Le bleu intense de Fra Angelico
159 pages
Français

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Le bleu intense de Fra Angelico , livre ebook

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Description

"Un homme contemplatif au soir de sa vie, un jeune homme, photographe et journaliste se rencontrent dans une forêt. De ce dialogue, près des arbres, intelligent et bouleversant, naît un livre splendide, de ces textes rares que nous désespérions de lire et qui, lorsqu'il sort d'une pile de manuscrits, semble tiré d'un miracle." Daniel Cohen, Directeur Littéraire aux Editions L'Harmattan.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 179
EAN13 9782336275833
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
Récit
La pensée finissante , Paragraphes Littéraires, (épuisé), Paris, 1974.
Roman
Les fruits mûrs , José Millas-Martin, (épuisé), Paris, 1978.
Le rouet des saisons , Paragraphes Littéraires, (épuisé), Paris, 1982.
Essai
Éloge d’un monde en Amour , philosophie, Les 2 Encres, Collection Sa-
gesse et Lumière, 2006.
Conte
L’Histoire de Sidoucrin, Thélès, Paris, 2007.
Le bleu intense de Fra Angelico

Benoît Aubierge
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
9782296105287
EAN : 9782296105287
Sommaire
Du même auteur Page de titre Page de Copyright Première partie
Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre IV
Deuxième partie
Chapitre V Chapitre VI Chapitre VII Chapitre VIII Chapitre IX Chapitre X Chapitre XI
Troisième partie
Chapitre XII Chapitre XIII Chapitre XIV Chapitre XV
Écritures L’HARMATTAN, ITALIA
Première partie
« Le présent du passé, c’est la mémoire. Le présent du présent, c’est l’intuition directe. Le présent du futur, c’est l’action réfléchie. »
Saint Augustin.
Chapitre I
T out est encore indistinct dans l’univers des arbres ; il va sac à dos à l’épaule, avec le projet de rejoindre Milly-la-Forêt en évitant les sentiers balisés. La trentaine, longiligne, vêtu d’un jean, d’une ample chemise grise, chaussé de rangers en cuir, à son allure il se devine l’habitude et le plaisir d’être en forêt. En week-end prolongé, trois jours, il a pris une chambre à Barbizon ; le même hôtel que l’an passé.
Aux prémices de l’aurore, la forêt grandit, s’élève et se révèle, prend l’effet d’une immense verrière ; les oiseaux se manifestent. Il aperçoit un rouge-gorge dans un épineux. Avec cet oiseau, il a une anecdote étonnante. Dans un dédale rocheux une renarde s’enfuit, rongeur en gueule, provoquant l’envol de corneilles. Il se fait plus attentif à ce qui l’entoure. Il ramasse une plumule, la glisse dans une poche de son sac. La fraîcheur nocturne n’est pas encore dissipée. Il est cinq heures à sa montre. Il sort une thermos de café, un cru du Brésil, préparé pour lui à l’hôtel.
Des fraises luisent, touchées d’humidité, vers un rocher. Il en cueille. Sans doute parce qu’il est penché, à contrevent, un brocard, oreilles à l’écoute, surgit sans bruit sur sa gauche. En arrêt, il hume l’air, gratte le sol, le flaire, délaisse ce qu’il trouve, dresse le col, hésite, ausculte le levant et bondit dans un mur de fougères de l’autre côté d’un sentier. C’est déjà un prince. Une grive mauvis se pose au faîte d’un rocher. Une pensée s’affine en lui : l’être libre est apprivoisable mais reste indomptable. Il écarte la soumission, refuse la longe pour lui et ses semblables. Il analyse, décide, assume ses choix, et s’il se trompe ou méconnaît un sujet, il le dit. Il ressent que l’idée doit rester en forêt, sans écriture. Depuis l’adolescence, il a toujours un carnet en poche pour noter des réflexions, des impressions, ou juste un mot suivi de synonymes, d’antonymes, de paronymes.
Une habitude que le journalisme a renforcée.
Un rapace circule à mi-hauteur entre les fûts, un autour, redoutable prédateur de l’écureuil. Un vif claquement d’écorce foulée résonne par là-bas, à cent mètres, peut-être plus, peut-être moins. Un deuxième confirme une présence. Un animal ? Il penche pour une présence humaine. La forêt n’offre pas que de la quiétude, a-t-il souvent constaté. Ceux qui ont peur de leur ombre, les inquiets et les superstitieux n’y vont pas. Le monde des arbres élague, dépouille, interroge, suggère que croître en humanité est sans fin. Il avertit que notre dernier pas foulera de l’inconnaissable.
Il y a cinq ans, il était en reportage à Pont-Aven. En plus d’un long paragraphe sur le séjour de Gauguin et d’un encadré sur le musée, il y avait l’interview du peintre Car-suzan et le portrait approfondi d’un ancien pêcheur, octogénaire, Théophile G, mousse dès l’âge de douze ans sur un thonier. L’homme avait parlé de façon vivante de la vie à bord, du vent, des vagues, les creux, la glace et le froid, le manque de sommeil, de l’eau douce plus précieuse que l’or. « Une erreur de manœuvre mettait tout l’équipage en péril. Au beau temps, la mer est une fée. Par gros temps, une marâtre. Nous parlions rarement de nos femmes, la pudeur et la peur d’en dire trop. Seulement de nos enfants ». Il cita le nom des voiles, leur fonction, croquis en main. Ils s’étaient retrouvés dans le port de Benaven, à l’aube, au bout d’une jetée. Des bateaux de plaisance et de pêche se balançaient à l’abri. Une brise froide venait du large par à-coups. Ils louvoyèrent près des côtes dans un canot en bois puissamment motorisé, bleu hortensia. Debout, malgré la houle, l’homme nomma les anses et les criques, et chaque éperon en breton. « Le regard de monsieur Théophile », titre de l’article, était à l’opposé du regard de Van Gogh dans un autoportrait. Il n’était pas apeuré et poignant, il était décidé et serein.
De retour au port, ils allèrent dans un petit café où se retrouvaient des habitués. Il salua à la cantonade. À une table à part, buvant une bière brune, le vieux marin confia à mi-voix :
— La vie... elle rit et elle grogne. Quand on est en danger, il faut trouver du courage en soi, pas ailleurs, pas à bâbord et à tribord, à la proue ou à la poupe, et prendre la barre. En pleine tempête, l’homme n’est qu’un bigorneau. Sur la terre, c’est la même chose...
Il salua un grand type dégingandé qui entrait, et reprit avec une sorte de malice dans le regard :
— Tiphaine, ma femme, a dit : si le journaliste n’est pas fier comme un Parisien qui sait tout, il peut venir partager le repas. Si cela vous chante, vous êtes le bienvenu.
Alors qu’il avait envisagé de retourner à Pont-Aven l’interview faite, il accepta l’invitation. Sur le départ, Théophile fit le tour de la MG, il examina l’usure des pneus, déclarant que c’était une belle anglaise, que le vent était favorable et qu’il pouvait revenir quand il le voulait.
Il est retourné les voir, un an plus tard, avec Élisa-beth. Un week-end. Rencontre dans une soirée donnée par un publicitaire sur les Champs-Élysées, un mois avant. Le lendemain de leur arrivée, après une balade en mer, Théophile jeta un regard au large, toussota, avant de dire, gêné : « Votre amie cherche une vie aisée, facile, voyager sans partir. Vous êtes fait pour découvrir. Ne restez pas à quai, assis à côté de votre vie. Je me mêle de ce qui vous regarde, je le sais bien. Ce n’est pas mon habitude, mais là, pour la première, tant pis, je ne peux pas m’empêcher de dire ce que j’ai sur le cœur. »
Soudain, d’en-haut, une plainte suivie d’une chute... Une branche se fracasse devant lui, à huit pas, une branche maîtresse. Des feuilles, de la poussière, de la mousse continuent à tomber. Ce n’est pas la première fois qu’il voit une branche morte se détacher et se briser à la fraîche, mais jamais aussi près. La journée aurait pu s’arrêter là, se dit-il. Il contourne l’obstacle. Sur le ciel, un oiseau tourne en cercles courts. Un peu d’ensoleillement perce l’orient. L’azur n’est toujours pas l’azur. Il mûrit. Des fumerolles montent. Il revoit le rouge-gorge, immobile, sur une souche envahie de surgeons. Il saute sur le sentier pris d’herbes nouvelles. Son œil d’obsidienne pure ne fait qu’une chose : il regarde.
Plus loin, il s’assoit sur le sol et écrit sur un carnet neuf, son vingtième depuis dix ans : si l’amour se reconnaît lorsque les gestes sont d’aimables paroles, alors nous savons quel genre de crime est le viol puisqu’il touche le rêve et le désir, le consentement, la liberté et la confiance, la bonté, la tendresse, les rires, le sourire, la pudeur, le don, la joie. Il se comprend que le mariage forcé et les mutilations sexuelles sont répugnants. Qui, et au nom de quoi, main sur le cœur, oserait clamer le contraire ? Il se relit, souligne des mots, et complète : a-t-il existé un État au monde n’ayant jamais fait souffrir son peuple et n’a pas fait souffrir un autre peuple ? Existera-t-il un État qui ne fera souffrir son peuple et ne fera jamais souffrir un autre peuple ?
Un rayon de soleil l’éclaire ; visage fin, presque émacié, les yeux bruns, les cheveux mi-longs tirés en arrière à la hâte. Il semble à la fois posé et résolu, observateur. Il range son carnet et son stylo plume, met un long foulard noir

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