Le chemin du Perthus
242 pages
Français

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Le chemin du Perthus , livre ebook

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242 pages
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Description

Pendant la guerre civile espagnole, Consuelo, jeune fille élevée dans une famille franquiste, rencontre Alberto, un "rouge", dans cette Barcelone encore républicaine qui tente de résister sous les bombardements. A la chute de la capitale catalane, ils partiront ensemble vars l'exil et franchiront la frontière au Perthus...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2011
Nombre de lectures 36
EAN13 9782336273600
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296139510
EAN : 9782296139510
Le chemin du Perthus

Margarita Perea Zaldivar
À Gabrielle.
Caminante, son tus huellas el camino, y nada más; caminante, no hay camino, se hace camino al andar. Al andar se hace camino, y al volver la vista atrás se ve la senda que nunca se ha de volver a pisar. Caminante, no hay camino, Sino estelas en la mar.
Voyageur, ce sont les traces de tes pas qui sont le chemin, et rien d’autre. Voyageur, il n’y a pas de chemin, le chemin. se fait en marchant. En marchant, nous faisons le chemin et si nous nous retournons, nous voyons le sentier que nous ne foulerons plus jamais. Voyageur, il n’y a pas de chemin, rien que des sillages sur la mer.
Antonio Machado Proverbios y cantares, CAMPOS DE CASTILLA (1907-1917) CXXXVI
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace Chapitre I - Saragosse Chapitre II - Madrid Chapitre III - Barcelone Chapitre IV - Le Perthus Chapitre V - Montauban Chapitre VI - Bordeaux Remerciements
Chapitre I
Saragosse
E lle avait versé de l’huile d’olive sur la tranche de pain puis avait pris une gousse d’ail dans le panier posé à côté de l’évier et l’avait pelée. Sa mère était à l’étage, près du père malade. L’angoisse et la souffrance physique imprégnaient la maison depuis des semaines. Ses sœurs étaient là-haut aussi. Elles étaient arrivées hier au village, sans mari ni enfants. Le repas de la veille au soir s’était déroulé dans le silence.
Consuelo avait coincé la gousse d’ail entre ses doigts et avait commencé à en frotter la tranche de pain. Elle voyait à peine ce qu’elle faisait : la cuisine était plongée dans la pénombre comme tous les après-midis d’été, persiennes et vitres closes pour sauver un peu de la fraîcheur emmagasinée le matin. Une délicieuse odeur de marché et de soleil s’était dégagée de la tartine.
Elle allait mordre dans le pain imbibé quand quelque chose, là-haut, avait heurté le plancher. Puis elle avait entendu une sorte de cri prolongé. Elle avait lâché la tartine à même la table et s’était accrochée à la rampe pour monter très vite l’escalier en bois à marches hautes. Arrivée en haut, elle s’était immobilisée, paralysée : son père gisait dans un chaos de draps froissés, les yeux ouverts tournés vers le plafond. Sa sœur aînée se roulait par terre à côté du lit, secouée par quelque chose qui ressemblait à un rire hystérique. Sa mère, sans un mot, avait alors replié sa longue jupe noire, s’était levée et avait fermé les yeux du mort. Consuelo s’était précipitée vers le bas des escaliers, son pas affolé tambourinant le bois. Dans la cuisine, elle s’était assise devant la tartine échouée, le regard fixe, sans la toucher. C’était en 1929, elle avait douze ans. Elle venait de perdre son père, son allié magnifique.
Le jour qui suivit fut un long défilé sombre. Tout le village entra dans la maison et vint se recueillir devant la dépouille de Don Ernesto qui avait été un juge de paix respecté et un propriétaire terrien apprécié de ses salariés. Les hommes ôtaient leur béret et le tenaient à la main, embarrassés par l’émotion. Les femmes pleuraient et venaient embrasser Consuelo quand elles l’apercevaient, debout à côté de la cheminée, déjà toute vêtue de noir, si blanche et si brune à la fois, si petite encore avec ses grands yeux sombres ébahis.
Les gens descendaient de l’étage, silencieux, pétrifiés, mais quand ils se retrouvaient ensemble dans la pièce du bas, une agitation intense les saisissait pendant qu’ils essuyaient leurs larmes. Les commentaires fusaient alors, près d’elle, comme si elle n’avait pas été là :
– Mourir déjà, avec une fille encore si jeune, quel malheur !
– Oui, c’est que Carmen a eu cette enfant si tard, vous vous rendez compte, à quarante-quatre ans ! Elle avait honte d’être enceinte à cet âge, la malheureuse : vingt ans après ses deux premières filles ! Elle n’osait plus sortir dans le village.
– Carmen a toujours été dure avec cette petite...
– Le pauvre Ernesto, ses souffrances sont finies. Le cancer de la vessie, c’est tellement douloureux...
Consuelo s’enfonçait alors un peu plus dans l’obscurité de la cheminée, partagée entre le désir d’en savoir plus et de ne plus entendre, d’apprendre et de partir ailleurs, de s’effacer, de gommer ce qui venait d’advenir et qui allait changer sa vie.
Les obsèques eurent lieu le lendemain. Les hommes du village descendirent le cercueil avec précaution dans l’escalier étroit pour le placer au centre de la carriole en bois qui attendait devant la porte. Tout le village s’était alors disposé derrière, en cortège. Deux hommes avaient tiré sur la charrette qui s’était ébranlée en direction du cimetière. Conformément à la tradition, sa mère était restée à la maison et Consuelo n’avait même pas demandé où était sa propre place : elle demeurait là, derrière la fenêtre, sans que personne ne songe à elle, pas même ses sœurs épuisées de chagrin et de larmes, soutenues par les voisines.
Une fois le cortège parti, la mère s’était assise, sans un mot. Consuelo réalisa alors qu’elle ne l’avait pas vue pleurer. Le silence dura un long moment. Consuelo cessa de regarder la rue désormais déserte et osa un mouvement : elle se tourna vers sa mère. Celle-ci la regardait et ses yeux étaient coupants comme des lames. Elle lui parla enfin :
– Maintenant que nous sommes seules toutes les deux, tu vas voir...
Une semaine après, jour pour jour, Carmen et Consuelo mangeaient dans la cuisine, dans ce silence qui n’avait pas cessé depuis la mort du père quand, soudain, la mère se pencha en avant, plongea brutalement son visage dans l’assiette de soupe chaude et ne bougea plus.
Le médecin, appelé à la hâte par les voisins, conclut à une attaque de cerveau due au chagrin.
Cette mort de son grand-père puis de sa grand-mère à huit jours d’écart faisait partie de l’héritage de Marta. Petite, elle ne s’en lassait pas même si elle savait ne pas en abuser : sans doute par peur de raviver une trop lourde peine, elle attendait que sa mère, en tricotant ou en cousant, la raconte d’elle-même. Elle ne posait pas de questions. Elle écoutait et un paysage se construisait dans sa tête. La langue espagnole, la seule qu’elle ait entendue et parlée pendant les quatre premières années de sa vie, tissait en elle une Espagne lointaine et jamais vue, remplie d’ombres et de terreurs, de lumières et d’odeurs, de bonnes choses à manger, de proverbes et d’expressions toute faites, de manières de parler et d’émotions. Dans la minuscule chambre de bonne bordelaise avec cuisine où la famille vivait, assise sur un petit banc de bois fabriqué par son père, elle écoutait, jusqu’ à l’imprégnation totale, les récits d’enfance de sa mère exilée.
Le petit banc était un déclencheur de mémoire. Quand Marta le prenait et s’asseyait devant sa mère, celle-ci déroulait les souvenirs. Les douze premières années passées au village étaient celles qu’elle aimait le plus. Elle se faisait répéter l’histoire du chat perdu que sa mère était allée nourrir en cachette près de la place, celle des moissons, sur les terres irriguées par le Canal Impérial, auxquelles Consuelo assistait sous une ombrelle, assise sur une carriole avec ses sœurs, ou celle de la voisine à laquelle la grand-mère passait les plats de soupe dont Consuelo ne voulait pas chez elle et qu’elle dévorait à côté. Elle appréciait aussi beaucoup l’histoire de cette grand-tante qui ne voulait pas l’électricité chez elle : « Que la lumière arrive par un fil, ce n’est pas possible, c’est une histoire de sorcières » disait-elle. Et quand la fin de l’année approchait, que des amis ramenaient le précieux turrón de Madrid, sa mère se souvenait de quelques « villancicos », ces joyeux chants de Noël : « Ande, ande, ande la Marimorena ; ande, ande, ande que es la Nochebuena ».
Des années après, jeune adulte, Marta avait enfin confronté son Espagne imaginaire à la réalité en allant à

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