Le bâton et l eau chaude
239 pages
Français

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Le bâton et l'eau chaude , livre ebook

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239 pages
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Description

Nathanaël naquit une nuit de 1939 dans une famille juive de Tunisie, entre une mère tunisienne et un père italien qui veillait de près à son travail : c'est par le haut que s'intègre un petit Juif italo-tunisien en France. L'auteur décrit avec émotion cette terre cosmopolite, de sable, de caps et de golfes, de relents nauséabonds et d'arômes magiques, de mendiants et de silhouettes voilées, de vagues entêtées à venir mourir sur le rivage. Une mosaïque de communautés y vivait dans un climat où se mêlaient cordialité et mépris.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2009
Nombre de lectures 50
EAN13 9782296237698
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le bâton et l’eau chaude
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-10045-9
EAN : 9782296100459

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Robert MODIGLIANI


Le bâton et l’eau chaude

Voyage d’un juif italo-tunisien
Sans elle, nul ne lirait ces lignes.
Première partie :
Tunis
C HAPITRE I




C HUCHOTEMENT D’UN SLIP QUI GLISSE sur une cuisse lisse, frôlement d’une main qui hésite, ose et remonte, frémissante. Et voilà qu’ils se prennent comme des dieux, et encore, et sans cesse. La faim qu’ils ont l’un de l’autre ne connaît pas la satiété, ni leur effort la lassitude, là-bas dans la koubba , au ventre de la colline que bat le sirocco. Furieuse possession dont tu surgiras, peut-être, Nathanaël. Sur la poignée de faïence blanche, une grosse mouche d’un noir bleuté lisse ses pattes de devant et se propulse furieusement vers l’étroite tache azur qui échancre le blanc de la chambre, entre les persiennes fixées à l’espagnolette ; et dans le silence chaud, s’écrasent avec un bruit mat sur la vitre le corps velu et l’illusion aveugle. Son vol bourdonnant tournoie à nouveau, effleurant les murs laiteux. Sous elle, l’homme caracole et s’emballe, s’élance puis s’abîme dans la femme qui se tord et gémit ; en écho, l’ahanement d’une femme rythmé par les coups de battoir assenés sur le linge. Seras-tu, Nathanaël ? Et de la multitude confuse et grouillante jaillie de la volupté, le hasard aveugle désigne l’unique gagnant. Puisse-t-il bien le doter ! Dans la brume de plaisir qui suit le plaisir, le monde estompé semble flotter dans un temps immobile. L’ahanement s’est tu. Et la stridulation des cigales suffit à emplir le monde. Est-ce toi, Nathanaël ? Ou seras-tu ton frère ou ta sœur ? Qu’importe ! C’est ainsi que les hommes naissent, au hasard, pêle-mêle, sans l’avoir demandé, sans s’être choisi, sans être choisi. Était-ce le TGM (train Tunis-Goulette-Marsa) qui a sifflé et fait légèrement frémir le sol ?
Ils sortent nus, gravissent quelques marches au carrelage brûlant et s’abandonnent sur le toit chaulé de la koubba , dans la tache d’ombre projetée par le palmier. Ils embaument l’air des odeurs de l’amour. Devant eux, la Méditerranée bleue mouchetée de blanc, longue vulve déployée des colonnes d’Hercule au pays de la princesse Europe, leur sourit. Au-delà du golfe, la perspective exacte et minutieuse des terres sans brume arrête la vue : sur la rive brune s’épousent, en paresseuses courbes superposées, une mince ligne de sable blanc, une étroite bande de verdure et au-delà les molles ondulations du cap émaillées des taches blanches des villages. L’heure la plus glorieuse de Méditerranée, où fusionnent l’après-midi et l’heure du déjeuner sous le plein midi tombant d’aplomb sur la baie et les terrasses blanches, un temps où le monde préfère pourtant s’amollir dans la moiteur torride de la sieste. Un avion vrombit : le vol quotidien Tunis-Paris.
A bord du tramway numéro 5, Tsi-Tsi Montefiore se laissait bringuebaler sur un siège qu’elle avait pris soin d’épousseter de son mouchoir avant de s’y asseoir. Elle allait voir sa mère. Son éventail de paille tressée battait de plus en plus vite devant son visage dans la chaleur croissante et l’incessant bourdonnement des mouches. La crasse poussiéreuse de la voiture l’écœurait. Cinq ans déjà, se disait-elle ! La vérité, mourir en pleine santé, en pleine jeunesse, d’un boutan sur la joue (elle avait le parler des juifs tunisiens), pour un costaud broute-en-train, comme il était, Roland, meskine (le pauvre), c’paspordjire (c’est pas pour dire) mais ça devrait être interdit. D’ailleurs qui c’est qui décide ? Mais qui c’est qui décide ? Se répéta-t-elle. Une erreur ? Une erreur du ban Dieu ? Elle ne voyait pas d’autre suspect. Ce ban Dieu, il pourrait dire où il est, même s’il existe pas ! Faire un petit signe amical, de temps à autre. De toute façan, un deuil, c’est pas éternel, ou bien il faut mettre dèrect des langes noirs aux nouveau-nés, une bonne fois pour toutes !
Guidé par ses rails vers le terminus, la première porte du parc du Belvédère, le tram traversait la ville momifiée et recuite dans l’ennui funèbre de la sieste. Vides et moroses, les vieux bancs et les avenues qu’ils jalonnaient. Seuls à échapper à la langueur, des bandes d’étourneaux blagueurs et irrespectueux du silence rituel de l’heure animaient de leur raffut le désœuvrement moite et creux de la capitale. Au vrombissement ponctuel du Tunis-Paris, la mémoire de Tsi-Tsi frémit. L’ahanement surgit en écho ; battre du linge sous ce soleil ? Était-ce un présage ? La seule compagne de voyage de Tsi-Tsi, une femme voilée de blanc, assise à l’autre bout de la cabine, enlaçait sur ses genoux un couffin de paille coiffé d’un chiffon à carreaux. Le tram rasait maintenant les ficus de l’avenue déserte. La vitre constellée de chiures de mouches renvoyait à Tsi-Tsi le reflet chatoyant de son corsage jaune canari sous la tache sombre de sa chevelure noire. Elle avait su il y a huit jours à peine et n’avait encore rien dit à Nino. Le deuil avait abdiqué devant le nouveau germe de vie : elle avait extrait de cinq ans de naphtaline le corsage jaune et la jupe rose, ne voulant pas abriter la nouvelle vie dans des vêtements de mort ; ça portait malheur. Le matin même, elle avait demandé à Nino :
Brobbi (s’il te plaît) Qu’est-ce tu penses ? Ce jaune et ce raase (rose), tu les trouves bien à la sortie ?
Le jaune et le rose, je les trouve trrès bien, à l’ entrrée comme à la sorrtie , répondit-il avec un sourire à peine moqueur. J’avais oublié qu’ils t’allaient si bien, depuis tout ce temps. Tu es belle comme une fleur. Et brravo d’en finir avec les vêtements de deuil.
Son roulement des "r" était la seule trace laissée dans son français par l’italien familial. Il s’examina dans la glace : sous un crâne chauve, des yeux noirs et sérieux surmontés d’épais sourcils, des pommettes saillantes encadrant un nez aquilin, des lèvres minces et rectilignes s’ouvrant sur une dent en or, une forte fossette riant sur son menton. Tout ce temps de tenues noires et noires, puis grises et grises, de visage sans fard, il en avait marre, Nino ; cinq ans comme ça, ça coupait la chique ! Lui aussi avait eu une peine immense : Roland avait été un ami très cher avant même qu’il n’ait connu Tsi-Tsi. Lela Slackmon, sa belle-mère, en noir et plus noir encore depuis la perte de son fils, exerçait sur la famille une pression implicite et oblique, toute de demi-clins d’yeux, de soupirs rompant les silences, de mektoub ! (c’était écrit) faussement résignés, ponctuant les phrases.
Le wattman actionna l’avertisseur au son métallique pour hâter le pas incertain d’un vieux mendiant en train de traverser la voie. Il se campa sur le trottoir désert, impassible, pétrifié de chaleur, et tendit sa chéchia vers le ciel, faute de passants à solliciter. Une grosse mouche noire cogna la vitre et se laissa tomber en un crépitement zigzagant puis se posa sur le bras de Tsi-Tsi ; elle essaya en vain de l’attraper. Le tram pila à la station Lafayette, projetant la femme voilée vers l’avant. Son couffin de paille se renversa, laissant s’échapper deux poules affolées qui se mirent à zigzaguer entre les jambes des nouveaux passagers dans une cacophonie de caquètements. Le voile blanc de la femme arabe lancée à leur poursuite s’ouvrit sur les bandes de couleurs vives de son costume ; un beau visage harmonieux en émergea. Tsi-Tsi se leva pour l’aider à rattraper ses volatiles mais eut un mouvement de recul à la vue de son bras droit réduit à un moignon. Elle protégea de ses mains son bas-ventre et s’élança hors du tram au moment où il s’ébranlait à nouveau. A son atterrissage sur le trottoir, elle cracha à deux reprises.
La grille du jardin grinça en pivotant sous la poussée de Tsi-Tsi, plus fort que la dernière fois, nota-t-elle, car aucun détail ne lui échappait. Jamais elle graisse les gonds, la Ouassila ! Elle m’horrépile , celle-là ! Elle lui avait pourtant demandé ; la purée de flemme qu’elle a pas ! Blechi ! (tant pis !) Elle le ferait elle-même, parce que, pour un visiteur, la grille qui grince, ça fait vraiment négligé. Elle assena deux coups de heurtoir sur la porte du rez-de-chaussée. Sa joie d’annoncer à sa mère sa grossesse débutante était ternie par la crainte de la trouver dans un des moments d’abattement qu’elle traversait encore.
Roland avait été un homme comblé. Ses parents aidant, la bonne fortune en avait fait un être épanoui, entreprenant et applaudi, bref, promis à des avenirs. Un furoncle de la joue l’emporta en trois jours à vingt-cinq ans à peine. Consternation dans la v

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