémir sou s cette torture. L'hiver était précoce. Il avait neigé abondamment les semaines précédentes et, dans les parties non abritées du vent, les congères pouvaient atteindre le mètre, voire davantage. Le Marcelin n'était pas en peine pour s'abriter. Il avait ses gîtes, là une cabane de bûcheron, là un fenil isolé, une cabane de chasseur. Il lui arrivait de d emander l'hospitalité dans les fermes pour lesquelles il avait déjà travaillé. Peu de fer miers lui refusaient de la paille dans l'étable ou la bergerie, sauf si, pris par l'alcool , il devenait grossier, voire vindicatif. Dans ce cas, le patron ne faisait pas de détail et plus d'une fois il s'était retrouvé sur le chemin plus vite qu'il l'eût souhaité, poussé par u ne fourche dont il sentait les dents lui mordre les reins, si ce n'étaient les chiens qui le faisaient détaler. Ceux qui l'employaient le faisaient plus par compassion que par souci d'obtenir un bon travail, car Célarier n'était pas un énervé. On disait de lu i à qui voulait l'entendre : « Autant lui demander de tuer un âne avec des figues. » Une imag e amusante mais juste, qui avait fait le tour du pays. C'était clair, avec lui, le travail n'avançait pas. Lorsque, sur la lande, le marginal eut dépassé ce q ui n'était pas encore tout à fait le mas Pitaval, mais une grosse bergerie achetée en 18 22 par le grand aïeul, Victorien, ce n'était plus que descente douce sur Jarzas. Mais la sente était par endroits creusée de profondes rigoles des temps d'orage, que l'amas neigeux rendait traîtres. On pouvait se foutre en l'air presque à chaque pas et se rompre les os. Prudemment, Marcelin ralentit, puis s'arrêta pour pisser. Il le va la tête et planta son regard dans les étoiles. Puis, soudainement inspiré, il sifflota un vieil air de gigue joué dans les foires par des violoneux ou des vielleux. Ils accompagnaie nt ces danses campagnardes païennes qui échauffaient par trop corps et esprits et que le curé regardait quelquefois de travers. Il n'aimait pas que ses paroissiennes l evassent trop haut la jambe, y voyait l'esprit malin s'emparer d'elles, incitant les jeun es, dès les fêtes de printemps, à briser le sceau de leur innocence. Le curé de Jarzas, à l' époque Saturnin Ragasse, aujourd'hui dans les limbes des mémoires, veillait au grain, bien qu'il ne puisse être à la fois derrière chaque meule de foin et battre les fourrés complices. Bref, avec ce froid il ne fallait pas que Célarier s'attardât. Il avait refermé ses hardes, tiré son passe-montagne qui lui était trop remonté sous le nez, entortillé son écharpe autour du cou. Après avoir balancé une sorte de bes ace de cuir râpé dans son dos, il avait repris le bâton qu'il avait posé contre le tr onc d'un pin et, alors qu'il s'apprêtait à repartir, avait hurlé d'effroi en levant l'un de se s bras à hauteur de la tête. Légèrement sur sa gauche, au bout d'un avant-bras à demi ensev eli et nu, une main aux doigts recroquevillés, comme s'ils eussent voulu l'agrippe r, jaillissait du manteau neigeux. Prise par le gel, la main était d'une blancheur irréelle et, était-ce l'effet lunaire, semblait quasi transparente. Une vraie main de mort, à laque lle les lieux conféraient un aspect maléfique. Lorsque dans les veillées on évoquait ainsi l'histo ire, on disait : « Pourtant, des morts, le Marcelin en a vu. » Vrai, il avait aidé p arfois le fossoyeur ou donné un coup de main au maçon de Jarzas, artisan spécialisé, ent re autres, dans les sépultures, autrement dit les caveaux. Une fois bâtis dans l'en clos funéraire, derrière l'église, il fallait quelquefois y transférer les corps d'une to mbe d'où ils venaient d'être exhumés, tirés de cercueils la plupart du temps délabrés, ro ngés par la vermine, voire carrément décomposés pour les plus vieux. À Jarzas, la terre avait sans conteste une composition chimique lui conférant des qualités ast ringentes particulières pour la conservation des corps à laquelle s'ajoutait le fai t que le tertre portant église et cimetière était très sec. Dotés de ce capital de so uvenirs, peut-être avec quelques
altérations, quelques exagérations histoire d'enjol iver les faits, les vieux en profitaient pour raconter qu'un jour Célarier avait dû extraire de la tombe familiale Chapignat, qui possédait le moulin à huile, trois cercueils superp osés. Les dépouilles étaient plus ou moins dégradées, sauf la plus jeune, si l'on peut d ire, qui, malgré un sacré coup de vieux, tenait encore sur ses jambes, raide comme un manche de pioche. Le couvercle avait sauté, les vis rouillées ne le tenant plus. L e cadavre était apparu. C'était celui de Lucien, décédé en 1851. Il levait un peu le bras, p araît-il, comme pour tendre la main. Ce réflexe de vivant aurait impressionné Célarier q ui avait eu l'impression que le vieux lui disait : « Allez, salut Marcelin, comment ça va ? » Naturellement, pour rien au monde il n'aurait saisi ce paquet d'os sur lesquels était momifiée une peau brunâtre et noire, bien qu'avec beaucoup d'optimisme les mâchoi res béantes eussent pu suggérer un sourire goguenard. Donc, les morts, le Marcelin savait de quoi il s'ag issait, mais cette nuit-là, sur le coup, il avait été pétrifié par l'apparition de cet te main blanche à l'aspect vindicatif. Il avait fini par se ressaisir pour dégringoler sur Ja rzas alerter la maréchaussée, en se foutant tout du long la gueule par terre. Une fois lancés, les vieux brodaient à l'envi, donn ant des détails qu'ils inventaient peut-être, mais somme toute assez plausibles. Marce lin avait tambouriné à la porte de la gendarmerie en gueulant : « Ouvrez-moi, bon Dieu , ouvrez-moi, y a un mort, là-haut sur la lande. » Réveillé, un militaire avait entreb âillé ses volets et, après l'avoir aperçu, aurait gueulé à son tour : « Fiche le camp sac à vi n ! Allez, va cuver ailleurs ! » et, irrité, aurait refermé les battants avec violence. Comment accorder foi à un ivrogne comme Célarier. Ce n'était pas la première fois qu' il racontait des histoires abracadabrantes pour se faire remarquer et se faire payer un verre au troquet du village en amusant la galerie. Le gendarme avait dû grommeler en regagnant son lit : « Ah, le cochon, le cochon ! Un mort, un mort sur la lande, manquerait plus que ça. » Rebelote, renchérissait le conteur, le lendemain, l e vagabond avait refait son cinéma devant la gendarmerie aux premières lueurs du jour. Le brigadier avait ouvert en rouspétant, finissant de mastiquer une dernière bou chée de son casse-croûte matinal. Il avait encore sa vareuse ouverte. « Ah ! Encore t oi, mécréant. » Et Marcelin de débiter : « Mais puisque j'vous l'dis, brigadier, y a un mort là-haut, que j'y ai même vu la main qui sortait d'la neige comme j'vous vois, une grande main toute blanche. Ah, nom deDiou! Ça m'a foutu une sacrée trouille. » Tout juste vraisemblable, mais parfaitement exact, car inscrit dans le rapport de gendarmerie. De guerre lasse, le militaire avait dé cidé d'en avoir le cœur net. Il avait pris un de ses hommes en lui demandant d'emporter u ne pelle, et ils étaient montés sur le plateau, poussant sans ménagement le vagabon d devant eux en lui promettant les pires sévices s'il avait raconté des balivernes . Le cadavre était bien là, avec cette main givrée au x doigts crispés, jaillissant de la couche glacée, au bout d'un avant-bras dénudé. Il l 'avait dégagé. Il était en bon état, sauf que les renards lui avaient bouffé le visage d u front au menton, et les corbeaux arraché les yeux. Ce n'était plus qu'une plaie atro ce. Le médecin de Jarzas ne diagnostiqua aucune blessure occasionnée par une ar me et conclut à un malaise cardiaque dû, peut-être, au grand froid, malaise fa tal qui avait fait qu'il fût rapidement congelé. Sans papiers, qu'il n'eût aucun objet dans ses poches, qu'il ne portât ni montre ni bague en firent un cadavre parfaitement a nonyme. C'était toute l'histoire de la Main blanche, avec u ne fin propre à faire frémir d'horreur n'importe quelle assemblée. Il y avait eu enquête, mais il ne manquait personne dans les communes
avoisinantes, aucun rapport d'aucune gendarmerie de s environs ne signalait de disparition suspecte. Les seuls qui eussent pu être témoins étaient ceux de la tribu Pitaval. Le corps étant sur leur terre. Ils furent interrogés, mais le fait qu'il se trouvât à plus de cent mètres du mas rendait plausible leurs farouches dénégations de n'avoir ni vu ni entendu quoi que ce soit. Au brigadier suspic ieux, Victorien Pitaval aurait ouvert sa grande gueule pour dire que la République ferait bien de voter une loi pour qu'on autorise les braves gens à dormir en paix. Mystère. D'où pouvait bien venir cet homme ? Les es prits s'échauffèrent laissant libre cours à l'imagination populaire. Il était gra nd et fort, plutôt blond. Bien qu'habillé de vêtements civils corrects, on y vit un soldat pruss ien cherchant à fuir les combats de la bataille de Villersexel gagnée par le général Bourb aki au début janvier de cette année 71, avant d'échouer devant Héricourt. Défaite précé dant de peu l'armistice. Ce n'était pas très réaliste, mais un déserteur ennemi ça mett ait du baume sur les plaies de la capitulation des troupes françaises. D'autres y vir ent un agitateur communard fuyant Paris. Pour le populaire, en dehors de l'horreur de la découverte, il fallait, pour que l'histoire ait du corps, que le cadavre ne fût pas celui d'un quidam ordinaire. Néanmoins ça arrangea tout le monde que l'on collât sur l'inconnu l'étiquette teutonne et, en référence à la proclamation de Bism arck à Versailles sacrant le roi de Prusse empereur allemand, on l'appela avec un espri t de dérision « Guillaume ». En période troublée, comme c'était le cas, la trame dr amatique tissée par la défaite, les troupes allemandes occupant Paris, tout cela conjug ué aux excès de la Commune, les autorités avaient d'autres chats à fouetter que de peaufiner une enquête qui n'intéressait personne. Cependant, certains pensère nt que Guillaume n'était pas plus germain qu'eux et qu'il y avait là un assassinat im puni. À Jarzas, le maire de l'époque, soucieux de sa tranquillité et de celle de ses admi nistrés, avait discrètement incité le docteur à ne pas mentionner dans son rapport que le cadavre avait reçu un coup sur l'occiput propre, sinon à l'estourbir, du moins à l 'envoyer un temps dans les nuages, assez longtemps pour que l'hiver le tue. Pour l'emp orter sur les atermoiements du médecin, il avait dit que l'homme s'était pris une grosse branche sur le crâne. Le brigadier avait renforcé cette hypothèse en signala nt qu'à l'évidence la dernière chute de neige, lourde, avait décapité pas mal de sapins. Mais, avec leurs longues et très lourdes branches maîtresses, les fayards mais aussi et surtout les châtaigniers pouvaient être dangereux. Sans crier gare, certains pouvaient s'abattre, cédant brusquement au tiers de leurs troncs souvent creux. Il fut cependant précisé sur le rapport de gendarme rie que l'homme découvert le 11 février 1871 était probablement mort quelques jours plus tôt, avant les grosses tombées de neige qui l'avaient recouvert. Si les re nards pouvaient fouiller la neige, les corbeaux, eux, n'auraient pu atteindre le corps ens eveli.
* * *
C'est avec ces idées en tête que Guido Montanari ma rchait en éventrant la couche immaculée. Il passa devant la zone où Guillaume ava it été découvert. C'était son ami l'apiculteur qui, un jour, la lui avait montrée. Oh ! Rien de précis. « C'est par là », avait-il
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