Le Passage à canote
148 pages
Français

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Description

Julien embarque toute l'année pour des campagnes de pêche en mer du Nord. Des mois de labeur pour rapporter une maigre pitance à son épouse, Fanny, qui vit durant ses longues absences dans le souci de ne pas voir revenir le pêcheur.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 18
EAN13 9782812917738
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Après avoir été professeur de lettres en collège pu is en lycée,Josette Wouters arrive tardivement à l’écriture. DansLePassage à canote, elle raconte avec sensibilité et réalisme ce qu’elle a saisi de la destinée et de s amours d’une famille du nord de la France, sa région d’origine. Elle affectionne égale ment écrire des histoires destinées aux enfants qu’elle observe avec tendresse et lucid ité.
Roman L’Épingle de Fanny
Polars adulte Chiens d’Arras Clair de loups Gravelines blues
Roman jeunesse Zamir
Polars jeunesse L’Inconnu de Wazemmes Le Gang du Sébasto Pas de braderie pour Charlie
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Du même auteur Autres éditeurs
Alums jeunesse L’Incroyable Secret de Martin La Petite Étoile froufroutante La Petite Grenouille aux pieds bleus Le Petit Poireau qui ne voulait pas devenir de la s oupe Le Premier Carnaval de P’tit chat Tigrou Ô Jean Bart, quel bazar !
Romans d’aventures jeunesse Clap de peur Et les Zoulous, mon loup Méjean loup Rapt’Attrape Rififi à Sainte-Énimie
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©De Borée, 2015
Titre
JOSETTEWOUTERS LEPASSAGE À CANOTE
Rendez-vous à Honfleur
ANNY, IL Y A UNE LETTRE! - F - Merci Ernest, tenez, voilà pour vous. Le facteur reçoit sa petite pièce comme à chaque fo is qu’il apporte des nouvelles de Julien parti à Islande, juste après mardi gras, et qui reviendra fin août à laducasse. Où est-il maintenant? Quelque part dans les eaux du Nord à se geler les doigts et les pieds, à tirer les lignes d’hameçons, à couper des têtes de morue, à lessaler, à les mettre en barils, à presser l’huile. Quand il revie ndra, il sera tanné, gercé, puant, hirsute et il n’aura peut-être pas d’argent. Si la saison est mauvaise, il devra rendre l’avance que l’armateur donne àtous les matelots av ant de partir. C’est bien pour cela que les femmes du pays partent à pied jusqu’à Saint -Georges au moment de la cueillette des petits pois et des haricots pour ne pas voir leurs enfants crever de faim. Fanny soupire. Quelle vie de bête! Elle ouvre la lettre avec impatience. Julien lui dit qu’à la suite d’une avarie leSaint-Jehanroute sur Honfleur où il fait restera deux jours pour les réparations avant de re monter vers le nord finir la campagne de pêche. Il l’attend. Elle lui manque. El le doit prendre le train pour aller à Honfleur. Il a profité du bateau-cargo médical qui visite les Islandais pour faire acheminer sa lettre. Fanny s’assoit de surprise. Elle n’a pas vu Julien depuis quatre mois. Il lui manque. Ils se sont mariés après l’armistice de 1918. Il y a douze ans déjà. En réalité, ils ont dû vivre ensemble six ans au gré des campagnes à Islan de ou au Groenland. Elle aime sa rudesse, sa façon de lui faire l’amour comme en éta t de siège. Il ne parle pas beaucoup, mais ses yeux lui disent qu’il l’aime. Oui, elle ira à Honfleur. Son cœur se gonfle de joie et d’inquiétude. Comment acheter un billet de chemin de fer quand on n’a pas le sou? La saison des petits p ois est encore loin et les enfants sont trop jeunes pour aller travailler. Antoinette aura neuf ans bientôt, Raymonde sept et Maurice deux. L’argent d’abord. Elle ira chercher des vers de sab le sur la grève, tous les jours, à marée basse. Elle possède encore la pelle de véroti ère que lui avait léguée sa grand-mère, son louchet comme on dit aux Fort-Philippe. E n ce moment, les petits bateaux côtiers sont acheteurs. Cet argent, elle n’y touche ra pas, ce sera pour le billet de train. La garde des enfants maintenant. Antoinette est déb rouillarde, mais elle va à l’école et Fanny veut que ses petits réussissent dans la vi e. Pas question qu’ils ne sachent pas lire, écrire et compter couramment. Elle a eu t rop de mal à apprendre presque toute seule. Julien aussi d’ailleurs. Lui, il a été embarqué sur leSaint-Jehanà dix ans! C’est dire qu’il n’a pas eu le temps de fainéanter. Elle, elle a eu un peu plus de chance. Elle est entrée en «service» à la boucherie àonze a ns. Elle était grande déjà, mais elle n’avait pas beaucoup fréquenté l’école parce q u’elle était l’aînée de six enfants
arrivés à la queue leu leu et qu’il y avait toujour s une lessive à faire, du repassage en retard ouun frère à garder. Elle voudrait un meilleur sort p our les siens. Malvina peut-être? Oui, Malvina, sa voisine, qui av ait quatre enfants déjà, accepterait sans doute de s’occuper de Maurice quan d elle-même ne pourra pas le faire. Les filles se débrouilleront. Il lui restait deux semaines avant le rendez-vous àHonfleur.
Tous les jours à marée basse, elle partit traquer l e ver sur la grève, la pelle en bandoulière, le seau à vers d’une main, l’autre sou s les fesses de Maurice qu’elle portait sur son dos. Ce n’était pas pour rien qu’on l’appelait «Fanny sac au dos». Depuis toujours, c’était sa façon de porter les enf ants en bas âge. Trop pauvre pour acheter un landau, elle avait naturellement adopté cette façon de faire. Son père, douanier de son état, transportait son barda comme ça, si bien qu’il était surnommé «Louis sac au dos». Fanny ne faisait que continuer la tradition. Pendant quinze jours, ce fut infernal. Elle avait t oujours été experte, mais là elle se surpassa. Pas un seul ver n’échappait à son coup de pelle, net, précis, rapide. Sans le regarder, elle le jetait dans le seau et passait à un autre. Maurice s’amusait près d’elle comme il le pouvait et il la suivait pas à pas, à c haque nouveau trou foré dans le sable humide. À marée haute, elle préparait les vers. Elle les em brochait un par un sur des hameçons accrochés sur un long fil, sorte de serpen t venimeux qui s’enroulait sur lui même au fur et à mesure dans un grand panier rond. Tous les deux jours, elle allait à Grand-Fort-Phili ppe chez le marchand d’appâts qui fournissait les chalutiers. La manne remplie de ver s en décomposition à ses pieds, elle attendait impatiemment la canote quand le passeur é tait de l’autre bord. Et, une fois installée sur la banquette, ou debout les jours d’a ffluence, elle goûtait ce bref moment de répit, bercée au gré des vagues que creusaient l es bateaux qui sortaient ou rentraient dans le chenal de l’Aa. La pensée de Jul ien ne la quittait pas. Elle glissait l’argent qu’on lui remettait dans une poche en toile dissimulée sous sa jupe pour éviter de le perdre en route. Elle déposa it chaque sou dans la vieille boîte à biscuits où elle serrait son livret de famille et l ’alliance de sa défunte grand-mère. Elle comptait le pain, le beurre, la viande. Elle servai t les enfants et oubliait sa propre assiette. Elle était animée par le rendez-vous avec Julien. Enfin elle put acheter le billet. Par chance, la ga re de chemin de fer de Gravelines était rouverte en prévision de la saison des bains à Petit-Fort-Philippe. Elle apprit qu’elle mettrait quatorze heures en passant par Bou logne, Abbeville, Caen… Elle prépara un sac de linge propre pour Julien et elle choisit avec soin les vêtements dans lesquels elle voulait qu’il la vît. Sa jupe en fin lainage bleu, usée jusqu’à la corde mais qui lui allait si bien, son c araco plus foncé qui lui mettait la taille et les seins en valeur. Elle sortit de l’unique arm oire la seule robe de nuit qu’elle n’ait jamais possédée, celle que sa grand-mère lui avait brodée dans une vieille percale pour ses noces et qu’elle n’avait jamais osé porter , de crainte de l’user trop vite. Elle ferma les yeux pour mieux sentir la douceur du tiss u immaculé sur sa joue. L’image de Julien s’imposa. Elle le désira avec force. Vite, e lle posa dans le sac la dernière paire de bas noirs qui ne soient pas raccommodés. Elle eu t l’impression de sentir les mains de Julien glisser sur elle en tremblant comme il le faisait en lui ôtant ses bas. Elle dut faire effort pour terminer les bagages. - Mam, tu as pris les gaufres pour papa?
- Oui, Antoinette, elles sont dans la boîte en fer, là. Elle conduisit Maurice chez Malvina, la veille du d épart. Pour attraper le train à Gravelines, il lui fallait sortir de chez elle à 5h eures du matin au plus tard, et il n’aurait pas été raisonnable de réveiller un gamin si tôt! Elle avait tellement peur d’être en retard qu’elle se mit en route à 4heures et demie. Antoinette et Raymonde dormaient encore quand elle les avait embrassées. Tout était prêt pour son absence de trois jours. L’aînée savai t déjà s’occuper du ménage. Il faisait à peine clair mais elle connaissait le c hemin par cœur le long du chenal. De l’autre bord, au Grand-Fort, les fenêtres de la sau risserie renvoyaient les premières lueurs du jour. Elle ne pouvait s’empêcher de grelo tter de froid, mais bientôt la marche et ses pensées la réchauffèrent.
Il fallut attendre deux heures à Calais, autant à B oulogne, trois heures à Abbeville, une éternité à Caen… Mais, plus que l’attente, ce q ui lui pesait c’était la crainte de se tromper de train… Elle arriva à Honfleur alors que le jour commençait à s’étioler. Elle avait faim. Le pain et la mince tranche de fromage n’étaient plus qu’un souvenir. Sa bouteille d’infusion de feuilles de cassis séchées qu’on baptisait «thé» aux Fort-Philippe était vide depuis longtemps. Elle demanda son chemin plusieurs fois avant d’arri ver sur le port où Julien lui avait donné rendez-vous devant la Maison de l’inscription maritime. Elle le reconnut de loin. Un élan formidable les po ussa dans les bras l’un de l’autre. C’était bon. Yeux dans les yeux, ils n’osaient pas les paroles qui les brûlaient. - Tu as encore des sous? - Ça seulement, dit-elle en ouvrant son porte-monna ie. C’était peu. Ils durent se contenter d’un hôtel bon marché. Vraiment très bon marché. On y sentait le poisson rance, le savon mal rincé. La chambre était minuscule, sans aucun confort. Toilettes sur le palier, lavabo dans le couloir. Fanny ne le vit pas, toute vibrante d’avoir retrouvé son mari. Les joues en feu, les mains fébriles, ils s’assiren t sur le lit qui grinça sans qu’ils l’entendissent. Ils se redécouvraient comme à chaqu e retour de Julien. Mais cette fois s’ajoutait le charme, inconnu jusque-là, de se renc ontrer hors de leur petite maison, sans les enfants, sans témoin pour ainsi dire. Comm e au premier jour. Comme les amants qu’ils avaient été très vite. Fanny s’était donnée à Julien le plus simplement du monde dans les dunes. Ce soir, ils avaient l’impression de tout recommenc er. Oublié les années de misère et les peurs. L’éblouissement encore et toujours. F anny ressentait à nouveau cette impression extraordinaire de sentir la douceur de s a propre peau à travers la douceur des caresses de Julien. Elle s’abandonnait tout à s on plaisir et à son bonheur, quand soudain elle sentit une multitude de morsures sur l es jambes. Au même moment, Julien se relevait en se frappant les côtes. Des ma rques de piqûre d’insectes recouvraient leurs corps de la tête aux pieds. Julien reconnut avec effroi les punaises de lit don t il avait souffert pendant la guerre. Ils se mirent alors à écraser les insectes nauséabo nds dont l’odeur infâme leur soulevait le cœur. Ils se grattèrent au sang. Ils s e mirent à gonfler de partout. Que faire? Pouvaient-ils rester ainsi dans cette ch ambre pouilleuse? Fanny pleurait tout en se rhabillant. - Il faut partir, on ne peut pas rester ici, disait-elle. - Oui, mais il fait nuit. Où aller?
- On n’a plus de sous pour un autre hôtel, Julien. - C’est rien. Viens. Ils sortirent sans rencontrer âme qui vive. Ils pas sèrent devant l’église Sainte-Catherine. Par chance, il faisait doux. La lune écl airait la plage quasiment comme en plein jour. Julien ramassa des morceaux de bois échoués sur le sable et il fit du feu. - Viens, Fanny, suis-moi. Ils entrèrent doucement dans l’eau, tout habillés. Elle était froide mais, en fils et fille de la mer, ils avaient compris que leur salut était là. Julien plongea complètement et il resta un moment sous l’eau. - Elles sont mortes ces sales bêtes. À toi, Fanny, plonge. Je te tiens. En remontant, ils gardèrent sur eux juste ce qu’il fallait pour respecter leur pudeur. Ils s’allongèrent sur le sable près du feu et ils f irent sécher leurs vêtements. Ils passèrent la nuit à parler, à se regarder dans les yeux, à se sourire, à manger les gaufres. Ils virent se lever le soleil. Ce fut une de leurs plus belles nuits.
DucassE dEs Islandais
N ATTENDAIT LES ISLANDAIS. On le sentait dans l’air. Les cabaretiers O décrassaient leurs comptoirs à l’eau de Javel. Ils brossaient les carrelages au savon noir avant d’y jeter du gros sable frais et i ls remplaçaient les vieux crachoirs jaunis et puants. Les femmes, en prévision des less ives qui les attendaient et qui prendraient tout leur temps, astiquaient leurs mais ons à grand renfort dewassingues. Dès que les matelots débarqueraient, l’odeur du bou illissage flotterait sur le Fort-Philippe pendant trois jours et les jardins fleurir aient de maillots de corps, de suroîts et de pulls pendus sur les fils. Les commerçants réapp rovisionnaient leurs rayons. On attendait les Islandais. Ils arrivèrent l’avant-veille de la ducasse, en déb ut d’après-midi. Maxime les avait vus au large en sortant de chez le boulanger où il était apprenti avec Robert, son camarade. Déjà averties par les gamins et les vieux, assis su r le quai, les femmes, d’un bord et de l’autre du chenal de l’Aa, s’avançaient sur les jetées. Elles n’oseraient pas parler tout le temps qu’elles ne distingueraient pas leur homme sur son bateau d’embarquement. Elles allaient jusqu’au bout de la jetée, priant: «Je vous salue Marie, Étoile du matin, Refuge des pêcheurs, faites que to ut le monde soit là.» Maxime était toujours impressionné par les départs et les retours de campagne à Islande, même si son père n’y allait pas. Il ne put s’empêcher d’emboîter le pas des femmes et des gamins du Grand-Fort. En face, au Pet it-Fort, c’était la même procession silencieuse. Le premier dundee qui entra dans le chenal déclench a une ovation. On vit un groupe s’agiter, crier: - Ohé, du bateau! Jean-Marie? Pierre, Baptiste, vous êtes là? - On est tous là. On a fait une bonne pêche! On riait, on agitait les bras. Les épouses pleuraie nt de soulagement en rebroussant chemin pour accompagner le bateau jusqu’au port. L eSaint-Jehanre bord plusieurs arriva le second. Maxime vit sur la jetée de l’aut femmes et des enfants qui se mirent à suivre le bat eau en criant à s’époumoner eux aussi. Le vent apporta des bribes: «Tous là… hier… sous… Papa… Antoinette.» Du coup, il regarda avec plus d’attention. C’était bie n elle, mince, menue, de longs cheveux châtain très clair. Des yeux bleus, sérieux et profonds. Une élégance naturelle, étonnante pour une fille de pêcheur à Is lande. Elle ne l’avait pas regardé au dernier bal du carnaval. Mais elle pensait peut-êtr e à l’embarquement de son père prévu pour le lendemain! Le troisième bateau entra dans le chenal et les aut res suivirent. Il fallait faire vite à marée haute. Les onze embarcations du pays étaient toutes revenu es. On avait dû laisser trois hommes à Reykjavik pour appendicite, jambe cassée e t blessure sournoise, mais tout
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